Interview exclusive par Jean-Luc Maxence
Septembre-Octobre 2019
RBL : Votre dernier roman Le chant de la merveille du monde qui vient de paraître chez notre ami Pierre-Guillaume de Roux, est un monstre de grand talent, sans intrigue classique, s’appuyant sur une écriture superbe et exceptionnelle, « à l’interface d’un versant chrétien et d’un versant nihiliste » écrivez-vous p. 26. Vous, l’aliéné « crucifié », vous êtes à mes yeux un « réel mystique ». Je suis fasciné quand vous démembrez le soleil et sniffez des rais d’éblouissement. Après une quinzaine de titres parus, où vous situez-vous, Christian Ganachaud ?
CG : Comme vous le constatez, je suis « cadavérique comme un enfant du tiers-monde, ou un rescapé d’un camp » (p. 31). Je voudrais que la postérité me situe du côté des écrivains chrétiens et rebelles, proche de Bernanos, Bloy, Charles Péguy même ! Je suis (je me cite) un incendie à moi tout seul, mon livre est hyperréaliste. De New York à Bénarès, la route est la même et je suis « un convulsionnaire tranquille », incurable, « l’exemple vivant de la mort dépassée » (p. 41). J’avoue même, plus avant, que mon roman est écrit par un autiste qui déflore les saintes !
RBL : Dans votre livre, vous écrivez toujours à la limite de la grossièreté voulue, dans une zone louche entre Réel et Imaginaire, dans l’inconfort absolu après dix ans d’un silence asilaire, comme vous me le précisez dans votre dédicace amicale. Et cela me bouleverse, bouleverse la part du psychanalyste jungien que j’ai été durant des années, à l’écoute des toxicomanes, au Centre DIDRO, notamment quand vous écrivez : « La plus grande prostituée toxicomane de la clinique m’a payé mon crucifix en ivoire datant de la fin du XIXe siècle ». Et puis, plus avant, vous allez jusqu’à lâcher ce cri : « Je veux quelqu’un qui m’aide et non qui m’engloutisse ! ». En cela vous êtes dans un état de bête traquée, tenté sans cesse par l’idée du suicide. Vous nommez plusieurs fois un « désert de lumière » qui échappe à toute analyse, et vous criez à la face des vivants que nous sommes : « Je suis romancier, je suis catholique, c’est là qu’est le conflit ! ». Mais votre méthode d’écriture, le fameux C u t-u p cher à notre ami commun Patrice Delbourg, n’incite pas à « publier quoi que ce soit qui n’ait pas été vérifié et retouché » (p. 89). Oui, votre dernier livre est une tour de Babel de Rimbaud intégral, admirant Mathieu Bénézet « le plus grand poète contemporain » selon vous. Peut-on vous croire quand vous affirmez : « je respire à la surface des lueurs noyées » ?
CG : J’exprime de cette façon mes souffrances entremêlées de mutilation et de destruction. Et j’ajoute, désabusé : « une maison de fous est un bel endroit pour écrire ». C’est cela même que j’appelle : « mon désert de lumière ».
RBL : Quand vous nous dites (p. 85) : « Je n’ai cessé par périodes depuis l’âge de 15 ans de percevoir autour de moi Jésus-Christ et la Sainte Vierge et je ne m’en suis jamais caché à personne et tout Paris, au temps où j’étais libre, connaissait les visions mystiques que j’avais », êtes-vous dans le réel ou dans l’imaginaire ?
CG : Je vous réponds : « Mon travail est sans cesse interrompu par les cris, les demandes, les plaintes, les potins et autres délires de mes potes les dingues ». Ma formule : « j’écris l’interdit par un silence gazé » (p. 97) est une façon de vous répondre. Et, de même, mon énigmatique Journal.
RBL : Dans votre roman, j’ai relevé en vrac que vous découvrez « une neige éblouissante au sommet des ténèbres de la pensée », que vous traversez l’Apocalypse, sans faire de bruit, que vous aimez la poésie en tant que vibrations mortelles, que vous êtes « né mort »… Avez-vous des enfants ?
CG : J’ai quatre enfants et je me suis marié trois fois ! J’ai fait la manche, j’ai dormi sur les trottoirs, et dans les couloirs de métro.
RBL : Vous allez jusqu’à écrire, Christian Ganachaud, que vous êtes « couvert de la poussière des anachorètes », et que notre éditeur commun Pierre Guillaume de Roux est votre éditeur préféré depuis le directeur de La Différence ! Je n’en suis pas étonné. En dernière instance, vous êtes un « anarchiste mystique », et détaché, comme lui, de tout, sauf de l’héritage de son père, Dominique de Roux, « figure légendaire de l’édition », qui lui sert d’armure. Vous avez, vous aussi, semble-t-il, un père omniprésent rivé à l’âme. Et vous relevez d’ailleurs avec provocation que la Presse a dit de PGDR qu’il était « l’éditeur du diable » ! Cela vous émerveille, vous séduit.
Quand vous en appelez à Paul Cézanne, à Jim Morrisson, à Luc Dietrich, à Marie-Madeleine Davy, au soufi du coin, « à un catholicisme post-Auschwitz », au communard Bernard Noël pour une préface, à Allen Ginsberg, à Van Gogh bien sûr, vous tenez en échec « les psys, à l’intellect simiesque, qui se veulent les chamans urbains », ces psys, mes frères ennemis, « qui croient maîtriser l’histoire en cernant et nommant la folie, et ainsi résoudre l’énigme, mais c’est l’erreur qui fait le génie, et la question sans réponse qui fait l’homme » (p. 73).
Votre Chant de la merveille du monde, Christian Ganachaud, est une provocation réussie et fait de vous un des nôtres au royaume des rebelles ! Dont acte pour l’éternité. Prenons date, ensemble.