Pierre vient de divorcer. C’est son ex-femme, Anne, qui a obtenu la garde de leur unique enfant, Adrien. Ce dernier a des difficultés à l’école. La femme de Pierre consulte un médecin qui la réfère à un collègue psychiatre. Ce dernier établit un diagnostic : l’enfant souffre d’un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, soit TDAH, plus communément appelé hyperactivité. Il rédige une prescription de Ritaline, le produit phare pour traiter les enfants hyperactifs. La mère d’Adrien en parle à Pierre mais ce dernier refuse que son enfant soit traité avec une drogue psychotrope comme la Ritaline.
Rappelons que le produit est loin d’être anodin. Il s’agit d’une molécule de la famille des amphétamines. Les effets secondaires sont nombreux : problèmes cardiaques, croissance ralentie, perte d’appétit, irritabilité pour ne citer que quelques-uns. Mais ce sont les effets primaires que Pierre craint le plus. Il ne veut pas que son fils soit drogué, calmé, zombifié, au nom d’une norme sociale qu’il comprend mais qui, d’après-lui, ne justifie pas qu’on contrôle un enfant chimiquement pour l’y soumettre. Anne, la mère d’Adrien, vient d’engager des poursuites en justice contre son mari pour négligence sur enfant et demande qu’on lui enlève sa responsabilité parentale.
Certes, les effets secondaires du soit-disant médicament, que je nomme drogue, pourraient suffire à empêcher sa prescription. Pourtant des milliers d’enfants prennent tous les jours de la Ritaline ou un produit équivalent sans que personne ou presque ne s’offusque. Aux Etats-Unis, ce ne sont pas moins de 11% des enfants de 4 à 17 ans et 20% des ados de sexe masculin qui prennent du méthylphénidate, la molécule active de la Ritaline et des drogues équivalentes. Une étude récente montre que, dans ce pays, les enfants traités chimiquement pour hyperactivité sont plus souvent victimes de violences que les autres. La raison : ils sont soit rackettés par leurs camarades qui veulent leur voler leur drogue ou bien ils deviennent eux-mêmes dealers de leurs propres médicaments et entrent dans une spirale dangereuse de criminalité. Inquiétant.
On peut également prendre le problème à l’étage supérieur : le diagnostic est-il valide ? Existe-t-il des marqueurs biologiques permettant de prouver qu’il existe une maladie telle que l’hyperactivité ? La réponse est non, bien évidemment. Rien ne prouve qu’il s’agit d’un dérèglement chimique du cerveau comme l’affirme certains psychiatres sans la moindre preuve. C’est du reste le cas pour tous les troubles mentaux.
Non, ce diagnostic n’est pas valide, un enfant qui bouge beaucoup ou qui n’attend pas son tour dans les queues n’est pas un malade mental. C’est à la limite un enfant socialement inadapté, peut-être pour certains d’entre eux, mais être inadapté n’est pas une maladie mentale, sauf peut-être en URSS au bon temps de la psychiatrie punitive. Mais quelle est la différence entre un dissident diagnostiqué malade mental en URSS et un enfant diagnostiqué hyperactif en France en 2015 et sous traitement chimique ? Pas vraiment de différence de nature, il s’agit dans les deux cas de problèmes d’inadaptation sociale, de politique.
Je voudrais monter encore d’un étage. Pourquoi la maman d’Adrien a-t-elle été voir un médecin alors que son enfant était en difficulté scolaire ? Pourquoi n’a-t-elle pas recherché de l’aide auprès de professeurs, de pédagogues ou simplement auprès d’associations de parents d’élèves ? Pourquoi la médecine ? Voilà dès le départ, ce que j’appellerai poliment, une anomalie.
Anomalie institutionnalisée. Le CHU de Nîmes vient de passer une convention avec l’Education nationale. Des médecins, probablement des psychiatres, pourront directement observer les enfants dans leur milieu scolaire pour dépister les comportements « à risque » et donc traiter les enfants à problème. Et personne ne semble s’offusquer, là non plus. Je suis personnellement scandalisé que des psychiatres puissent ainsi entrer dans les écoles et juger « en direct » des comportements des enfants. C’est pire que de mettre un policier pour faire régner l’ordre dans les classes, ce qui choquerait à juste titre la plupart des parents et enseignants. Quel échec pour les enseignants que d’en venir à accepter une telle situation !
Les écoles sont donc transformées en antichambres des hôpitaux psychiatriques et l’enfance elle-même devient un symptôme de trouble mental. Nous en sommes là et j’exagère à peine. Tout est médical et le citoyen lambda se voit imposer la psychiatrie comme la solution à ses maux et comme espoir de salut, malgré une totale absence de résultats positifs patents, sauf à considérer de calmer les enfants comme un bon résultat.
Il est urgent de relire Thomas Szasz. En conclusion d’un de ses livres « Pharmacratie », (éditions les 3 génies, 2003), il écrit que « Nous avons remplacé la fausse promesse d’un paradis religieux après la mort par la fausse promesse d’un paradis médical dans cette vie ». Et ce sont les enfants les premières victimes.
par Pierre Lefrate