Soit le Naos d’un temple de l’Égypte ancienne. Aux tréfonds de l’édifice, il se tient dans une obscurité profonde, à peine percée d’un rai de lumière, après que vous ayez traversé l’éblouissement de plusieurs cours éclaboussées de soleil. Au centre de la pièce est enfermée la statue du dieu que tous les matins, Pharaon ou son Grand Prêtre, vient réveiller et vêtir de ses habits rituels. Nul autre ne pénètre ici. L’endroit est sacré, c’est-à-dire impénétrable, inviolable. Un espace physique et mental à la fois, à l’exact opposé du monde profane, tenu hors du temple.
Intérieur – extérieur
En première analyse, cette différenciation caractérise l’exceptionnalité du lieu sacré. Distinct du profane, le sacré est d’abord le secret, qui demeure voilé, non vu mais supputé. Secret, par opposition à ordinaire ou utilitaire. Secret car ésotérique, du grec esôteros, « intérieur », puisqu’il est réservé aux initiés, soufistes musulmans ou kabbalistes juifs. Pas surprenant, donc, qu’il fascine par la manière d’éminence qu’il confère à ses bénéficiaires.
Certains n’en percevant que l’aspect extérieur, sont tentés d’y trouver un moyen d’impressionner leurs semblables en se piquant d’« occultisme », lequel n’est que manipulation. Car, que les tables tournent et que les morts cognent sur le parquet à la façon du gendarme au théâtre n’a rien à voir avec le sacré, quand bien même on n’y comprend rien de plus qu’aux prouesses du prestidigitateur.
Mais, cette capacité phénoménale reste tentante pour qui espère se hausser du col pour prouver qu’il approche une dimension céleste. Or, qu’il intervienne dans un domaine théologique ou humaniste, dans une civilisation monothéiste, animiste ou païenne, ou bien qu’il relève d’une dimension propitiatoire comme les rites chamaniques appelant aux bonnes récoltes, à la préservation de la santé ou à la fertilité des couples, le sacré a pour effet de mettre en mouvement la sensibilité des individus. En criblant nos perceptions, il forme une manière de cortex frontal pour notre être au monde.
Connaissance
Dans notre culture, le sacré exprime le plus souvent la transcendance en figurant volontiers le visage du vieillard sévère qui nous surveille de derrière les nuages. Il témoigne alors d’une connaissance, confiée de bouche à oreille entre initiés.
Sauf que connaissance n’est pas savoir. Elle correspond à un mouvement d’intériorisation qui pousse à la rencontre avec soi-même. Pour Platon : le sage n’est pas celui qui sait beaucoup de choses, mais celui qui voit leur juste mesure. Le sacré constitue alors un repère de vie transculturel. Il s’enfonce dans la sagesse orientale du Tao. Le lourd est la racine du léger, l’immobile est la source de tout mouvement écrit Lao Tseu au vie siècle avant J.-C. On retrouve ici le calme du Naos, comme s’il modelait la poitrine qui enferme mon être, espace inaliénable de ma vie intérieure que personne ne pourrait m’ôter tant il détermine ma condition humaine. Confronté au profane, le sacré s’oppose à la pragmatique en me proposant une expérience émotionnelle, non rationnelle.
Approcher le sacré
Deux chemins se proposent à l’Homme pour aborder le sacré. Le premier consiste en un sacré de transgression. C’est une approche dionysiaque, explosive, une fulgurance qui se vit souvent dans la fête comme un processus d’inversion du monde, de ses lois, normes, prohibitions, institutions. Imaginez les lupercales.
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