« Où va le monde » ? ne cesse de se demander, jusqu’à son dernier souffle, Edgar Morin1, vieux chasseur opiniâtre d’idées rebattues. Mais, ajoute-t-il en substance, la question comme la réponse est d’une complexité telle qu’elle laisse entrevoir ce que pourrait être un certain nouvel humanisme qui se profile à l’horizon du futur tel un paradigme inédit à étudier.
« Qu’est devenu l’esprit d’entreprise ? » se demande de son côté le libéral Charles Beigbeder dénonçant « la démesure des libertaires » et lui préférant « la liberté des enracinés ». Le frère de l’écrivain remuant Frédéric Beigbeder invoque volontiers Chateaubriand, Tocqueville ou Montalembert. Nous relisons, sans état d’âme à REBELLE(S), Claude Henri de Rouvroy, comte de Saint Simon2, « socialiste utopique ».
De toutes façons, en 2017, pour la Présidentielle, il s’agira de choisir le moins pire des Grands Chefs blablateurs susceptibles de défendre les libertés publiques. Je veux dire par là la liberté de presse, de réunion, d’expression, et de religion. Quoi qu’il en coûte, il faudra lutter contre toutes les contraintes étatiques, chercher des alliés non obsédés par le Veau d’Or et les ventres satisfaits des gros banquiers de l’Europe « avidadollars » (pour reprendre une expression savoureuse de Salvador Dali !).
Après les infernaux carnages de Daesh, le 13 novembre 2015 à Paris, l’heure a probablement sonné de prendre ses distances vis-à-vis des idéologues lénifiants et d’écouter en soi-même l’appel impérieux des transcendances qui délivrent le corps, l’âme et l’esprit. Mais saurons-nous laisser toute sa part à cette spiritualité sans dogmes que revendiquait jadis ma vieille complice Marie-Madeleine Davy3 quand elle citait le philosophe Plotin: « Fuir seul vers le Seul »?
Dès la parution de son deuxième numéro, on peut tout craindre de REBELLE(S) même l’insurrection poétique puisque nous nous attaquons aux évidences sournoisement hostiles au libre arbitre. Nous prenons à revers tous les prudents d’avance et les sournois calculateurs de réflexes homéostatiques en posant des actes d’Espérance acharnée, dès ici et maintenant. Nous osons même affirmer parfois que le judéo-christianisme n’est pas encore tout à fait mort et peut réveiller la générosité fraternelle innée en chaque être humain Fidèles aux premières revues que nous avons fondées au siècle dernier (Présence et Regards, Ce Temps de lire, et les toujours actuels Cahiers du Sens), nous rêvons encore aujourd’hui de demeurer ce que le poète Rainer Maria Rilke nommait « la mauvaise conscience de son temps ». Dans ce sens, la soumission à la force barbare d’un début de siècle ne passera jamais la rampe dans nos têtes. Et nous n’ignorons pas que toute peur, chez nous, est un aveu d’échec.
Dans cette optique, nous tentons encore et encore de méditer l’Actualité avec les yeux perçants du journaliste libre qui tente de réfléchir et se moque absolument d’être repéré dans un camp politique ou dans l’autre. La nosologie est totalitaire et corrompue et étouffe toute responsabilité individuelle. Ceux qui cherchent à nous étiqueter se trompent systématiquement. Quoi qu’il advienne, notre compte est bon : nous ne ferons jamais plaisir à personne puisque nous ne flattons ni la chèvre prétentieuse ni les choux du pouvoir.
Pourtant, notre audace est de proposer en ce début d’année 2016 un DOSSIER intitulé « Liberté et sécurité, un couple infernal ». En ces temps d’élections prochaines en République Française, loin des discours éloquents et des slogans formatés, nous indiquons du doigt où se situent les plus grands périls d’étouffement et de censure, et de nouvelles oppressions. Nous dénonçons sans hésiter l’obscurantisme du terrorisme avec le fusil du stylographe d’antan ou le clavier de notre ordinateur dernier cri. Mais nous refusons de tomber dans une logique de guerre, de tirade en tirade, d’éloquence en éloquence, jusqu’à l’impuissance politique.
Avec ou sans Facebook, Google, Youtube et compagnie, n’hésitons pas à le crier : nous savons que la dénonciation de la barbarie de l’État islamique n’est l’apanage d’aucun camp bavard, même pas celui des tribuns vocalisant sur l’échiquier d’un parlement bavard et impuissant depuis si longtemps. Certaines vieilles barbes de 1968 avaient raison : le parlementarisme français est plus éloquent que véritablement utile. Et ce triste constat rend plus précieuses encore certaines plates-formes d’expression indépendante comme REBELLE(S), site y compris.
Avec dédain parfois, sans doute pour nous mettre assurément sur la touche, on nous traite de « poète » quand nous prétendons incarner « le meilleur de la réflexion décalée » sur notre société déclinante, aux relents apocalyptiques.
Pourtant, l’utopie de l’espérance nous soutient. Elle se métamorphose parfois en Réel sous notre plume vagabonde. Incorrigibles, nous jouons alors des mots et des rêves. Là où certains enfants écrivent déjà l’avenir sans le savoir. C’est bien dans cette cour de récréation symbolique, où se peaufine l’avenir de l’humanité civilisée, que nous nous débattons et que nous faisons tribune libre. Là se débattent notre honneur et notre orgueil et notre acharnement de vivre. Et notre façon de refuser jusqu’au bout le désastre annoncé. Et comme l’écrivaient fièrement certains de nos aïeux, nous n’attendons rien de personne et nous savons que nous ne sommes pas seuls.
Jean-Luc Maxence
1. Edgar Morin, Où va le monde ? (L’Herne, 2007)
2. Henri Saint-Simon, Oeuvres complètes, Introduction, notes et commentaires par Juliette Grange, Pierre Musso, Philippe Régnier et Frank Yonnet (P.U.F, 2012)
3. Marie-Madeleine Davy, L’homme intérieur et ses métamorphoses (Albin Michel, 2005)