Depuis quarante ans et plus, je ne peux que déplorer le mensonge majeur que toutes les maisons d’édition de poésie, petites ou grandes, n’hésitent pas à répéter : nous diffusons, nous diffusons, nous diffusons !
Il y a ceux qui, comme L’Harmattan mettent en avant leurs dépôts parisiens déguisés en librairies fonctionnant en circuit fermé et « obligent » à l’achat par le poète lui-même d’un certain nombre de ses recueils (au moins, ainsi, l’éditeur pourra régler la facture de l’imprimeur !). Il y a ceux qui mettent en avant l’enseigne de leur diffuseur (d’Harmonia Mundi pour un Bruno Doucey à Soleils Diffusion pour un Nouvel Athanor têtu). Il y a aussi les dinosaures du passé qui, à l’enseigne de Gallimard, Grasset et Compagnie, planifient une perte à ne pas dépasser en faveur du maintien du rayon poésie dans leur prestigieux catalogue. Ceux-là, il est vrai, ne fonctionnent que sur la notoriété de quelques vieilles barbes historiques des années révolues. Et puis, il y a ceux qui déposent le bilan tout au bout du désespoir et ne sont plus que pour avoir été (dixit Léo Ferré). Il y a enfin l’ombre lumineuse de Poésie 1, ma sœur… Combien de fantômes as-tu engendrés autrefois en mariant de force poètes et placards publicitaires ? Au fond, si l’on devait récapituler l’aventure éditoriale de la poésie en France en ce début de siècle fou de numérique, il faudrait revisiter les grands cimetières sous la lune des cadavres récents de l’édition poétique. Mais je tairai les noms ici pour ne pas définitivement déprimer de tout. C’est ainsi : la poésie semble malade dans notre pays, complètement malade, dirait Serge Lama sans chercher à se prendre pour l’un des poètes chantants, Brel ou Brassens, songeant à l’époque où Pierre Seghers voulait les accueillir dans sa série « Poètes d’aujourd’hui » et se faisait copieusement renvoyer sur les roses… Au bout du compte, on ferait mieux de rêver à l’inattendu, de site dérisoire en site dérisoire, sur la toile aux bien pâles étoiles. Et j’ai souvent envie de vomir en consultant toutes ces revues « mises en net » qui ne se prolongent, dans le Réel, que par des bottins imprimés de noms sans épaule ! Que ne ferait-on pas pour figurer dans tous ces guides de Cuisine poétique aux trois étoiles aristocratiques, souvent distribuées par des Dauphin de l’opportunisme systématique. N’est pas surréa- liste qui veut ! C’est ainsi, j’ose le dire et même le crier : la création sans plagiat reste une perle rare et l’élan vital (pauvre Bergson) décline à vue d’œil. L’orgueil fait du moindre scribouil- leur à compte d’auteur caché, un Rimbaud nouveau. L’heure est venue du règne officiel des Trissotins du verbe pâle. En dernière instance, aujourd’hui, tout paraît poudre aux yeux et pouvoir exorbitant des réseaux mondains. Le mot de passe final paraît bel et bien être la phrase « passe-moi la rhubarbe et tout ira bien » !
Jean-Luc Maxence