Pendant que micros et caméras sont braqués sur les favoris, puis sur les récipiendaires, des différents prix littéraires, alimentant ainsi un buzz de plusieurs mois dont l’industrie littéraire tire le plus grand profit, un écrivain au talent injustement méconnu, se paie le luxe d’un bras d’honneur à cette grande famille qui, à chaque rentrée littéraire, choisit les poulains qui vont « tirer les ventes ». Ainsi Georges PICARD, qui déclare benoîtement dans CHERS LECTEURS, son dernier opus, qu’un auteur ou un ouvrage, doit rencontrer ses lecteurs « par la lecture et non par le biais des médias » et qu’un « auteur se trahit lui-même lorsqu’il se paraphrase devant un micro ou une caméra ». Ce point de vue, pour lapidaire qu’il soit, marque bien l’originalité de ce personnage discret, au parcours « curieux ». Fils d’ouvrier, abandonné par sa mère et recueilli par une organisation de secours aux enfants de déportés et orphelins juifs, il grandit chez un père qui, malgré son modeste statut, lui fait partager sa passion pour les grands classiques. Tout en étudiant la philosophie, il adhère aux Jeunesses communistes, puis rejoint les maoïstes de 1968 qu’il quitte pour embaucher dans une usine de sardines en Bretagne. Avant de devenir écrivain, il se collette à l’écriture, notamment dans le cadre d’un surprenant poste de journaliste à « 60 millions de consommateurs ». Depuis, PICARD a écrit une vingtaine de livres, romans et essais, publiés par l’éditeur de Julien GRACQ. Dans chacun d’entre eux, il parvient à affûter la sobriété et la souplesse de la forme et du fond par une justesse aiguisée. Il dit obtenir ce tranchant par l’observation attentive des gens et de la « vraie vie », à laquelle il s’adonne avec application et délectation, entre autres dans les bistrots du 15 e arrondissement de Paris où il réside. Dans CHERS LECTEURS, il continue de peaufiner sa rébellion douce en développant ce que sa passion de lire et sa passion d’écrire lui procurent. Il confie que les plus beaux jours de son existence sont ceux qu’il consacre à lire, à rêver, à méditer, loin de la foule littéraire et médiatique déchaînées. Il évoque les écrivains, célèbres ou peu connus, qui ont comblé ses passions : Benjamin FONDANE, Georges PERROS, Jean-Claude PIROTTE, Philippe DELERM… mais aussi PASCAL et Frédéric DARD ! Un des talents de PICARD l’écrivain est d’interpréter PICARD le philosophe : « Je ressens le besoin d’aller au cœur des choses, d’arracher à la vie ce qu’elle m’a caché jusqu’à présent, afin d’en savoir un peu plus sur son infinie complexité. Ce que l’expérience vécue m’a refusé, certains livres peuvent me l’offrir, et c’est pourquoi j’ouvre généralement un nouveau volume prometteur dans un état d’attente et d’espérance qui n’aspire qu’à être comblé ». La clarté du style et de la pensée de G. PICARD se confirme dans la limpidité des titres des ouvrages qui ont ponctué son œuvre, parmi lesquels : « Tout le monde devrait écrire », « Penser comme on veut », « De la connerie », « Du malheur de trop penser à soi », Petit Traité à l’usage de ceux qui veulent toujours avoir raison », « Du bon usage de l’ivresse », « Merci aux ambitieux de s’occuper du monde à ma place », ou le récent « Le sage des bois ». Une ressemblance non fortuite avec les « sauts et gambades » chers à Montaigne. Vraiment.
Patrick Boccard