Dans Impossible, son dernier livre, Erri De Luca, l’auteur italien parmi les plus aimés en France, nous entraîne en montagne, dans les Dolomites. «On part en montagne pour éprouver la solitude, pour se sentir minuscule face à l’immensité de la nature». C’est sur un sentier escarpé, la vire du Bandiarac, en Val Badia, endroit dangereux parcouru dix ans auparavant, par l’auteur alpiniste, que l’intrigue de cette histoire impossible va se nouer. Ainsi l’on passera des cimes abruptes à ce que l’on imagine être une salle, lieu de l’interrogatoire qui va se dérouler tout au long des 172 pages. «Rencontre improbable, impossible coïncidence surtout, pour le magistrat chargé de l’affaire et qui tente de faire avouer à celui qu’il considère comme le suspect d’un meurtre dont il pense qu’il aurait été prémédité».
L’auteur fait le récit précis d’un échange à huis clos qui prend la forme d’un interrogatoire très serré, tendu et délibérément présenté dans une typographie reprenant celle des procès verbaux. Ce dernier roman, sur fond d’autobiographie, se développe telle une partie d’échecs, au bord de la forme poétique et théâtrale. L’auteur y déploie avec élégance son écriture soignée, directe, sobre et invite le lecteur à partager le souvenir des années de plomb en Italie, notamment de la lutte révolutionnaire qu’il connaît bien, à l’inverse du magistrat qui l’interroge et qui n’en connaît rien. Entre détermination et désespoir, le présumé accusé tente patiemment d’expliquer à l’homme de loi. Seules les lettres écrites à l’aimée depuis la cellule d’isolement (mais qu’il n’enverra jamais) offrent une respiration, une suspension, dans ce face-à-face éprouvant et poignant.
Le drame auquel l’auteur associe le lecteur est l’occasion d’«une riche réflexion sur l’engagement, la justice, l’amitié et la trahison». Autant de thèmes fréquemment éclairés par Erri de Luca écrivain, alpiniste chevronné et militant. Tout au long des pages la tension du roman jamais ne se relâche. On se ronge les ongles, on le lit d’une traite! Intellectuel autodidacte, ex-militant d’extrême gauche et ouvrier pendant vingt ans, Erri De Luca s’est forgé un style inimitable qui puise dans une épaisseur humaine rare. ” Je suis resté quelqu’un qui regarde le monde d’en bas et non de la fenêtre d’un étage supérieur “, déclare-t-il dans une interview récente. Faisant figurer dans l’exergue du roman une citation d’Isaac Bashevis Singer: C’est impossible, cela n’a pas pu se passer et puis un an ou deux après, c’était devenu vrai.
À lire absolument
Impossible – Editions Gallimard, 2020, 172 p – 16,30 euros