“Mister Brainwash” à Beaubourg en 2015
Ce qui avait différencié l’exposition Jeff Koons, de février 2015, d’autres expos du moment c’est qu’elle avait été bruyante…
Le public est celui d’un parc d’attractions. Il pose devant les sculptures comme au pied du Sacré-Cœur. Le Profane ayant pris toute la place, le recueillement n’est pas de mise dans ce bric-à-brac où se côtoient publicités, électroménager, ballons, gonflables : Titi, Rabbit, Batman, Louis XIV, Hercule, Le Christ, Buster Keaton, Michael Jackson, la Cicciolina et j’en passe. La collection Jeff koons a fait son show à Beaubourg, montée pour le grand public qui trouve sans doute dans cet éclectisme, la légèreté, l’amusant, le divertissant, le séduisant, le facile à comprendre, dont l’art a tout de même besoin… Zut alors!
L’œuvre est celle d’un homme grandi en Pennsylvanie, dont le père a tenu une boutique de décoration intérieure, que l’on suppose achalandée de tout ce qui fait l’inspiration de l’artiste. Nous pataugeons dans une grande soupe «Campbell», sans goût, où grand patrimoine et gadgets se mêlent et s’emmêlent sans distinction, le tout réalisé à la perfection dans un acier inoxydable, poli miroir et vernis transparent. La matière est lisse, sans aspérité, parfaite illusion du plastique gonflable.
La culture de masse implique t-elle l’icônisation de la bimbeloterie ?
Je ne comprends pas mon énervement. Moi qui ai des goûts populaires, qui suis folle des poupées gonflables en plastoc «made in china» vendues à trois sous dans mon pays d’origine, qui adore les films d’amour, les romans photos, Voici et Paris Match, qui ne détesterai pas m’acheter un David dans une pompe à essence. Mais qu’est ce qui m’a mise si mal à l’aise dans cette expo à Beaubourg? Moi qui ai lu Jodelle et Barbarella, qui ai grandi avec Claes Oldenbourg, Yayoi Kusama, Andy Warhol… je devrais retrouver mes petits quand même! Est-ce le comportement indélicat d’un public heureux de se retrouver en bande dans cet univers «cartoon» et forain, un brin pornographique, qui lui est familier? Dois-je me réjouir de ce que cette culture de masse, dont Jeff Koons est l’indiscutable ambassadeur, fasse enfin son entrée au musée?
L’ex-trader n’aurait-il pas plutôt le rêve de faire le plus gros chiffre, d’atteindre la plus haute côte du monde et de battre tous les records de « visiomat » ? Et de toucher le plus grand nombre, ne raisonne-t-il pas avec les grands rassemblements populaires d’un autre temps, dont nous connaissons certains de triste mémoire.
Dois-je, au nom de cette course à la reconnaissance et au bling bling d’un chef d’entreprise de l’art, céder, en étant là, à la trop populaire peur de l’art, peur de la culture, haine de la culture?
Cet amateur de Dali et Marcel Duchamp, pour seules références, auteur de «ready-made», infaillible recycleur et reproducteur, nous rend otages de son cynisme d’homme d’affaires, mettant ainsi à mal humour et poésie. L’humour, la poésie, l’émotion ayant disparu de ces lieux, que nous reste-t-il sinon morgue et vulgarité coulées dans cette matière infiniment séduisante et lumineuse qu’est l’inox. L’expo Jeff Koons posant sa bimbeloterie polychrome, c’est un peu comme le cirque Buffalo exhibant ses célèbres cowboys en bout de course, c’est un peu comme Lola Montes et la femme Otantote ayant terminé dans une cage pour le bon plaisir d’un public malsain.
Copiste jusqu’au dévoiement
L’atmosphère est ici nostalgique et dépressive. Il se dégage de la réinterprétation des thèmes du «cartoon», de la bande dessinée, du glamour, de ces joujoux et produits dérivés, une certaine laideur. Dans cette soif de reproductibilité, il se produit une abâtardisation des formes reproduites, un glissement progressif vers ce qui est laid, comme ce qui s’est passé entre les premiers et les derniers des films de Walt Disney. Pas producteur mais reproducteur, pas créateur mais recréateur, copiste jusqu’au dévoiement. Les sculptures de Jeff Koons me rappellent celles de l’EUR (célèbre quartier mussolinien dans la banlieue de Rome) et celles contemporaines de la Sagrada Familia de Barcelone, tristes figures de pierre qui ne sont que l’ombre des premières.
C’est à Monsieur et Madame Pompidou que je pense aujourd’hui, à ce courage de porter l’art d’un temps, à ce plaisir de la modernité. Auraient-ils aimé Koons comme ils ont aimé Buren, Adami, Pol bury, John Cage, Jean Prouvé, Renzo Piano, Richard Rogers et tant d’autres? C’est la question que je me pose tout en ayant la timide impression de voir arriver l’affaissement du monde. Comment en arrivons-nous là ?
Bon à boire à la paille
La «culture Canigou» aurait-elle envahi le monde de l’art: Bon à boire à la paille et à manger pareil à chiens sans dents. Jeff Koons aurait-il des actions chez Moulinex? Regarder cet art c’est être dans le mépris de tout ce qui est, c’est nager ensemble dans l’immaturité de cette culture de «l’Entertainment», c’est danser avec les majorettes en se moquant des majorettes et oublier à quel point nous avons adoré, petits et dans la candeur de l’enfance, le train fantôme et la barbe à papa.
Myriam Boccara, peintre