Le 15 mars 1968, le journal Le Monde publiait un éditorial titré « Quand la France s’ennuie », dont les observateurs avisés jugèrent qu’il était prémonitoire des événements qui agiteront le Pays au mois de mai suivant. Il est intéressant de rapprocher ce diagnostic du fameux « La France est une nation qui s’ennuie » proféré par Lamartine1 à l’adresse de Louis Philippe, jugé incapable de maîtriser les bouleversements sociaux nés de l’industrialisation.
La tentation est grande de rapprocher ces mises en garde historiques de celle qui est en train d’enrichir le tableau clinique déjà chargé des Français, largement documentée par les docteurs en sciences politiques, en économie, en sociologie ou en psychologie, selon lesquels « la France est fatiguée.
Car si les experts s’accordent à considérer que la pandémie de Covid-19 a aggravé le niveau de fatigue des Français, il était largement présent en amont des bouleversements que le Coronavirus a provoqué. Début 2010, le Médiateur de la République relevait déjà une « usure psychique » de la société, indiquant dans son rapport annuel2 qu’elle était atteinte d’un « burn out » révélateur d’une perte de confiance en l’État. Ils précisent par ailleurs que la fatigue n’est pas seulement « physiologique », mais qu’elle s’accompagne d’une lassitude psychologique, nourrie de défiance à l’égard des élites et des institutions et d’une inquiétude face à l’avenir. Si ce syndrome dépressif n’est pas une spécificité hexagonale, il y semble plus répandu que dans les autres pays européens, y compris dans ceux dont la santé économique est plus fragile et la situation sociale moins enviable.
Dans une note publiée une première fois en octobre 2020, et enrichie en novembre, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) met en garde les États face à cet état de lassitude ambiant.
Cet état des lieux peut porter à penser que, comme toutes les crises, celle-ci finira par passer. Cet optimisme risque néanmoins de laisser le champ libre aux affrontements des plus extrêmes, opposant les tenants du « c’était mieux avant » aux fanatiques de la 6ème extinction, sans compter les paranoïaques d’une pandémie fabriquée de toute pièce et les zélateurs du grand remplacement, tous faisant planer un grand danger sur la pérennité de la démocratie.
C’est pourquoi il semble prudent et plus utile d’analyser la réalité de la fatigue ambiante, d’en cerner les origines, d’en évaluer les dommages et d’en identifier les solutions possibles.
Le lexique de la fatigue en dit long sur la diversité de l’impact de la fatigue : on se dit « claqués, crevés, lessivés, vidés… », victimes d’un « coup de pompe », d’un « passage à vide », qu’on est « au bout du rouleau » ou encore qu’elle « nous tombe dessus » ou que l’on est « morts de fatigue »…
D’un point de vue médical, il est classique de distinguer la fatigue physiologique (normale) résultat d’un effort physique intense ou d’un stress émotionnel repéré et la fatigue pathologique, symptômes de maladies bien identifiées, soit organique (maladie infectieuse, cancer, maladie métabolique ou hormonale, maladie neurologique…) soit fonctionnelle d’origine psychique ou psychiatrique (dépression et névrose). Les limites de toute classification sont à la marge, là où se trouve la fatigue subjective, fatigue ressentie qui n’est pas sans retentissement sur la santé par son expression psychosomatique. Lorsque la diminution du pouvoir fonctionnel, la diminution de l’activité qui en résulte n’est plus réversible par le repos, c’est un signe d’usure (plus ou moins prématurée) ou d’une altération de structure. Les spécialistes distinguent la fatigue hors travail et la fatigue professionnelle, dont les causes respectives sont souvent distinctes mais dont les symptômes se ressemblent, soulignant les interactions de l’une sur l’autre.
Le Covid-19 est à l’origine de plusieurs symptômes dont la fatigue, qui fait partie des plus fréquemment rencontrés et se caractérise par des pics de fatigue et/ ou des baisses d’énergies soudaines qui ne sont pas régulières et peut persister quelque temps après l’infection. Lorsque cette fatigue post-Covid, dure plus de 3 mois suivant l’infection, il s’agit d’un syndrome de fatigue chronique qui nécessite la consultation d’un médecin.
Des indicateurs convergents
Au cours des derniers mois, entre les attentats terroristes, les manifestations des gilets jaunes, l’incendie de Notre-Dame de Paris et d’autres tensions qui ont traversé la société, près d’un Français sur deux a connu un épisode de fatigue persistante, qu’il s’agisse de fatigue physique, psychique ou intellectuelle. Plusieurs indicateurs permettent d’évaluer précisément la forme de cette fatigue, ses effets, ses victimes, ses causes et la manière dont les personnes concernées ont tenté de la réduire.
À la question « Quel sentiment caractérise votre état d’esprit actuel ? », la fatigue arrive en tête des réponses avec 17%, suivie de l’incertitude (15%) et de l’inquiétude (15%). Les femmes de moins de 35 ans sont les plus épuisées (26,5%), suivies des employés (22%) et des agriculteurs (21%). L’espoir ne recueille que 25 %, la confiance 21 %, le bien-être 19 %, la sérénité 18 %, la révolte et la colère 14 % chacune3.
Toutes les catégories de Français sont concernées. Les personnes les plus exposées sont celles qui souffrent de précarité, d’un manque d’interaction sociale, d’antécédents psychiatriques ou sont mal informées. Les plus touchées sont les moins de 20 ans dont la santé mentale est altérée pour 1 étudiant sur 2 4. Cette situation n’est pas spécifiquement française. Une étude réalisée dans 10 pays révèle que les jeunes de 18 à 24 ans rapportent 6 fois plus d’idées suicidaires que les plus de 60 ans. Ce risque est plus élevé chez ceux dont les proches ont été infectés par le Covid, qui ont peu de soutien social, qui sont exposés aux médias plus de 3 heures par jour et qui ont des antécédents de difficultés psychologiques. Et, en 2020, l’espérance de vie mondiale a connu sa plus forte baisse depuis la Seconde Guerre mondiale 5.
En France, la fatigue se traduit surtout par un sommeil ou un repos non-réparateur, une humeur maussade, un manque de dynamisme, une baisse ou un ralentissement de l’activité et une réduction de la motivation. En général, la fatigue est attribuée à la maladie (surtout chez les personnes âgées), aux soucis personnels, qu’ils soient d’ordre privé ou professionnel, au surmenage physique (notamment chez les ouvriers et les agriculteurs), au surmenage intellectuel (spécialement pour les moins de 20 ans, les étudiants et les cadres supérieurs), à un sommeil perturbé ou à un événement occasionnel important dû à un accident ou au décès d’un proche6. La fatigue est donc assez fortement corrélée à des caractéristiques individuelles, mais elle est aussi liée à des conséquences de la situation sanitaire, telles que la dégradation de la situation financière, le confinement à domicile, la limitation du droit de circuler et, bien entendu, la survenue de symptômes du Covid 19 7.
La fatigue est traitée par des médicaments dans près de la moitié des cas, le plus souvent prescrits par un médecin, surtout chez les personnes de plus de 60 ans, , plus rarement par un pharmacien, 10 % seulement des Français ayant recours à une automédication.
Des effets potentiels alarmants…
Les données quantitatives ont le mérite de mesurer des faits, mais elles peuvent induire que « ce qui n’est pas mesuré n’existe pas ».
D’où l’intérêt de l’initiative de la Fondation Jean-Jaurès et de la CFDT qui ont réuni plusieurs universitaires en sciences sociales8 pour tenter d’éclairer l’impact de la fatigue à partir de données plus qualitatives. Ces experts s’accordent à considérer que la fatigue constatée n’est pas réductible à la « fatigue pandémique » identifiée par l’Organisation Mondiale de la Santé, et qu’elle est « moins une fatigue généralisée qu’une fatigue collective, un état du corps social autant que des individus ». Plusieurs d’entre eux alertent sur les effets potentiels de cette dépression. L’historien Patrick Boucheron rappelle que la fatigue d’un peuple a parfois été le terreau de « grandes catastrophes » et affirme que, s’il faut écouter la plainte de la société, ce n’est « pas seulement par compassion, mais par vigilance politique ». L’économiste Pierre-Yves Geoffard redoute quant à lui que la fatigue « se transforme en épuisement et que cet épuisement paralyse toute envie d’agir ». Le philosophe Frédéric Worms considère de son côté que cet état « ne conduit plus à la révolte, mais à la défection » comme le montre la « désertion » observée chez les soignants victimes de « la perte de sens social de leur travail ».
… notamment en France
Depuis longtemps, la France est considérée comme un pays « pessimiste » comme le révèle la fameuse formule de Sylvain Tesson, observateur avisé de l’état d’esprit des nombreux pays qu’il visite en sa qualité d’écrivain-voyageur : « La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer 9». Effectivement, nombre de témoins étrangers s’étonnent de la déprime hexagonale, alors qu’au terme de deux ans d’une politique du « quoi qu’il en coûte », les campagnes de vaccination ont été assez efficaces, la croissance est de retour, l’emploi a retrouvé son niveau d’avant la crise, le pouvoir d’achat a résisté et l’industrie donne des signes de reprise. Ce constat est notamment partagé par des anglo-saxons, à l’image du titre d’un des plus sérieux média britannique : « France is doing well, but feeling miserable10 », même si Paul Krugman, Prix Nobel d’économie 2008, constate que la récente vague de démissions – « great resignation » – décidée par plus de 4 millions de salariés américains, a épargné le Vieux Continent11.
La fatigue d’être soi
Le mal-être des Français ne s’explique pas par les seuls indicateurs macroéconomiques ou par les nuages qui s’amoncellent à l’horizon (réchauffement climatique, pandémies, inégalités…) Et pas davantage par leur propension à attendre, plus qu’ailleurs, la main secourable de l’État-providence qui s’est largement impliqué dans la recherche de solutions destinées à alléger le poids que la pandémie exerçait sur les citoyens et les entreprises. Il est le symptôme de ce que le sociologue Alain Ehrenberg avait nommé il y a plusieurs années « la fatigue d’être soi »12. Croisant l’histoire de la psychiatrie et celle des modes de vie, il suggérait que cette fatigue est inhérente à une société où la norme n’est plus fondée sur la culpabilité et la discipline, mais sur la responsabilité et l’initiative ; elle est la contrepartie de l’énergie que chacun doit mobiliser pour devenir soi-même et pour réussir, tant dans la sphère professionnelle que dans la sphère privée, et qui impose à tous la maîtrise des mêmes outils : « savoir communiquer, négocier, se motiver, gérer son temps… ». Selon lui, l’individu, même plus libre et autonome, a aussi besoin d’un « être ensemble, au-delà des petites communautés qu’il se crée ». Cette observation explique l’explosion des communautés et du complotisme qui comblent « ce besoin d’être ensemble, de poser des normes communes, de partager des objectifs et des émotions, de s’entraider et de trouver une causalité unique et diabolique 13» aux désordres d’un monde de plus en plus complexe et incertain.
Il ne s’agit évidemment pas de revenir sur la dynamique de l’autonomie et de l’individuation, mais d’éviter une réaction autoritaire et régressive aujourd’hui à l’œuvre, sur fond de choc dépressif. De ce point de vue, proposer, définir, fixer des normes fait partie intégrante du rôle des dirigeants, tout autant qu’écouter, que ce soit en politique ou en entreprise. Peut-être l’ont-ils un peu trop oublié…
Un mal ancien…
L’histoire montre que la fatigue est sans doute moins nouvelle que les penseurs de la modernité le laissent entendre. Georges Vigarello montre14 qu’au fil du temps les symptômes de la fatigue se modifient, que le vocabulaire s’ajuste – « langueur », « dépérissement », « pénibilité »… – que les explications se déploient, que les degrés se précisent et que des revendications se font jour. Les formes « privilégiées » de fatigues, celles qui mobilisent les commentaires, celles qui s’imposent en priorité aux yeux de tous, évoluent. De nouvelles occupations sont apparues et engendrent de nouvelles fatigues. Au 13ème siècle, elles étaient de nature physique, comme celles du combattant fier de défendre sa terre ou celles du pèlerin en quête de rédemption. Au 17ème siècle apparaissent les fatigues « de l’esprit » générées par les avancés de l’éducation et de l’administration. Au Moyen-Âge, on considère que les fatigues des chevaliers et des religieux étaient valorisantes car subies pour le bien commun. Mais il faut attendre la deuxième moitié du 18ème siècle pour qu’une fatigue soit « utile » à certains pratiquants d’activités sportives. C’est au 19ème siècle qu’apparaît une fatigue réellement positive, relevant de la solidarité : celle du médecin, du professeur ou du gendarme, qui rendent service à tous. Jusqu’à l’aube du 20ème siècle, le travail était souvent épuisant. Mais la mécanisation, puis l’informatisation vont créer une nouvelle forme de fatigue. Enfin, l’avènement de la psychologie et le renforcement de la fameuse « écoute de soi », vont rendre chacun plus à l’affût des inconforts, des empêchements, qui sont de moins en moins bien supportés.
… difficile à juguler
Compte tenu de tous les impacts négatifs de la fatigue, elle a toujours été l’objet d’initiatives destinées à la combattre. Dans l’Antiquité, la fatigue se traite par l’absorption de substances reconstituantes, herbes sauvages, poudres et autres décoctions. Au Moyen-Âge, les épices et l’eau sont privilégiées pour compenser « l’évaporation des humeurs ». A ces thérapies seront progressivement ajoutées des produits chimiques et des pratiques de détente et de méditation inspirées de pratiques en cours dans des civilisations orientales, ayant fait leurs preuves pour préserver l’espace intime.
À l’heure actuelle, l’injonction est à la dissimulation de la fatigue et à la démonstration de capacités d’adaptation aux changements, à la vitesse, aux exigences techniques, aux instruments informatiques… Cette pression est d’ailleurs plus forte sur les femmes, qui doivent performer au travail en plus d’endurer une charge mentale et domestique supérieure à celle des hommes. Cette iniquité a d’ailleurs été mise en évidence pendant les périodes de confinement récentes ou les violences conjugales et inter-familiales ont explosé.
S’il est possible de maîtriser la fatigue, il est difficile de l’éradiquer totalement, notamment pour certaines personnes cumulant plusieurs facteurs de fatigue : une quinquagénaire asthmatique, mère isolée, vivant avec ses 2 enfants dans un logement exigu éloigné de son travail, sera plus exposée à la fatigue qu’un jeune diplômé pratiquant régulièrement une activité sportive, résidant dans un centre-ville disposant de nombreuses ressources socio-culturelles, entouré d’un réseau d’amis et partant régulièrement en week-end…
Avec l’épidémie de Covid-19, si 57% des Français ont pris des résolutions pour faire plus attention à leur santé, seuls 37% ont réussi à les tenir. Plusieurs saisons expliquent les difficultés rencontrées dans la tenue de leurs résolutions : la contrainte imposée par ces routines (42%), la nécessité de faire appel aux conseils d’un professionnel de santé (23%), ou encore la difficulté à trouver les bons conseils (14%). Mais le recours aux objets connectés et aux applications pour se faire accompagner dans le suivi de leur santé, particulièrement marqué chez les moins de 45 ans, est considéré comme une alternative intéressante, les Français connectés tenant mieux leurs résolutions que ceux qui ne le sont pas.
Pourtant, bien que très subjective, la fatigue peut être combattue à la condition d’être repérée. Plusieurs tests – échelle de Pichot, Fatigue Severity Scale (FSS), Echelle d’Epworth – permettent d’apprécier l’intensité de la fatigue, mais aussi la façon dont elle impacte les différentes sphères de la vie. Le traitement de la fatigue varie selon sa cause.
Si le médecin ne décèle aucune cause pathologique, il peut prodiguer des conseils d’hygiène de vie et attirer l’attention sur l’usage inadapté de médicaments proposés en pharmacie. Mais leur intérêt par rapport à une bonne hygiène de vie n’est pas bien défini et ils ne la remplacent en aucun cas et, surtout, ils ne doivent pas être utilisés de façon prolongée. Il existe également des médicaments de phytothérapie contenant des extraits de plantes et des oligoéléments.
Mais la fatigue peut revêtir des formes plus graves tels que le syndrome de fatigue chronique, maladie neurologique maintenant reconnue sous le nom d’« encéphalomyélite », qui se manifeste par une fatigue extrême, accompagnée de maux de tête, de difficultés de concentration et de douleurs musculaires. Ce type de fatigue, très difficile à diagnostiquer car il évolue par poussées, doit être traité dans des services de médecine interne ou de neurologie qui préconisent selon les cas des programmes de rééducation fonctionnelle, de thérapie cognitive et comportementale, de relaxation et de méditation, et certains médicaments comme les immunoglobulines, les antidouleurs, les antidépresseurs ou les corticoïdes.
Pour le Docteur Elkaïm15, médecin généraliste, « en termes de traitement, on ne peut proposer que des « béquilles » à nos patients qui souffrent de ce syndrome. Cela passe principalement par des conseils d’hygiène de vie et par le fait d’apprendre à gérer leurs efforts, notamment en les fractionnant, pour ne pas dépasser un seuil au-delà duquel peuvent survenir un malaise post-effort. C’est ce que l’on appelle la méthode « Pacing16 ».
De son côté, Léonard Anthony17, spécialisé dans les fatigues du quotidien, s’ingénie à expliquer à ceux qui le consultent, que « la fatigue peut devenir une alliée à partir du moment où on cesse de la combattre (…). Si on est constamment en position de défense, on va rester fatigué. Alors que si on apprend à repérer les signaux que nous envoie notre fatigue et qu’on les écoute, on peut adopter des stratégies pour ne plus se laisser entraîner dans des situations épuisantes, et adopter des habitudes qui nous économisent. »
De manière plus générale, la question se pose des conséquences psychosociales de la pandémie. Il convient en particulier d’examiner les risques de décompensations dans les années à venir. Certains, et notamment les plus jeunes, risquent de subir de plein fouet les conséquences tant économiques que psychologiques de la crise sanitaire actuelle. L’Association médicale australienne (AMA) a du reste alerté sur le risque d’augmentation du nombre de suicides d’ici quelques années, en tablant sur une hausse moyenne de 25 %, voire 30 % chez les jeunes.
Au-delà des comportements individuels, les États vont jouer un rôle crucial dans l’après pandémie et dans le recul de la fatigue. La Charte d’Ottawa proposée en 1986 par l’Organisation Mondiale de la Santé mettait déjà en avant l’intégration de la santé dans toutes les politiques publiques considérant que « les déterminants de la santé et du bien-être sont extérieurs au secteur de la santé et sont d’ordre social et économique (…). Par ailleurs, l’OMS invite les gouvernements à se questionner sur les mesures acceptables ou non sur le long terme : « une balance est à trouver entre le fait de laisser les gens vivre leur vie, tout en réduisant le risque. »
A cette occasion, la pédagogie pourrait être faite des bienfaits de la fatigue et de rappeler que la fatigue est la mère de la rêverie, « cette plongée dans la sphère de l’oubli de soi, ce tremplin vers l’inconscient, cet état intermédiaire où l’on devient pensif plus que pensant, où on s’enchante des détails, du microcosme, plutôt que de l’évidence 18 ».
Pour le psychiatre Christophe André « Les sociétés occidentales découvre qu’elles sont démunies après des décennies où elles se sont senties dominantes face à la maladie ; l’invention des vaccins ou des antibiotiques avait presque éloigner le spectre de la mort. Aujourd’hui entre le Covid, le réchauffement de la planète, les tensions politiques et sociales, nous sommes confrontés à un violent rappel à l’ordre sur tous les fronts ; le chagrin, lié à cette accumulation de déconvenues face auxquelles nous nous sentons impuissants, nous fait comprendre que l’on a besoin de se réconforter les uns les autres ; peut-être faut-il accepter de courber l’échine avant de se remettre au travail et dans l’action pour reconstruire notre société 19»
Le parallèle suggéré entre l’ennui de la France de 1968 et la fatigue actuelle retrouve de sa pertinence dans la relecture de la conclusion de l’éditorial du Monde : « Le vrai but de la politique n’est pas d’administrer le moins mal possible le bien commun, de réaliser quelques progrès ou au moins de ne pas les empêcher, d’exprimer en lois et décrets l’évolution inévitable. Au niveau le plus élevé, il est de conduire un peuple, de lui ouvrir des horizons, de susciter des élans, même s’il doit y avoir un peu de bousculade, des réactions imprudentes (…) l’ardeur et l’imagination sont aussi nécessaires que le bien-être et l’expansion. Ce n’est certes pas facile. L’impératif vaut d’ailleurs pour l’opposition autant que pour le pouvoir. S’il n’est pas satisfait, l’anesthésie risque de provoquer la consomption. Et à la limite, cela s’est vu, un pays peut aussi périr d’ennui ». Ou de fatigue.
1 Discours à la Chambre, 10 janvier 1839
2 https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=2299
3 https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/06/quand-ils-se-regardent-les-francais-se-desolent-quand-ils-se-comparent-ils-se-desolent-encore_6104841_3232.html
4 https://www.ipsos.com/fr-fr/la-sante-mentale-des-18-24-ans-plus-que-preoccupante
5 https://academic.oup.com/ije/advance-article/doi/10.1093/ije/dyab207/6375510?searchresult=1#304035039
6 https://www.ipsos.com/fr-fr/pres-dun-francais-sur-deux-souffre-de-la-fatigue
7 https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-03/ER1185.pdf
8 https://www.jean-jaures.org/publication/une-societe-fatiguee/
9 https://www.dailymotion.com/video/x5lxb65
10 https://www.economist.com/europe/france-is-doing-well-but-feeling-miserable/21806329
11 https://www.nytimes.com/2021/11/05/opinion/great-resignation-quit-job.html
12 https://www.odilejacob.fr/catalogue/psychologie/psychologie-generale/fatigue-detre-soi_9782738108593.php
13 « La fatigue des Français, un symptôme et une alerte », Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos, Les Echos, 13.11.21
14 « Histoire de la fatigue », Georges Vigarello, Ed. Seuil, septembre 2020, 480 p., 25 €
15 https://www.france-assos-sante.org/2021/11/18/traiter-la-fatigue-est-ce-possible
16 https://www.france-assos-sante.org/2021/07/12/epuisement-et-pacing-une-methode-pour-apprendre-a-economiser-et-mieux-gerer-son-energie/
17 https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Grosse-fatigue-comment-pas-craquer-2020-11-22-1201125947
18 Ode à la fatigue, Eric Fiat
19 https://www.leparisien.fr/societe/notre-societe-a-besoin-detre-consolee-lart-de-la-consolation-selon-christophe-andre-15-01-2022-OGKD5Z7R5ZHPVAZ73TLHYPFXRY