
Serge Simon, Ed. Michel Lafon, 2022, 188 p., 16,95 € –
Contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’un ex-rugbyman de haut niveau, médecin spécialisé dans les addictions et la psychopathologie des sportifs, l’auteur du récit du rude chemin partagé avec une mère atteinte de la maladie d’Alzheimer signe ici une magnifique lettre d’amour à celle qu’il n’hésite pas à nommer « maman ». Cet émouvant témoignage d’une affection filiale que les épouvantables attaques de la broyeuse de mémoire ne parvient pas entamer, est sans aucun doute celui d’un homme d’exception, dont on s’étonne en passant qu’il put « côtoyer » les responsables qui infectent la Fédération française de rugby… La solidarité de vestiaire et de troisième mi-temps explique sans doute cette erreur de placement !
Après avoir maitrisé les plus robustes « passeurs » de l’ovalie de France et de Navarre, il se trouve embarqué dans un match beaucoup plus redoutable que celui livré au raz des mêlées : défendre sa mère contre « les ultimes humiliations de sa déliquescence ». Il y avait pourtant été préparé en consacrant 30 ans auparavant sa thèse de médecin à la démolisseuse de neurones. Mais le rugueux pilier n’en est pas moins homme. Il témoigne avec pudeur, mais sans détours, des « craquements lugubres de l’effondrement à venir » d’une maman qu’il découvre un jour « la casserole en main, le torchon dans l’autre », stoppée au beau milieu de la préparation d’un de ces mets italiens cent fois préparés. Il comprend très vite.
La partie est mal engagée. D’un premier diagnostic qu’il conduit lui-même, confirmé par un spécialiste, il déduit qu’il ne s’agit pas d’un « petit coup de mou suite au décès de son père » comme le suggère un confrère ! Il s’interroge néanmoins sur l’influence qu’aurait pu avoir sur cet « effondrement » la disparition de son père et le « déclassement social » qui a accompagné « la disparition de ce monde » de l’Après-guerre où, comme nombre de migrants, il a, avec son « clan aimant », bénéficié de la « couveuse sociale » et « des fruits de l’école de la République ». Face à ce délitement du « vivre ensemble » « parfumé d’huile d’olive et de sauce bolognaise », le cerveau de sa maman « n’aurait-il pas choisi la facilité, celle de créer les conditions d’un bonheur artificiel et dégénéré ? ». Il pressent qu’elle ne verra pas ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants l’aimer, qu’elle finira même par ne plus les voir, « kidnappée pour cet ailleurs qu’est la démence ». Entre incontinences et esquarres, « le chemin irréversible vers l’Ehpad » se profile à l’horizon.
Vont alors s’enchainer les différentes phases de cette fin de match marquée par le dribble chaotique entre le « comment cela finira-t-il ? » et le « quand cela finira-t-il ? », condamnant « l’esprit des aimants les plus dévoués » à baisser les bras. À l’attention de ces derniers, et avant de conclure cet émouvant « au revoir maman », le médecin s’indigne de l’absence de « vrai dispositif opérant, actif » qui permettrait à 2 millions de familles de ne plus être « seules, démunies face à une situation dantesque aux conséquences individuelles, familiales, voire sociales, importantes. » Le match contre Alzheimer a pourtant commencé il y a près d’un siècle …
Perdu en mère
De Serge Simon
Date de parution : 22/09/2022
Editeur : Michel Lafon
Collection : Temoignage
Format : 14cm x 22cm
Nombre de pages : 187