La culture Geek est à la mode. Elle habite notre petit écran au nom d’une modernité dont on ne sait plus trop si elle est « post » ou non. Nous publions les toutes premières bonnes feuilles d’un roman étrange de notre ami Frédéric Vincent, théoricien de l’imaginaire, phénoménologue attachant de la vie quotidienne, Docteur en sociologie et psychanalyste jungien. Le mythe Geek ne cesse d’interpeller les débris de notre société occidentale dans sa démarche chaotique d’initiation. Dans la foulée du romancier Michel Houellebecq, faiseur de best-sellers baroques et apocalyptiques, Frédéric Vincent sera-t-il l’un de ses plus brillants successeurs ? Jean-Luc Maxence
GEEK THEORIE
Par Frédéric Vincent
1.
Ils couraient dans tous les sens comme des zombies assoiffés de chair humaine et bousculaient sans état d’âme les badauds qui souhaitaient profiter du calme habituel qui régnait en cette période estivale au parc de la Villette. Ce lieu paisible et familial était devenu en l’espace de quelques secondes le terrain de chasse des dresseurs de Pokemon, des geek écervelés devenus incapables de différencier réalité naturelle et réalité virtuelle.
Depuis que le jeu Pokemon Go est sorti, on a entendu des tas d’histoires délirantes. Un gamer a ainsi rencontré l’amour de sa vie grâce au jeu. Un ancien marine américain a trouvé un carapuce sur la ligne de front qui oppose DAECH et les Dwekh Nawsha (1) . En cherchant un pokemon le long d’une rivière, un jeune gamer est tombé par hasard sur un cadavre. Les spots publicitaires annonçant la présence de pokemon ici ou là ont permis à de nombreux commerçants de tripler leur chiffre d’affaires. Des racailles ont également profité des potentialités technologiques de Pokemon Go pour attirer les ados dans des lieux isolés afin de les racketter plus facilement. Certes, aucun mort n’est encore à déplorer pour l’instant à cause de cette application comme le prétendent certaines rumeurs, mais il faut néanmoins avouer que ce phénomène témoigne de l’émergence d’une nouvelle ère où IRL (2) et réalité virtuelle se confondent.
Cette nouvelle ère dévoile un homme nouveau fortement ancré dans la matrice. L’homo digitalis, ou plus communément appelé le geek, se reconnaît généralement à son usage compulsif des technologies numériques (smartphone, ordinateur, tablette, lecteur mp3, etc) ou encore à sa passion dévorante pour les jeux video, l’héroic fantasy, la science-fiction, les comics, les mangas, le JDR (3) .
Le geek n’éprouve généralement aucune appétence particulière pour la vie réelle, du moins celle que nous font subir au quotidien nos institutions surplombantes ainsi que les différentes représentations idéologiques qui leur sont associées. Bureaucratie, rationalisme économique, capitalisme, dédivinisation, désacralisation, démythisation sont autant les piliers fondateurs de notre civilisation occidentale que les sources inépuisables des nausées matinales des geeks qui ne comprendront jamais comment l’homme peut accepter de vivre dans un monde dépourvu de magie et de mythes, dominé essentiellement par une mécanique administrative, c’est-à-dire un monde profondément désenchanté. Il revient au sociologue allemand Max Weber d’avoir démontré à quel point le processus de rationalisation qui s’est diffusé à partir de l’émergence du capitalisme moderne a engendré un désenchantement du monde. Perte de sens, déclin des cultes et des rites religieux, mort de Dieu (Nietzsche), oubli de l’Etre (Heidegger), disparition de l’initiation (Eliade) et montée impressionnante de l’individualisme traduisent un malaise dans la civilisation occidentale, une cassure nette avec les valeurs profondes de l’humanité archaïque que sont l’imaginaire, la magie, l’émotionnel et le ludique.
Voltaire a voulu « déniaiser le peuple » mais l’intention bienveillante des Lumières n’a pas seulement entraîné un progrès économique et social, elle a provoqué aussi une sécheresse d’âme chez les Occidentaux et une misère affective sans précédent. La domination des valeurs modernes a rapidement imposé aux hommes le repli sur soi et la renonciation aux instincts vitaux. L’hégémonie de la raison économique a tôt fait de scléroser les relations humaines et de priver l’homme de toute tentation d’évasion onirique ou imaginaire. L’homme occidental doit vouer sa vie à son entreprise et son devoir civique le contraint systématiquement à répondre de ses actes devant le grand tribunal administratif de la RAISON. Nul n’échappe au regard inquisiteur de la raison, et encore moins ceux qui pensent que « l’imagination a ses raisons que la raison ignore ».
Dans ce vaste désert de la misère sociale, certains cherchent néanmoins une oasis de fraternité où les hommes seraient réunis autour d’une même conception magico-religieuse du monde. Et certains pensent l’avoir trouvé dans la matrice. Facebook, twitter, meetic, second life, world of warcraft représentent à leurs yeux des lieux enchantés qui ne sont plus dominés par la bureaucratie et la froideur sociale. Les nouvelles technologies annonceraient même la promesse d’un réenchantement du monde parce qu’elles permettraient, selon des études sociologiques sérieuses, de renouer avec un aspect ludique et initiatique de la vie. En tout cas, les geeks s’accrochent à l’idée que la matrice leur permettrait de réussir là où ils ont échoué dans la vie réelle : combler une vie amoureuse et sexuelle, s’épanouir dans une activité professionnelle à la mesure de leurs capacités intellectuelles, intégrer une communauté émotionnelle, participer à des aventures humaines pleines de sens, vibrer collectivement autour d’une passion commune, rêver sa vie et vivre ses rêves, etc.
Bien entendu, rien de tout cela ne m’est arrivé.
2.
Je ne suis pas ce que l’on appelle communément un digital native pour désigner ceux qui sont nés dans les nouvelles technologies. Je suis plutôt une sorte de geek de la première heure, un nerd qui a eu l’occasion de vivre une bonne partie de son existence à l’extérieur de la matrice. Mais qu’est-ce qu’un nerd ? Il s’agit du premier terme utilisé pour définir une personne solitaire passionnée par l’informatique, les sujets scientifiques, la science-fiction et la philosophie. C’est la première génération geek dont la figure la plus célèbre demeure Bill Gates. Un nerd est un petit génie boutonneux avec une culture scientifique étendue dont la vie sociale reste relativement pauvre. Viennent ensuite d’autres termes comme le hacker qui est un spécialiste du piratage informatique, puis le technophile qui voue un véritable culte pour les machines. Plus récemment, on trouve des otaku (fans de manga) et des no life (cyberdépendants qui n’ont plus de vie sociale et qui passent leur temps à errer sur le net sans but). Les gamers et les rôlistes, quant à eux, représentent la catégorie la plus sociable car ils jouent en ligne de manière communautaire. Et puis vient les kikoo, les plus immatures et incultes qui soient ainsi que les trollers, ces faiseurs de fake. Geek est finalement un terme générique utilisé de manière populaire pour englober tous ces différents profils. Par contre, tous ces profils révèlent souvent de nombreux points communs : solitude, misère affective, absence de valeurs, paresse, perte du réel, narcissisme exacerbé, repli sur soi. Je suis bien entendu moi-même le reflet de tout ce désenchantement bien que, contrairement aux nouvelles générations, j’ai eu l’occasion d’expérimenter plus profondément la vie hors ligne. Gamin, j’étais abonné à Pif Gadget et jouais aux billes avec mes potes. Les jeux online ont aujourd’hui remplacé les billes. Fini les boulards, les calots, les pépites, les agates. C’était un temps où l’immédiateté et l’ubiquité du net n’avaient pas leur place. On se contentait de compter les billes qu’on possédait. Bien entendu, les premiers jeux vidéo ont débarqué dans nos salons et nous en sommes tous tombés éperdument amoureux. Mais nous n’avions pas laissé pour autant nos vieilles habitudes. On a continué à jouer aux billes jusqu’au collège, juste avant que les meufs viennent s’immiscer dans nos pensées quotidiennes. Les années ont passé. L’industrie du numérique s’est implantée durablement dans le quotidien de tous les citoyens du monde. Les gamins d’aujourd’hui ne jouent plus aux billes, ils errent dans des jeux online comme Counter Strike où ils apprennent à manier virtuellement la kalachnikov. Autres temps, autres mœurs. Et dans les cités, ce sont les toxicos et les dealers qui ont investi les terrains de jeu. Et les gamins y viennent pour aider les grands frères dans leur trafic de stupéfiants. Ça se défonce aussi sur le net, ça se défonce sur le terrain de jeu, ça se défonce partout tant que l’Etat empêchera l’épanouissement de la personnalité humaine. Pour le psychanalyste libertaire Otto Gross, considéré comme un génie hérétique par Freud et Jung, notre civilisation technicienne a fait du pouvoir patriarcal un principe totalitaire en sacrifiant la liberté de la pensée. Le fantasme de maitriser et de posséder la nature, le matérialisme économique et la dictature de l’UN se sont érigés au détriment de l’épanouissement psychologique et affectif d’homo sapiens. Même si les productions imaginaires de notre temps (Avatar, Le seigneur des anneaux, Hunger Games, etc) conservent un certain goût pour l’humanité archaïque, une nostalgie du matriarcat qui conjugue ecosophie et libération des mœurs, force est de constater que les institutions surplombantes qui nous gouvernent incarnent plus que jamais un pouvoir patriarcal qui écrase les gens qui pensent différemment et sème la division et la domination dans toutes les strates de la vie sociale. Cette ère du numérique nous plonge à la fois dans une ignorance mortifère et un narcissisme bruyant qui nous éloignent de toute organisation matriarcale possible. Dans l’univers geek, il existe ainsi tout un panel délirant de profils névrotiques : le kikoo débile et puéril, l’addict au cybersexe, le hacker paranoïaque, le facebookeur hystérique qui confond amis réels et amis virtuels, le wikepediste mégalomane persuadé de tout savoir parce qu’il publie une dizaine d’articles par mois sur Wikipédia. Il se trouve que mon bagage culturel ne se limite pas à mon expérience en ligne. Bien au contraire, j’ai vécu bien des moments de vie hors ligne. J’ai été jeune louveteau, judoka malhabile ou encore lecteur passionné de Pagnol, Stevenson ou encore Saint-Exupéry. Mon grand-père m’a appris à pêcher et ma grand-mère à coudre. Pour sûr, il m’arrive rarement aujourd’hui de pêcher ou de coudre. Malgré tout, ce sont des savoirs que je possède. La pêche à la ligne m’a ainsi enseigné certaines qualités comme la patience et l’habileté à détecter le coin où ça mord. Ces qualités me sont très utiles désormais pour aller à la pêche sur les sites de rencontre.
3.
J’ai rencontré Lina7525 sur Meetic. Elle n’avait pas un profil des plus convaincants mais possédait une poitrine généreuse que l’on pouvait deviner dans son book. Et comme j’ai toujours aimé les gros seins, j’ai bien évidemment essayé une de mes stratégies habituelles pour la séduire. Draguer sur le net donne un avantage que l’on ne trouve nulle part ailleurs à tous ceux qui n’ont malheureusement pas eu la chance d’être gâtés par la nature. Dans une approche réelle, il est difficile de masquer la vérité de son apparence. Le mec moche a peu d’options. Il lui faut être bon en comédie ou avoir un portefeuille bien fourni. En dernier recours, il lui reste la case « chirurgie esthétique ». Par contre, l’approche virtuelle se vit toujours à partir d’avatars que l’on peut façonner selon son imagination ou ses capacités à utiliser un logiciel. Photoshop est par exemple idéal pour transformer un Michel Blanc en Brad Pitt. Vous pouvez obtenir ainsi une photo de profil qui vous fera apparaître sous un jour que vous ne connaîtrez jamais. Ah, la magie du numérique ! Autre étape importante dans la création d’un profil sur un site de rencontre : le texte de présentation. Vous avez ici tout intérêt à savoir manier la plume et l’art de la rhétorique. Dans le cas contraire, le plus simple est encore de copier/coller avec sa souris le texte de présentation d’un internaute plus habile. Mieux vaut apparaître comme un plagieur que comme un illettré. N’oublions pas non plus le rôle essentiel du pseudo qui demeure l’élément fantasmatique et accrocheur qui favorise le rapprochement virtuel. Je dois avouer avoir négligé cette étape en optant pour un pseudo peu original. J’ai choisi le diminutif de mon prénom Léonard associé au nom d’une boisson énergisante. Pour séduire la généreuse Lina7525, je n’ai nullement eu besoin d’employer les grands moyens. Il m’a suffi de copier la photo de son profil soi-disant anonyme pour ensuite effectuer une recherche par image sur Google, ce qui m’a permis d’accéder à ses comptes Facebook, Twitter, Linkedin, Viadeo. Je n’ai pas eu besoin de hacker l’ordinateur de Lina7525 pour savoir qu’elle s’appelait Hélène Stark. Merci Google. Bien entendu, cela ne marche pas à tous les coups car cela suppose d’utiliser la même photo pour tous ses profils anonymes ou non. En général, c’est le cas une fois sur trois. Je lui ai donc envoyé un message bien écrit avec tous les renseignements dont je disposais sur elle et où je l’invitais à chater avec moi sans omettre de lui signifier que j’appréciais particulièrement son book pour ne pas dire ses nichons.
LINA7525 : slt !
LEOX35 : slt miss ! tu as un très beau profil et je vois surtout avec plaisir que l’on partage des lectures communes. lol
LINA7525 : otaku ?
LEOX35 : du matin au soir. je pense que ma bibliothèque te plairait. j’ai une belle collection et pas mal de mangas dédicacés par des pointures du genre toriyama ou hojo. bref, je suis un otaku à 200 %.
LINA7525 : mdr. j’adore tsukasa hojo. un de mes mangakas préférés.
LINA7525 : tu vas à paris manga ce week-end ?
LEOX35 : bien sûr. même que je participe au concours cosplay.
LINA7525 : énorme. moi aussi j’y participe. j’ai choisi chun-li dans street fighter comme perso.
LEOX35 : j’ai opté pour le sabreur roronoa zoro dans one piece. si tu veux, on peut se rejoindre devant l’entrée de la porte de versailles ce samedi ? Ce sera plus sympa de faire la queue ensemble. Je te file mon tel : 06 xx xx xx xx
LINA7525 : ça marche pour moi 😉
C’est ainsi que j’ai fait la connaissance d’Hélène Stark, une otaku dans l’âme, amatrice de déguisement sexy et aimant par-dessus tout s’exhiber en public. Petite culotte et uniforme d’écolière, tel était son péché mignon. Ce n’est pas moi qui m’en plaindrais. Loin de là. Elle avait à peine 25 ans et était de petite taille. Hélène travaillait dans une agence de voyages comme standardiste. Elle se faisait draguer en permanence et avait la fâcheuse tendance à se laisser faire. Elle ne savait pas dire non et se retrouvait parfois dans des situations délicates. Un jour, un homme d’affaires a insisté auprès d’elle pour l’emmener déjeuner pendant sa pause de midi. Elle a fini par céder et s’est retrouvée illico presto dans la voiture du type garée dans un parking souterrain à proximité. Se rendant compte du malentendu, elle voulut s’en aller mais l’homme d’affaires se mit à exprimer son mécontentement en lui expliquant qu’elle ne pouvait pas le laisser comme ça la queue entre les jambes. Elle finit par acquiescer et se mit à le branler. Le mec conclut l’affaire en éjaculant dans sa bouche. Elle retourna alors à son bureau comme si de rien n’était.
Hélène était d’une naïveté alarmante mais c’est précisément ce qui m’attirait chez elle. Lorsque nous nous sommes retrouvés au salon Paris Manga, j’ai tout de suite accroché sur sa façon de se trémousser devant les autres. Ce jour-là, elle déambulait dans le parc des expositions de la Porte de Versailles vêtue d’une qipao (habit traditionnel féminin chinois) bleue moulant et très sexy avec de jolis collants et portait des bottes blanches ainsi que des rubans blancs dans ses cheveux noirs. Dès que le concours cosplay fût terminé, Hélène se mit à sortir une pancarte où était inscrit « Free Hugs » (4) . C’est un rituel incontournable dans les conventions d’otakus ou de geeks. Il va sans dire qu’habillée comme elle était, tous les puceaux du coin se mirent à accourir pour l’enlacer et la tripoter. La candide se laissait bien évidemment faire et je laissais apparaître un sourire malicieux devant cette situation cocasse et coquine. À la fin de notre journée, je l’ai raccompagnée chez elle. Elle m’a invité alors à boire un thé dans son petit studio. Je suis monté. Nous avons discuté de nos lectures et avons soigneusement évité de parler de nos familles. Je lui ai dit qu’elle me plaisait beaucoup et me suis jeté sur elle pour l’emballer. Je pouvais enfin peloter ses nibards et me frotter sur elle. Nous avons eu une série d’étreintes sexuelles très intenses. J’ai kiffé ma race en me blottissant contre elle comme on le fait avec un ours en peluche ou une poupée. Je me sentais terriblement bien avec elle. Je ne sais pas ce qui m’a pris alors mais je lui ai demandé si elle accepterait d’emménager chez moi lui prétextant que cela pourrait alléger nos charges respectives. Elle accepta sans poser de questions.
4.
C’était une belle journée ensoleillée et nous étions malgré tout enfermés dans mon appartement. Hélène était allongée sur le canapé jouant à Candy Crush sur l’Ipad. Et moi, installé tranquillement devant mon PC, je matais le dernier épisode de la saison 2 de Game of Thrones, une série télé américaine qui se situe entre Les rois maudits de Maurice Druon et Le Seigneur des anneaux de JRR Tolkien. Ce que j’aime dans cette série, c’est la facilité avec laquelle les têtes tombent. Les héros périssent les uns après les autres. C’est déconcertant. À peine vous commencez à apprécier un personnage qu’il décède aussitôt de manière brutale et violente. Décapitation, empoisonnement, poignard dans le dos, éventration, pendaison, tout y passe.
Nous étions samedi et cela faisait déjà deux semaines qu’Hélène avait emménagé chez moi. L’idylle était improbable. Hélène partageait la même culture geek et son corps sexy me rassurait et m’excitait tout à la fois. Je ne peux pas dire que j’étais vraiment heureux en sa présence. Non, je me sentais tout simplement à l’aise avec elle. Ça me changeait de mes relations précédentes qui reflétaient beaucoup d’incompréhension et de lassitude. Pour une fois, je parvenais à supporter une femme au quotidien. Et ça me plaisait assez.
La douceur et la naïveté d’Hélène renforçaient la solidité de mon cocon. J’avais peut-être enfin trouvé ma princesse Zelda, celle qui m’aiderait dans ma quête du Graal. Tout ce que j’espérais, c’est qu’elle ne se révèle pas comme une Cersei Lannister, une mante religieuse prête à tout dévorer autour d’elle pour préserver son pouvoir sexuel.
Le soir, j’ai emmené Hélène dîner chez un couple d’amis que je connaissais de longue date. J’ai rencontré Violaine et Stéphane à l’époque où je traînais au Manga Café, le premier manga kissa de Paris où l’on pouvait à la fois s’enivrer de coca et de café, lire plein de mangas tout en s’esquintant les doigts sur Guitar Heroes. On a débarqué chez eux un peu en avance. Stéphane a décapsulé quelques bières bien fraîches et nous avons rapidement commencé à déblatérer sur ma dernière cuite.
« Faut que tu sois modéré ce soir, Léo. La dernière fois, t’as fini par rouler sous la table en parlant ch’ti.
– Au moins un langage que tu comprends, j’ai fait à Stéphane. »
Stéphane possédait une collection impressionnante de figurines. L’univers Marvel Comics dominait largement le salon avec des super héros emblématiques tels que Spiderman, Hulk, Thor, Magneto, Venom, Wolverine ou encore Ghost Rider. Stéphane collectionnait également des figurines vintage issues des années 70 et 80 : Ultraman, Goldorak, Capitaine Flam, Giraya, G.I. Joe, Star Wars, Bioman, Mask, Jaspion, Jetman, Musclor, donnaient ainsi une ambiance nostalgique à cet appartement quelque peu loufoque qui me rappelait mon enfance. Il était un habitué de Luluberlu, le plus grand magasin de jouets à collectionner de France et même d’Europe. Une des particularités des collectionneurs de figurines est de toujours les laisser sous blister. Mais pourquoi donc laisser une figurine dans sa boîte d’origine ? Pourquoi une telle maniaquerie ? Tout d’abord, il y a le plaisir de conserver le packaging intact qui est souvent très esthétique et classe. Ensuite, l’avantage d’une figurine sous blister est que l’on peut l’accrocher facilement sur un mur. On y gagne pas mal de place et on évite éventuellement d’investir dans une étagère encombrante. Le blister protège aussi la figurine de la poussière et de la saleté ambiante, ce qui permet de ne pas l’abimer. Enfin, le grand avantage de la figurine sous blister reste sa valeur financière. Il est toujours plus facile de revendre un objet à l’état neuf qu’un objet usagé. Selon sa rareté, le prix peut même grimper au-delà de toute espérance. Mais c’est pour une raison bien plus surprenante que Stéphane gardait ses figurines dans leur boîte d’origine.
« Pourquoi conserves-tu tes figurines dans leur packaging ?, j’ai dit.
– Pour éviter que quelqu’un mette ses sales pattes dessus !
– T’es parano ou un truc dans le genre ?
– Je veux juste préserver leur perfection.
– À quoi ça te sert ? C’est comme enfermer une Ferrari dans un garage et ne jamais la sortir. On profite de rien. Moi je serai plutôt un blister-killer. J’ai trop besoin de sortir la figurine de sa boîte pour l’exposer ensuite sur une étagère avec un décor improvisé. Et puis une figurine qui prend des rides, ça a plus de charme à mes yeux. Pourquoi ne jettes-tu pas les emballages ? – Ce serait comme jeter des souvenirs pour moi. J’ai besoin de rester près d’eux. »
Il y avait dans l’attitude névrotique de Stéphane, une certaine nostalgie du pays des ancêtres mythiques, des héros imaginaires qui viennent à votre rescousse lorsque vous êtes dans la détresse. Stéphane vénérait ses figurines comme de véritables idoles. Il y a ceux qui posent un crucifix au-dessus de leur lit et ceux qui y mettent des figurines sous blister à la place. Après tout, Jésus et Superman ne sont peut-être pas si différents que cela.
[…]
(1). Groupe militaire indépendant défendant les chrétiens d’Irak
(2). In Real Life (dans la vraie vie)
(3). Jeu de Rôle
(4). Câlins gratuits qui sont des prétextes à combler le vide affectif du monde réel qu’on entretient sur les réseaux sociaux.