Courez voir l’exposition « années 80 » au MAD ! Nostalgie quand tu nous tiens…
Que faisiez-vous en ce temps-là ? Je votais à gauche, je me libérais, j’applaudissais à la Chute du mur et à l’époustouflant défilé de Jean-Paul Goude pour le bicentenaire de la Révolution et je vivais intensément, ne vous déplaise… avant que le SIDA ne vienne gâcher la fête et que le vote Front National prenne racine dans un électorat défavorisé et abandonné.
L’exposition privilégie trois domaines de la création particulièrement novateurs des eighties : la mode, le design et le graphisme en les entremêlant, restituant ainsi l’atmosphère bouillonnante de ces années-là. La jeunesse de votre servante.
Une ode aux années Mitterrand
L’affiche La force tranquille vous accueille dès l’entrée de l’expo. Formidable campagne du parti socialiste, la rose de « l’autre politique ». On change d’époque, d’idéologie. Finies les seventies et leurs débordements orgiaques ; avènement des radios-libres, les nuits aux Bains-douches où l’on rencontre Gainsbourg et celles du Palace où l’on aperçoit Roland Barthes qui drague. Des personnalités qui émergent dans tous les domaines de la création sous l’impulsion du dynamique Jack Lang avec son mot d’ordre « changer la vie ». L’impression de renouveau de la vie artistique, avec l’intervention décisive de l’Etat, s’apparente même à une révolution de la politique culturelle puisque le budget alloué au ministère de la culture double dès 1981. Mais plus encore, on retiendra l’élargissement du champ culturel avec la reconnaissance de pratiques artistiques jugées mineures comme la bande dessinée, la danse de rue, les arts de la mode ou bien encore le design. La création de la fête de la Musique en 1982 ainsi que la politique de soutien aux livres (la loi sur le prix unique) résument assez la volonté de démocratisation de ces années flamboyantes, avec un formidable soutien d’un Etat partenaire.
Alaïa, Mugler, Montana, Elizabeth de Senneville. Et les autres. Des créateurs en folie
Ni stylistes, ni couturiers. Mais des artistes. Avec un lieu : le trou des Halles et le futur centre Pompidou en lieu et place des adresses de l’avenue Montaigne. Avec un mot d’ordre de Mitterrand « les pays sans mode sont plutôt gris. Ce sont les pays de l’uniforme ». Avec une vêtement homme devenu culte : la veste au col Mao de Thierry Mugler.
On se souvient tous, enfants des sixties, du total look en denim de Marithé et François Girbaud et la queue invraisemblable devant leur magasin de la rue Etienne Marcel. L’engouement pour le sportwear et l’aérobic de Véronique et Davina qui trouvent un écho dans les collections d’Agnès b. On sculpte les corps et ils apparaissent somptueux dans les cuirs souples et l’élasthanne noir d’Azzedine Alaïa. Épaules larges gonflées aux épaulettes chez les hommes comme chez les femmes, pantalons à pinces, escarpins à hauts talons dessinent une silhouette ambitieuse et conquérante. On retiendra surtout de l’exposition les couleurs clinquantes d’un Mugler, le génie de son extravagance dans le défilé spectacle qu’il a inventé, ainsi que les créateurs japonais comme Issey Miyake et sa mode minimaliste.
Un design réinventé et prolifique
Le 23 rue Beaubourg : la galerie de Nestor Perkal, l’un des premiers à représenter le groupe italien Memphis, un choc esthétique encore aujourd’hui, qui a inspiré nombre d’artistes français, et pas seulement dans le mobilier et l’objet. Une révolution à la clé : le meuble ne se définit pas par sa fonction mais par l’imaginaire et le sens qu’il dégage. La fabuleuse bibliothèque Carlton d’Ettore Sottsass son leader, multicolore, ludique et pop, reste emblématique d’un mobilier inclassable. Tout comme le mobilier Totem, un groupe de quatre artistes lyonnais, avec ses chaises et sa table loufoques, sa lampe zig-zag aux aplats jaunes vifs, issues d’une inspiration trouvée dans la bande dessinée. Les industriels ne suivent pas ces innovations artistiques et nombre de ces meubles sont uniques ou en série très limitée. La création du VIA (Valorisation pour l’Innovation dans l’Ameublement), fondé par le ministère de l’industrie en 1979 a donné un sérieux coup de pouce à tous ces artistes, dont a profité Philippe Starck et son décor du Café Costes au coin des Halles. D’autres limitent volontairement leurs éditions car il s’agissait de s’ériger contre la fonctionnalité en série des plastiques colorées des seventies. L’Etat lui-même est le commanditaire d’œuvres mobilières aux designers comme Jean Michel Wilmotte et André Putman, entre autres, pour moderniser les appartements privés de l’Élysée et le bureau de Jack Lang. L’exposition présente en son centre une galerie très riche de meubles et objets fous, audacieux, comme la verseuse en métal argenté d’Olivier Gagnère ou la lampe-lune de Garouste et Bonetti, ou encore la cafetière altière d’Aldo Rossi, un best-seller des années 80.
L’âge d’or de la pub
Qui ne se souvient pas, enfant des eighties, de la pub « le 2 septembre j’enlève le haut « le 4 septembre, j’enlève le bas »… et le 4 au matin ? Myriam s’est retournée en montrant ses fesses avec le slogan « l’afficheur qui tient ses promesses ». Réaction immédiate des féministes Gisele Halimi et Yvette Roudy qui se scandalisent que l’on expose ainsi le corps de la femme à des fins commerciales… Aujourd’hui, le mouvement Meetoo leur rendrait raison.
Des pubs fameuses, vraiment, comme celle de Wrangler présentant un fœtus en jeans avec le slogan « Wrangler, taillé pour l’aventure » et puis celles de Benetton prônant la mixité des races. Un homme singularise à lui seul la créativité publicitaire des eighties : Jean Paul Goude, un poète dans son genre avec sa femme et égérie Grace Jones. Le clip vidéo enchante, pas seulement en musique avec les Jackson’s five mais avec le « bref métrage », des microfictions imaginatives, narratives et si ludiques. Formidable de les revoir.
Les années 80, à coup sûr, forment une unité remarquable avec le temps et que l’on identifie facilement à l’ère Mitterrand. Mais plus sûrement à un mouvement libératoire, épris d’une énergie folle de vie cherchant à dépasser, dans l’explosion stylistique et la dérision, les ombres de son époque.
Années 80
Musée des Arts décoratifs
107 rue de Rivoli
13/10/2022 au 16/04/2023