Fin 2017, le tableau «Salvator Mundi » attribué initialement à Léonard de Vinci (depuis, des doutes quant à son créateur se sont multipliés) été vendu par la célèbre maison de vente aux enchères «Christie’s », pour 450 millions de dollars, (382,3 millions d’euros). Cette peinture sur noyer des années 1500 était dès lors le tableau le plus cher du monde et l’est resté à ce jour. Les records passés sont pulvérisés: « le Portrait du Docteur Gachet » de Van Gogh adjugé 137,7 millions de dollars en 1990, « Les femmes d’Alger » de Picasso vendu pour quelque 161,5 millions de dollars en 1955, ou le «Untitled» de Basquiat pour 110,7 millions de dollars en 2017. Aujourd’hui, pour ces prix, on n’a plus rien!
L’art de claquer du fric dans l’art
La mondialisation-financiarisation de l’économie ne recule décidément devant rien. La vente de ce tableau, Salvator Mundi, représentant un «Christ», à un prince héritier d’Arabie Saoudite, qui devait initialement être exposé au Louvre d’Abu Dhabi, laisse songeur… et interroge sur l’état du «marché de l’art». Un marché qui porte bien son nom, sur lequel les goûts et les modes qui font et défont la valeur des artistes et la cote des œuvres, répondent à de curieuses logiques.
Quelle peut être désormais la place des musées ? On sait qu’avec des budgets de plus en plus réduits, ils ne pourront plus jamais acquérir des œuvres qui atteignent de tels prix, privant ainsi un public toujours plus nombreux, avide d’art et de culture, de pouvoir découvrir certains chefs-d’œuvre. Heureusement, certains avaient fait leurs courses auparavant, permettant à de très belles pièces d’être présentées au public.
Quelle est l’origine des fonds des acheteurs?
L’opacité est encore assez grande sur le marché de l’art et les préoccupations à caractère géopolitiques des acheteurs peuvent inquiéter. Dans le Figaro du 20/21 janvier 2018, on pouvait lire: «Acheter un tableau est devenu un produit marketing très rentable, en termes d’investissement et d’image. Le «Salvator Mundi» est le symbole même de ce fameux «soft power» qui permet d’exercer une influence sur la scène politique et économique. La toile est de toute évidence le fruit d’une alliance entre l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis contre le Qatar, qui jusque-là dominait le marché, après les achats retentissants des «Joueurs de cartes» de Cézanne pour 250 millions de dollars en 2011 – et de «Quand te maries-tu?» de Gauguin acquis pour 300 millions de dollars en 2015».
Sur quels critères se baser pour qualifier une œuvre de «chef-d’œuvre»? «Avant c’était la qualité, maintenant c’est le prix, poussé par une politique de garanties des maisons de ventes!» peut-on lire dans la presse spécialisée. Un tel constat peut atterrer, mais il confirme que la création n’est plus tout à fait ce qu’elle était. Aujourd’hui, l’heure est à la création… de richesses!
Des riches de plus en plus riches…
Qui peut acquérir des œuvres à de tels prix? Le marché de l’art a désormais fait de la valeur et de la spéculation économiques son Veau d’or. Il y a 50 ans, il existait quelques millionnaires dans quelques pays, tout le monde a entendu parler des ROCKEFELLER ou des ROTSCHILD… Depuis 20 ans, avec le développement des économies chinoise, indienne, d’Amérique du Sud… le nombre de milliardaires a explosé. En 2017, les 500 hommes et femmes les plus riches du monde possédaient 5300 milliards de dollars, c’était plus que le PIB de la France ! La fortune cumulée de tous ces «super- riches» avait bondi de 900 milliards de dollars. C’était quatre fois plus qu’en 2016 ! Ces milliardaires, une fois qu’ils ont acheté maisons, yachts, bijoux… achètent de l’art, investissement «flatteur» et valorisant pour eux. Passer pour un homme de goût importe à leurs yeux et l’art devient alors un placement demandé et un investissement très rentable, alors que les banques affichaient des taux d’intérêt négatifs et prêtaient à tour de bras
Quel avenir pour ce marché?
Les experts du marché de l’art prédisent que, d’ici quelques années, le «Salvator Mundi» pourrait valoir le double de son dernier prix de vente ! Le milliard de dollars serait bientôt atteint, grâce aux folles surenchères auxquelles se livrent les nouveaux milliardaires d’Asie ou d’ailleurs, de plus en plus nombreux à investir dans l’art. «Le boom des milliardaires n’est pas le signe d’une économie prospère, mais un symptôme de l’échec du système économique» indique le dernier Rapport annuel de l’ONG OXFAM consacré aux inégalités dans le monde.
Van Gogh ne se serait peut-être pas suicidé !
Ceux qui pensaient que l’art n’était qu’histoire de création et d’imagination, en seront donc pour leurs «frais». Dans ce domaine comme dans d‘autres, la normalisation imposée par la marchandisation de l’économie mondiale est à l’œuvre. De quoi glacer les «amateurs» et les artistes pour lesquels la création est «affaire» de nécessité intérieure et qui voient, impuissants, le marché chasser les records et s’offrir la beauté au même titre que des voitures, des yachts ou des domaines immobiliers. Mais, peut-être qu’en créant de telles oasis de richesses au milieu d’immensités de pauvreté, ils s’exposent à des risques incommensurables?
À son époque, Jean FERRAT avait déjà exprimé dans sa chanson « Les Tournesols» (1991) sa colère et son dégoût face aux sommes mirobolantes atteintes par les œuvres de Van GOGH, alors que le peintre est mort dans la misère et n’avait vendu qu’une seule toile de son vivant! Seule consolation: on peut rêver que si Van GOGH vivait aujourd’hui, il aurait été reconnu de son vivant, comme c’est le cas pour bon nombre d’artistes contemporains, et qu’il ne se serait peut-être pas suicidé!