Depuis sa naissance la psychanalyse a toujours posé l’inconscient, la parole libre et l’écoute sans préjugé au cœur de sa pratique. Elle a aussi réglé ses comptes avec le recours stigmatisant à la nosologie psychiatrique et a renoncé au concept désuet de « maladie mentale ». Elle ne nie certes pas la souffrance intérieure, qui peut être plus douloureuse qu’une maladie organique, mais elle ne se prête pas pour autant aux tentatives de pathologisation discriminatoire et/ou diffamante.
Les nombres, toujours les nombres
Pourquoi cette prémisse ? Parce qu’elle nous permettra d’aborder le thème ô combien délicat de ce Rebelle(s) sans tomber dans l’ « analyse sauvage ». De l’actuel couple présidentiel français la première chose qui saute, sinon aux yeux, du moins à l’esprit, c’est évidemment la différence d’âge. Le fait que la première dame soit beaucoup plus âgée que son mari, ne serait-ce que pour la rareté de la situation, ne pouvait qu’alimenter les potins… et les perplexités également. Comme je l’ai dénoncé ailleurs (1) l’homme moderne habite la prison des nombres où tout se calcule au lieu de se percevoir. Il estime peut être que ses sens le dupent et il semble forcé à en revenir toujours à cette « mentalité objective » selon laquelle rien n’est vrai en dehors des nombres. L’âge, la taille, le poids, le compte bancaire (évidemment), les statistiques… voilà ce qui satisfait son fantasme d’objectivité. Mais laissons ce discours de côté pour en revenir à ces questions qui effectivement se posent à propos du nouveau locataire de l’Élysée : M. Macron serait-il habité par un complexe maternel ? Aurait-il toujours besoin d’une mère-poule à ses cotés ? Et, en tel cas, saura t-il montrer toute la maturité nécessaire pour gouverner un pays ? Par ailleurs, ne devrions-nous pas être plus prudents et respecter ce qui relève de la vie privée d’un couple, même présidentiel ? Permettons-nous quand même quelques considérations d’intérêt général.
L’ « autre logique »
Il est de notoriété publique que le couple Macron a dû dans le passé surmonter bien des tabous. Commencé au lycée, le rapport qui fut d’abord celui entre enseignante et élève s’est vite transformé en relation amoureuse. Ce n’est pas le premier cas de ce genre, et ce ne sera pas non plus le dernier. Toutefois, ce qui est plus exceptionnel et intéressant c’est que cette relation dure depuis de nombreuses années et on ne saurait nier qu’elle a amené quelques grands résultats. Ce que rien au départ (et de l’extérieur) ne laissait entrevoir. Lui, jeune garçon, intellectuellement doué, mais nécessairement dépourvu de grande expérience en amour. Elle, femme mûre, mariée et mère de trois enfants, donc plus que « casée ». La raison (celle que les parents du jeune Macron convoquèrent en déplaçant leur fils de lycée dans l’espoir que la distance et les difficultés l’auraient finalement amené à interrompre le scandale) et la moralité portaient à penser qu’une telle relation ne pouvait et ne devait pas avoir de futur. Mais, malgré la morale, les humains (dixit Pascal) ne sont pas nécessairement raisonnables… C’est que l’inconscient, lui, répond à une « autre logique » : celle qui porte à suivre une voie singulière, propre à chacun, permettant de dépasser les impasses et de s’émanciper d’un logos devenu trop tyrannique.
Les grandes histoires d’amour, celles relatées dans la littérature, ne sont jamais banales. L’Amour n’est pas enclin à suivre des voies toutes tracées. Il trouve plutôt sa force dans les difficultés. Il ose refuser les commodités. Il défie les préjugés et le temps. À moins qu’il ne préfère suivre un chemin plus subtil jusqu’à trouver son or dans les choses plus simples de la vie. Alors, que dire à propos du nouveau couple présidentiel ? Devrions-nous suivre, comme maints analystes improvisés ne se sont pas privés de le faire (2), la piste de l’interprétation œdipienne classique ? Il ne sera pas inutile à cet instant de distinguer l’Œdipe du complexe (partiel ou complet) portant le même nom.
Œdipe avec ou sans complexe
Avant qu’Œdipe ne prenne conscience d’avoir réalisé les prédictions de l’oracle, c’est à dire d’avoir tué son propre père et épousé sa propre mère, il se portait comme un roi. C’est le cas de le dire car il régnait en souverain sur la ville de Thèbes. Et si par la suite il décide de se crever les yeux (on aurait pu en effet lui destiner une autre punition), c’est probablement pour retrouver cet aveuglement qui l’avait jadis rendu heureux. Car dans toutes les traditions plus anciennes « voir » est synonyme de « comprendre ». La cécité aurait donc un sens inattendu. Une certaine inconscience ne serait-elle pas indispensable pour instaurer cette condition que l’on nomme « heureuse » ?
Anecdote non anodine: au cours d’un congrès, une personne interpella Freud en affirmant que son cas représentait la preuve du mal fondé de sa théorie. Pourquoi ? Il avait épousé une femme qui était… l’exact contraire de sa mère ! Pour la logique « autre » de l’inconscient les contraires se touchent. On dit « non » pour dire « oui », on dit « je te hais » pour dire « je t’aime », on voit la grandeur dans ce qui est petit, le beau dans le moche, on trouve le futur
dans le passé, l’Amérique en cherchant les Indes… Freud nous dit que la résolution de l’Œdipe passe par le déplacement (un des mécanismes fondamentaux de l’inconscient) de la libido maternelle vers une autre personne via l’intégration de la Loi du Père. Il est donc évident qu’Œdipe, selon le père de la psychanalyse, nous habite tous, même si nous ne sommes pas tous complexés. Il s’agit de fantasmes qui, avant d’être vécus de manière personnelle avec plus ou moins de pathos ou de succès, sont « originaires », c’est-à-dire qu’ils fondent les bases psychiques universelles de l’humanité. Alors, est-il correct de voir dans le « choix d’objet » de Macron le fait d’un complexe maternel pour le simple fait que son épouse est plus âgée et « pourrait être sa mère » ? Il ne serait que trop aisé de dire que Macron a épousé sa mère et tué son père (Hollande), mais le risque est aussi de transformer l’Œdipe en une pensée unique. Ne s’agirait-il pas plutôt d’y reconnaître un des effets ambitieux de cet « autre logique » citée précédemment et portant à placer (et parfois à trouver) l’Amour dans des difficultés insurmontables donnant l’impression de vivre une expérience exceptionnelle et héroïque ?
Un destin légendaire ?
Dès lors, la question serait de savoir si ce « fantasme héroïque » tiendra le coup maintenant que Brigitte et Emmanuel forment le couple présidentiel. En effet, les fantasmes supportent mal les courts-circuits avec la réalité. Heureusement, ils se prêtent aussi à élaboration. Ils peuvent même s’accorder parfois avec ceux du peuple. Lady Diana est devenue une légende car elle représentait aux yeux du peuple la possibilité, projetée à l’extérieur, de s’émanciper des chaînes du logos. Un destin légendaire s’ouvrira t-il également au couple Macron ? Une chose est sûre : il serait difficile de mythifier un couple présidentiel, même fusionnel, même fantasmé par le peuple, dont la politique s’avérerait décevante…
Antoine Fratini
1 Les articles sur ce thème abondent. Voir notamment: http://licornehannibal.over-blog.com/2016/09/portrait-d-emmanuel-macron-en-oedipe.html
2 Voir par exemple https://psychoanimisme.wordpress.com/2018/06/12/vivre-sans-fric/