Le débat qui est ici mis en pleine lumière n’est pas secondaire, il est axiologique. Dépénaliser l’usage du cannabis ou non demeure une polémique de civilisation, une question de propédeutique, en fait. Il s’agit, au fond, de décider si l’on doit privilégier dans nos pays occidentaux en malaise d’identité la sanction qui rassure et clive, l’interdit sans recours, seuil pervers et incitatif menant à la délinquance la plus barbare. Faut-il, oui ou non, dans nos banlieues folles rendre à la Loi stricte, au judiciaire et au pénal régalien les pleins pouvoirs ?
Faut-il occuper à nouveau une place de censeur, de gendarme tout-puissant, plus ou moins borné à force de vouloir revenir à nos bonnes vieilles valeurs d’antan qui n’empêchaient ni les contradictions éthiques ni les addictions ravageuses ? Faut-il opter pour la condamnation quelque peu aveugle et si rassurante de notre bourgeoisie bornée ou prôner l’accompagnement psychologique et éducatif tout entier mis au service d’un renforcement de l’amour fraternel circulant entre les habitants du monde avides de sens.
Écrase-moi ce joint pécheur qui trop souvent enfume tes névroses d’angoisse et les noie dans un plaisir furtif comme un analgésique provisoire ou attends-toi à subir la surveillance policière, à jamais idiote, d’un Comité de probation fantoche, fonctionnarisé à l’extrême et parfaitement inutile ! Casse la gueule même au petit dealer poussif et malheureux qui se fait avoir comme un bleu chez son fournisseur du dessus, celui qui nage tel un poisson commerçant dans la mafia du show-business capitaliste.
C’est vrai ; j’ai changé d’avis ! Après plus de vingt ans d’Aides aux toxicomanes1, vingt ans et plus d’amour pour autrui et d’exercice passionné d’un métier de thérapeute errant pour jeunesse paumée, j’ai retourné sciemment ma veste, et, sur le tard, me voilà conseillant une dépénalisation des fumeurs de joints. Cette parade risque de surprendre mes modèles d’autrefois, mes collègues toubibs qui prenaient trop souvent une lourde prescription de pharmacie pour un médicament magique. On appelait cela, au siècle dernier, La défonce médicamenteuse2.
Alors, bien sûr, si je n’ai pas oublié le bon vieux catéchisme de l’intervenant en toxicomanie, je sais aussi que, sur un terrain psychologique fragile, une assuétude aux joints peut démultiplier les effets d’une psychose. Je n’ai pas oublié que, même si le phénomène d’ascenseur n’existe pas, de facto, entre ce
que nous appelions drogues douces et drogues dures, il n’empêche que l’abus des stupéfiants abrutit, déglingue ou tue, ou rend zombies des bandes entières de jeunes, garanties alors impuissantes et inaptes à toutes formes de révolutions salvatrices.
Être rebelle, au bout du compte, c’est, aussi, brandir la compréhension du pédagogue contre le réflexe d’emprisonnement du Flic-Roi, c’est afficher la souplesse tranquille de l’échange fraternel contre le laxisme mou de l’uniformité érigée en idéal permettant aux puissants de mieux rendre servile l’ensemble des citoyens.
Le nouveau Président de la République, récemment élu au suffrage universel, saura-t-il, en dépit de ses origines politiques (la Haute Finance), dépénaliser le cannabis tout en le rendant, grâce à une communication adaptée, peu attrayant ? Osera-t-il passer de la sanction comme philosophie, inopérante certes, mais rassurante pour ses électeurs, à une pédagogie préventive négligeant les sirènes molles de la publicité indécise et interminable, donc lucrative, évoquant tout à la fois, pour la galerie et la bonne conscience, l’usage banalisé et l’abstinence forcée par peur du gendarme ? Toute prévention réussie recommande toujours l’intelligence et chasse l’ambiguïté des messages d’État. Comme disait l’Autre ;
« Que ton OUI soit OUI, que ton NON soit NON ». Évangélique ou pas, voilà bien le bon plan.
par Jean-Luc Maxence