Se souvenir de l’écrivain et éditeur Dominique de Roux (1935-1977), disparu il y a quarante ans, est un acte de salubrité publique pour ceux qui rêvent encore des noces des langues et des êtres humains, pour tous ceux et celles qui n’oublient jamais la parole du fondateur des immortels Cahiers de l’Herne : « Il n’y a pas de grande poésie sans grand exil ». Comme par hasard, EXIL était le titre de la revue trimestrielle que de Roux créa et qui vécut de 1973 à 1977… Le fils de Dominique, Pierre-Guillaume vient de faire reparaître opportunément sous le label de sa maison d’édition personnelle (PGDR) un bref texte poétique, Le gravier des vies perdues, brillante contribution à l’Histoire de la littérature poétique de notre pays au vingtième siècle 1 . Dans un style limpide et dépouillé jusqu’à susciter des larmes, Dominique nous entraîne dans « l’éloignement infini du monde des fleurs ». Certes, il célèbre et loue Ezra Pound, à ses yeux un géant, mais, quarante ans après sa propre mort, brutale, on ne peut que se rappeler combien il défendit avec brio, passion et justesse, les talents exceptionnels de René-Guy Cadou, Pierre Jean Jouve et Henri Michaux, et qu’il sut écouter les poètes de la « beat génération » de ma jeunesse folle, notamment Claude Pélieu, Allen Ginsberg et Bob Kaufman. À en croire son fils (mais l’ai-je bien compris ?), son père savait être très présent dans l’agitation parisienne et mondaine, et pourtant très en retrait des vanités superficielles. Ainsi, Christian Bourgois me le décrivit-il – il m’en souvient – un jour où il participait à une présentation de mes éditions de l’Athanor. Dominique de Roux était aussi une sorte de samouraï aristocrate, me dit un jour Jean Parvulesco, rue Vaneau, un chevalier et un aristocrate toujours prêt à défendre la guérilla des rêves.
Auteur et éditeur… Est-ce conciliable ?
L’œuvre de Dominique de Roux (Le Cinquième Empire est à relire absolument), son noble travail d’« éditeur-défricheur » et la sûreté de son instinct font la grandeur du personnage. On songe alors au masque de Janus d’un Pierre Seghers, pour le meilleur. De Roux dépasse en effet les clivages politiques les plus imbéciles, il les transcende. Et, personnellement, avec audace et effronterie scandaleuses, mais je l’espère pardonnées parce qu’avouées, j’attends avec impatience d’assister à la transmutation secrète et quasi alchimique de Pierre-Guillaume, le fils, l’éditeur, en un écrivain imprévisible… Après tout, c’est bien Dominique de Roux lui-même qui affirme dans un inédit que m’offrit en son temps son fils pour le n° 6 du mensuel CE TEMPS DE LIRE (décembre 1979) dont j’étais rédacteur en chef : « Il est possible de concilier un double rôle d’éditeur et d’écrivain. Paradoxalement, écrire c’est faire que le monde vienne s’engouffrer en soi-même, alors que l’aventure de l’édition représente fatalement un mouvement inverse, mais non contraire, par lequel on va soi-même au monde. Écrire et éditer sont une seule et même action ». À bon entendeur, salut!
Jean-Luc Maxence
1. Dominique de Roux, Le gravier des vies perdues (Éditions Pierre-
Guillaume de Roux, 2017), 12,90 €