Taras Hryhorovytch Chevtchenko (Тарас Григорьевич Шевченко) (1814 -1861) est un poète, peintre, ethnographe et humaniste ukrainien.
Né dans une famille de paysans serfs, il est orphelin à l’âge de douze ans. En 1829, il devient serviteur chez un seigneur qui l’envoie à l’Université de Vilnius suivre les cours du peintre Jan Rustem. En 1831, il poursuit son apprentissage durant 4 ans en compagnie du peintre Shiriaev à Saint-Pétersbourg.
En 1838, Taras Chevtchenko s’inscrit à l’Académie impériale des beaux-arts de Saint-Pétersbourg et y fait ses études sous la direction de Karl Briullov. En 1840 “Kobzar” (Le Barde), son premier recueil composé de huit poèmes romantiques, est publié à Saint-Pétersbourg. Pour illustrer son poème “Kateryna” écrit en 1838-1839, Chevtchenko peint, en été 1842, le tableau éponyme qui reste de nos jours une des images emblématiques de la peinture ukrainienne. Auteur de poèmes considérés comme politiquement subversifs il sera exilé en 1850. Ce qui ne l’empêchera pas de créer des aquarelles et dessins et d’écrire de nombreuses nouvelles en russe. Il sera libéré de cet exil militaire en 1857 et surveillé par la police jusqu’à sa mort.
Il est considéré comme le plus grand poète romantique de langue ukrainienne. Figure emblématique dans l’histoire de l’Ukraine. Sa vie et son œuvre font de lui une véritable icône de la culture de l’Ukraine et de la diaspora ukrainienne au cours des XIXe et XXe siècles.
(Source : Babelio)
Il est la personnalité qui compte le plus de statues à son effigie dans le monde, juste derrière Jésus-Christ. Il est pourtant tout à fait inconnu du grand public en dehors de l’Ukraine et de sa diaspora. Taras Chevtchenko est le peintre et poète qui a prophétisé la liberté de l’Ukraine contre l’empire russe au XIXe siècle.
(Source : France culture (https://www.franceculture.fr)
Testament
Quand je serai mort, mettez-moi
Dans le tertre qui sert de tombe
Au milieu de la plaine immense,
Dans mon Ukraine bien-aimée,
Pour que je voie les champs sans fin,
Le Dniepr et ses rives abruptes,
Et que je l’entende mugir.
Lorsque le Dniepr emportera
Vers la mer bleue, loin de l’Ukraine,
Le sang de l’ennemi, alors
J’abandonnerai les collines
Et j’abandonnerai les champs,
Jusqu’au ciel je m’envolerai
Pour prier Dieu. Mais si longtemps
Que cela n’aura pas eu lieu
Je ne veux pas connaître Dieu.
Vous, enterrez-moi, levez-vous,
Brisez enfin, brisez vos chaînes,
La liberté, arrosez-la
Avec le sang de l’ennemi.
Plus tard dans la grande famille,
La famille libre et nouvelle,
N’oubliez pas de m’évoquer
Avec des mots doux et paisibles.
(Pereiaslov, le 25 décembre 1845)
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Je ne vais pas mal, Dieu merci
Je ne vais pas mal, Dieu merci,
Mes yeux y voient encore un peu,
Le cœur attend. Il me fait mal,
Le cœur pleure et ne s’endort pas,
Ainsi qu’un enfant mal nourri.
Tu attends, sans doute, mon cœur,
Des temps durs ; n’attends rien de bon.
Pas la liberté désirée.
Elle dort. Le tsar Nicolas
L’a mise en sommeil et, crois-moi,
Cette chétive liberté
Pour la réveiller tout d’abord,
Il faut nous mettre tous ensemble
À tremper la tête de hache,
À tous aiguiser son tranchant,
Ensuite seulement nous mettre
À la réveiller. Autrement,
La pauvre, elle devra dormir
Et jusqu’au Jugement dernier.
Tous ce que pourront les seigneurs
Ils le feront pour la bercer.
Ils en élèveront des temples !
En élèveront des palais !
Ils aimeront leur tsar ivrogne
Et le glorifieront ainsi
Que son régime byzantin –
C’est cela qui nous attendrait.
(Saint-Pétersbourg, 1858)
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Oh ! Vous les hommes
Oh ! vous les hommes, vous les pauvres hommes,
Qu’avez-vous donc à faire avec des tsars ?
Qu’avez-vous donc à faire avec des piqueurs ?
Vous êtes des hommes et pas des chiens !
C’est la nuit, le verglas, il bruine,
Il neige, il fait froid. La Néva
Passe en silence sous le pont,
Porte un fin glaçon quelque part.
Moi dans la nuit, je vais aussi,
Je marche et je tousse en marchant.
Et je vois : comme des agneaux
Vont des fillettes négligées ;
Derrière elles, courbé, boitant,
Marche un vieillard et l’on dirait
Qu’il conduit à la bergerie
Un bétail qui n’est pas à lui.
Où se trouve ce monde-ci ?
Existe-t-il une justice ?
On pousse, nues et affamées,
Ces bâtardes vers la Tsarine
Lui rendre les derniers devoirs,
On les pousse comme un troupeau.
Y aura-t-il un jugement ?
Y aura-t-il un châtiment ?
Pour les tsars, pour les fils des tsars ?
Un jugement sur cette terre ?
La vérité régnera-t-elle
En ce monde, parmi les hommes ?
Il faut que cela soit, sinon
Le soleil arrêtant sa course
Brûlera la terre souillée
(Saint-Pétersbourg, 3 novembre 1860)
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Ça m’est bien égal
Que je vive en Ukraine ou non,
Après tout, ça m’est bien égal.
Que l’on se souvienne de moi,
Que l’on oublie mon existence,
Moi dans la neige à l’étranger,
Après tout, ça m’est bien égal.
J’ai grandi dans la servitude
Et c’était chez des étrangers,
En esclave je mourrai
Sans voir les larmes de mes proches.
Dans ma vie ne restera pas
La moindre trace, pas de signe
Dans notre valeureuse Ukraine
Dont la terre n’est pas à nous.
Père et fils m’auront oublié ;
Le père ne lui dira pas :
« Prie, mon fils, prie Dieu pour l’Ukraine. »
On l’avait tourmenté jadis,
Martyrisé jusqu’à la mort.
Ça m’est bien égal si son fils
Fait ou ne fait pas ses prières.
Mais cela ne m’est pas égal
Que par des hommes faux, méchants,
Notre Ukraine soit endormie
Et qu’après l’avoir dépouillée
Ils la réveillent par le feu.
Non ! Cela ne m’est pas égal.
(Saint-Pétersbourg, en prison, 1847)
Ces poèmes de Taras Chevtchenko sont issus de son recueil “Kobzar“. Ils ont été écrits en Ukrainien et traduits en 1964 par Eugène Guillevic, à partir d’une transcription du Russe.