Depuis la parution, en 2016, d’un recueil tentant de raviver le souvenir de Jean-Pierre Rosnay1, et de son inoubliable «Club des poètes», qui fut le théâtre de tant et tant de récitals durant des décennies, on note un véritable retour du souvenir de l’auteur et du dynamique animateur Rosnay, pourfendeur d’idées reçues, et qui fut, dans sa jeunesse, un des plus jeunes résistants de France et qui ne délaissa jamais sa verve défendant un réel égrégore entre les poètes les plus divers de son époque. Ceux qui l’ont connu ne peuvent l’oublier.
Il aimait à répéter: «Je ne suis né que pour quelques poèmes / Qui m’aime m’oublie par amour de moi / Rien n’est plus urgent que la vie». Jean-Pierre Rosnay, selon Raymond Queneau, qui l’introduit en son temps chez Gallimard, était «un des poètes les plus décisifs de son temps». Il était même d’une fin de siècle où l’on osait ne pas être obscur, sans doute attiré par la lyre inspirée de Louis Aragon, de Norge, d’Henri Michaux aussi. Avec sa muse «préférée» Marcelle et son excellent groupe de «poémiens». Il réussit même à animer une émission de poésie à la télévision que lui jalousèrent beaucoup de ses «collègues» souvent imbus d’eux-mêmes. Certes, quelques intellectuels prétentieux – il y en a toujours! – trouvèrent Rosnay trop proche du «peuple», trop simple et direct dans l’expression, mais son «Club» ne trouva jamais, à vrai dire, un concurrent réel. Et j’entendrai longtemps encore Marcelle nous restituer «par cœur», près du percolateur des muses émerveillées, le «Transsibérien» ou «Pâques à New-York», de Blaise Cendrars.
Nous avions à peine vingt ans, quand nous consommions d’une traite le coca-cola des pauvres (toujours trop cher!) après avoir récité des textes de notre cru, très tard, devant les passionnés du «Club» et avant de repartir dans la nuit de Paris, pour rentrer chez soi avec le dernier métro… Je rêvais alors d’être reconnu comme poète par les derniers clochards de la rue et les filles de joie tristes qui ne me faisaient même pas désirer sous la dernière caresse du vent. Marcelle avait toujours le sourire. Elle semblait régenter l’avènement des jeunes poètes. Et j’appris par elle, des saisons plus tard, que ma future épouse (Danny-Marc), coiffée à la mode «Jane Seberg», chantait et jouait de la guitare au «Club», en compagnie de Marcel Mouloudji.
Tout me revient en mémoire, par vagues. Et Rosnay écrivait même: «Tout sera englouti, tout – excepté l’amour». L’essentiel était à ses yeux de «tenir l’âme en état de marche / Tenir l’âme au-dessus de la mêlée / Tenir les promesses de son enfance /Tenir tête à l’adversité / Ne pas se laisser emporter par le courant»… J’aime à le répéter: à relire Rosnay, «on est attaqué du dedans». Tous ses poèmes sont restés en effet «habitables» et amis de la mémoire. Et l’on se souvient alors d’Émile Henriot, écrivant dans Le Monde: «Jean-Pierre Rosnay ne se croit pas obligé d’être obscur…la porte est ouverte, et il y a quelqu’un pour nous». En effet. En ce début de vingt-et-unième siècle, il y a encore «quelqu’un pour nous». Et là est le miracle. Et quelqu’un d’extrême importance.
Les récitals organisés au «Club des poètes», rue de Bourgogne, proposaient au public les plus grands poètes vivants de l’époque d’après guerre: Louis Aragon, Raymond Queneau, Pablo Neruda, Henri Michaux, Norge… Rosnay diffusa même un essai avec Isidore Isou et anima durant des années un groupe de Jeunes Auteurs Réunis (JAR) qui organisèrent l’enterrement de l’existentialisme! Quant à cette résistance active et combattante, Jean-Pierre Rosnay, dès l’âge de seize ans, dans l’ombre complice des forêts du Vercors, y joua un rôle héroïque. Et, à ce sujet, il aimait à préciser: «l’histoire devra distinguer les poètes qui firent une résistance lyrique, mais passive, de ceux qui se donnèrent le moyen d’écrire en combattant sur le tas, si j’ose dire, tels Robert Desnos, déporté, mort au camp de Térézin, Max Jacob, mort au camp de Drancy ou Manouchian fusillé par les nazis au Mont Valérien». D’ailleurs Rosnay parlait plutôt d’une fraternité d’âme que d’armes. Il avait appartenu à la Franc-maçonnerie, au Grand Orient, mais c’est la Grande Loge de France, rue de Puteaux, qui lui rendit un hommage post-mortem. Par ailleurs, Jean-Pierre Rosnay assura longtemps une chronique de poésie contemporaine dans la revue La Chaîne d’Union, une autre dans Humanisme. Il vécut sous les auspices de la fraternité, affirmant autour de lui: «Ce qu’il y a de grave, ce n’est pas de mourir, c’est de ne pas avoir vécu».
1. Jean-Pierre Rosnay, Préface de Jean-Luc Maxence, Collection «Poètes trop effacés», n° 13 (Le Nouvel Athanor, 2016)
2. Jean-Luc Maxence / Élizabeth Viel, Anthologie de la poésie maçonnique et symbolique, Préface de Alain-Jacques Lacot, Avant dire de Jean-Luc Maxence, Postface de Jean-François Pluviaud (Dervy, 2007)