On pouvait s’attendre de la part de l’empire Disney à un banal blockbuster dont la seule finalité aurait été d’être premier au box office mondial. Certes, Star Wars épisode VII présente certaines lacunes à l’instar de la prestation un peu mollassonne de Domhall Gleeson qui joue le général Hux et qui est loin d’égaler celle du grand Peter Cushing dans le rôle du Grand Moff Tarkin qui apparaît dès le premier opus de la Guerre des étoiles. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur la psychologie du personnage de Kylo Ren, censé incarner le seigneur Sith de cette nouvelle trilogie, et qui se révèle finalement moins terrifiant que Darth Vader même s’il parvient à consommer le conflit oedipien. Concernant la forme cinématographique, il y aurait de nombreuses critiques à formuler qui font que le « réveil de la force » est loin d’être un chef d’œuvre au sens strict, c’est-à-dire une création artistique accomplie et figée dans le temps. Il faut dire que Star Wars, c’est plus qu’un film, plus qu’un chef d’œuvre cinématographique. C’est tout simplement un mythe postmoderne en phase avec le rythme de notre vie quotidienne. En ce sens, Star Wars épisode VII reste fidèle au schéma campbellien, le fameux « voyage du héros », qui a fait le succès d’autres mythes contemporains comme Le seigneur des anneaux, Harry Potter, Matrix ou encore Hunger Games, etc.
L’aventure du héros
Le « réveil de la force » reprend les principaux mythèmes du premier opus « un nouvel espoir » à la différence que Luke Skywalker n’incarne plus le jeune initié mais le mentor. Dans l’épisode VII, c’est une jeune fille nommé Rey qui doit répondre à l’appel de l’aventure qui lui est proposé, non plus par R2D2, mais par un nouveau droïde BB8. Notre jeune héroïne, à la différence de Luke Skywalker, est une pilleuse d’épaves, peu bavarde et solitaire, qui vit dans une extrême précarité. Elle rencontre par hasard BB8 et finit par accepter de l’aider à retrouver son maître, le meilleur pilote de la résistance, Poe Dameron. Sur sa route, elle fait également la connaissance d’un stormtrooper déserteur FN-2187 qui aidera Poe à échapper au premier ordre, incarnation des ruines de l’empire du côté obscur. Le premier ordre à la recherche de BB8 qui possède la carte menant à Luke Skywalker, le dernier Jedi, finit par localiser le droïde et nos deux jeunes héros, Rey et FN-2187 rebaptisé Finn par Poe Dameron. Ils parviennent tant bien que mal à échapper au premier ordre et finissent par croiser le chemin de Chewbacca et Han Solo qui jouera également le rôle du mentor. La suite est une succession d’épreuves initiatiques, de batailles intergalactiques, de révélations mythiques sur la Force. Puis vient l’apothéose avec la mort d’Han Solo (mort du père-mentor) par son fils Kylo Ren, seigneur sith du premier ordre qui n’est pas sans évoquer la mort d’Obi-Wan dans l’épisode IV. Et enfin la rencontre entre Rey et Luke Skywalker.
L’archétype du héros et le retour du Soi
L’intérêt du voyage du héros mythique, c’est qu’il nous révèle le chemin à accomplir. Le labyrinthe ne nous est plus inconnu. Qu’il s’agisse de Luke Skywalker ou de Rey, on comprend que le héros est celui qui accepte de « sacrifier sa vie à quelque chose de plus grand que lui » (Joseph Campbell). Ce que remarque l’anthropologue américain Joseph Campbell, c’est que la civilisation occidentale qui a été très démythisante a exclu le sujet, la personne comme principale préoccupation de la vie quotidienne. Dans son Histoire de la sexualité, Michel Foucault ne dit pas autre chose que cela lorsqu’il dit que la période antique correspond à une prise en compte réelle du souci de soi (Epimelia Heautou) alors qu’à partir du IVème siècle après JC (début de l’ère chrétienne) nous entrons dans une phase civilisatrice fondée sur le renoncement à soi. En un sens, l’émergence de l’archétype du héros dans notre ère du numérique est une invitation au processus d’individuation tel que pouvait le définir le psychanalyste suisse Carl Gustav Jung. En acceptant de suivre les traces du héros, il s’agit de parvenir à une véritable réconciliation de ses propres contradictions psychiques (Coincidentia Oppositorum selon la belle expression de Nicolas de Cuse). Les faux experts et pseudo-intellectuels font souvent la grossière erreur de définir le précepte « Gnothi Seauton » (connais-toi toi-même) inscrit sur le fronton du temple de Delphes comme une invitation à la recherche de ses racines, de son historicité, de son patrimoine. Bref, à accumuler toutes sortes de connaissances. On sait que le « Gnothi Seauton » est cité par d’illustres philosophes tels que Platon dans le Charmide, Porphyre de Tyr ou encore Hegel. On retrouve par exemple à travers Alcibiade, l’idée qu’avant de gouverner, il faut d’abord apprendre à s’occuper de soi-même. Marc-Aurèle insiste également sur le rapport entre le gouvernement des autres et le souci de soi. Mais comment se soucier de soi-même ? Foucault nous dit qu’il faut passer par le précepte du « Gnothi Seauton » qui est la connaissance de soi par des techniques de maîtrises de soi, des exercices de purification, des instants d’abstinence ou d’endurance à la douleur, des cures de pauvreté, une relation de maître à disciple. Epictète est celui qui écarte le mieux les confusions autour du « Connais-toi toi-même ». En effet, il refusait que son école soit un quelconque lieu de formation en vue de l’accumulation des connaissances philosophiques. Bien au contraire, il considérait son école comme un cabinet médical (iatreion), un espace où l’on ne se présente pas en tant qu’élève mais en tant que malade. « Nous ne sommes pas là pour apprendre l’histoire et la science mais pour guérir nos blessures ». De même, Sénèque pensait que l’homme accédait à l’ataraxie en veillant sur son corps et sur son âme (hominis corpus animunque curantis). Zénon nous exhorte à soigner notre âme et Epicure définit le philosophe comme un thérapeute de l’âme. Rappelons aussi que dans les milieux aristocratiques romains, il existait des « conseillers d’existence », des coachs de vie comme on dirait aujourd’hui qui donnaient des conseils moraux et pratiques. Face à l’individualisme, au rationalisme et au matérialisme philosophique, Michel Foucault préconisait un retour du sujet, un retour du soi. L’homme postmoderne ne lutte plus simplement contre les dominations idéologiques mais également contre les assujettissements identitaires. Le sociologue Alain Touraine voit dans la postmodernité naissante l’avènement d’un sujet producteur de sa vie qui ne serait plus déterminé par des CSP (Catégories Socio-Professionnelles) mais par une recherche intérieure. Comment ne pas songer à Jung et à son concept du Soi ? L’archétype du héros est cette invitation à cette recherche intérieure, à cette réconciliation des contradictions psycho-sociales. Face au désenchantement du monde (Max Weber), il nous faut le réenchantement du sujet par l’archétype du héros.
Choisir entre le bien et le mal : une ânerie populaire
La binarité est l’apanage des journaleux et autres scribouillards ignares incapables d’analyser la dimension anthropologique et psychologique du mythe Star Wars. On résume toujours ce dernier à un manichéisme « simpliste et réducteur » à l’image du modèle politique américain. Le pire, c’est que dans le langage populaire on use maladroitement d’une référence gnostique pour désigner une opposition stérile entre le bien et le mal. La majorité des critiques énonce ainsi au sujet de Star Wars un manichéisme puéril, une lutte du bien contre le mal. Le manichéisme est en réalité un système gnostique crée par Mani un babylonien né infirme en 216 après JC. Selon l’historien des religions Mircea Eliade, la gnose acosmique fondée par Mani pose l’idée que le monde a été engendré par une matière maléfique. L’homme serait pour ainsi dire le produit du côté obscur. « L’existence humaine, tout comme la vie universelle, n’est que le stigmate d’une défaite divine » (Mircea Eliade). Malgré son origine démoniaque, l’homme possède en lui une part de lumière, la force qui lui permet de trouver le salut. La polarité lumière/ombre ne reflète absolument pas un dualisme simpliste où bien et mal seraient deux principes identiques agissant en sens inverse. Pour Mani, « le bien et le mal habitent dans chaque homme » dans la mesure où l’être humain est créé à partir d’une substance matérielle et d’une substance transcendantale. La gnose manichéenne ne dit en aucun cas qu’il y a les bons d’un côté (les jedi) et les méchants de l’autre (les sith). Le manichéisme ressemble à d’autres systèmes gnostiques où le « mal est en fait la privation du bien ». De fait, le mal n’est pas le contraire du bien et vice et versa. Dans le manichéisme, il n’y a donc pas de combat contre le mal. Mani considère que le corps humain est lui-même démoniaque. Il ne cherche donc pas à le combattre. Il favorise au contraire toute la parcelle de lumière qui habite en l’homme pour trouver le salut par le recours à l’ascétisme, la gnose, la science et l’enseignement. Le système gnostique de Mani n’est peut-être pas ce qui se rapproche le plus de la sagesse jedi. On pourrait évoquer le zoroastrisme qui reconnaît qu’en l’homme existe des influences contraires, le pélagianisme où l’homme peut trouver le salut en faisant le choix de la vertu ou encore l’augustinisme qui reconnaît l’existence d’élus, de personnes touchées par la grâce divine à l’instar de la majorité des jedi.
Les héros sont éternels
Peu importe la qualité cinématographique du « réveil de la force » ou son originalité scénaristique, ce qui importe c’est sa contenance mythologique qui est bel et bien présente. Star Wars demeure un mythe contemporain qui vous tend un miroir, qui vous permet de vous soucier de vous-mêmes. La société de consommation est remplie de personnes névrosées qui refusent de s’écouter ou pire d’entendre quelque chose sur eux-mêmes. Les mythes vous donnent la force de croire en vous, en votre propre destinée. Ils vous incitent à accepter vos démons intérieurs (névrose), à ne plus les subir et à trouver le courage de « devenir ce que l’on est » selon la belle formule de Nietzsche. Hier, ils s’appelaient Luke Skywalker, Leia Organa, Han Solo. Aujourd’hui, ils portent d’autres noms : Rey, Finn, Poe Dameron. Néanmoins, ils participent tous à l’archétype du héros et nous invitent à construire notre propre chemin d’individuation, notre manière de réconcilier nos propres contradictions intérieures. Ils sont les modèles exemplaires dont le monde d’aujourd’hui a besoin pour se réveiller.
Par Frédéric Vincent