The Dead Don’t Die – Jim Jarmusch, 2019 – Animal Kingdom, distribution Universal Pictures
À l’affiche du dernier film de Jim Jarmusch The Dead Don’t Die: Bill Murray, Tom Waits, Steve Buscemi, Tilda Swinton, Iggy Pop, et même le courtois et débonnaire Danny Glover en noir de service ; il y a du lourd dans le déjanté et le zygomatique. Certes, un film de bons copains ne fait pas un bon film de copains ; la critique « mainstream » de notre presse habituelle est cependant un peu trop sévère avec le réalisateur dans l’expression de sa déception. Celle de ne pas retrouver pleinement dans l’ouvrage le dandy grinçant, loufoque et poète de leur cœur, entre autres celui de Down by Law et de Paterson.
On y trouve pourtant des trouvailles rigolotes : Iggy Pop, premier zombie dans l’ordre d’apparition à l’écran, se gargarise élégamment du café lavasse qui bout sur le comptoir du « dîner » (les morts boivent) ; la vieille pocharde se réveille après une cirrhose foudroyante en réclamant son verre de Chardonnay (les morts parlent) ; alors qu’il discute avec un Danny Glover consterné, Steve Buscemi à contre-emploi est affublé d’une casquette de bouseux portant l’inscription « Make America White Again » du meilleur goût ; Tom Waits, intronisé philosophe témoin, est le vieil ermite ayant refusé les injonctions de la société de consommation, voleur de poules caché dans les bois. Il assiste au spectacle du pandémonium en stoïcien comme un Pline le Jeune à la destruction de Pompéi. Ses mots de la fin sont toutefois les plus prosaïques « Quel monde de merde ! ».
Les cadavres tout aussi consommateurs qu’ils pouvaient l’être de leur vivant déambulent dans le petit bled de Centerville, sorte de Paumé-sur-loin version locale. Après leur jeûne forcé, ils ont forcément les crocs et bouffent tout le monde. Leur comportement est moutonnier bien que carnivore. Ils jouent au baseball, passent la tondeuse et cherchent à accrocher le réseau télécom, passablement perturbé par les changements climatiques à l’origine du retour des revenants. Le sheriff Bill Murray et ses adjoints dépassés par les événements constatent les dégâts.
Le film de zombies est un exercice de style horrifico-comique totalement américain, à l’audience internationale. Imaginerait-on les foules du monde entier courir voir « Le gendarme de Saint-Tropez contre les morts-vivants », ou bien « Mon curé chez les Thaïlandaises zombies » ? L’outrance est la loi du genre, le réalisateur s’y plie de bonne grâce. Iggy se révèle plus présentable grimé en macchabée qu’au naturel. Lui réserver le rôle du sheriff eut d’ailleurs été la vraie surprise. Les Écossais sont des extra-terrestres, ce qui laisse entrevoir combien étrangers sont les autres représentants de l’espèce humaine quand ils ne sont pas citoyens US, ou pire, ne parlent pas anglais. Centerville se veut la caricature d’un coin de l’Amérique profonde. Le résultat de l’accumulation de poncifs ressemble de fait à la réalité. Paysage glauque de motels douteux, de stations service déglinguées et de fermes isolées dans une oppressante lumière d’aquarium.
Plus qu’un film à message, c’est un testament désabusé écrit pour des copains potaches qu’un Jarmusch goguenard et doux-amer nous livre ici. À la sortie de la salle, dans le complexe commercial MK2 de la BnF, télescopage déstabilisant : nous saute aux yeux la même bimbeloterie que celle complaisamment mise en scène dans les boutiques prises d’assaut par les goules. Même « junk food » fluo, peluches iconiques, colifichets geeks, produits dérivés à l’infini vers un oubli de l’altérité, une dilution de nos vies dans un grand tout de clichés marchands inventés ailleurs, « not invented here ».
Éric Desordre