Depuis une dizaine d’années, de nombreux faits de sociétés, conflits sont apparus, et avec eux s’est accentuée une tendance qui existait déjà: la mise en demeure. Il faut choisir son camp. Cette injonction, qui peut se comprendre en temps de guerre, devient inappropriée et contreproductive en des temps heureusement plus calmes.
Rappelons tout d’abord que la formule: “Tous ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous!” fut inventée, ou tout du moins remise au goût du jour, par Mussolini lors de la montée du fascisme, fascisme dont elle reprend l’outrance et la logique guerrière et conflictuelle.
J’ai commencé par percevoir nettement le retour de cette injonction lors du mouvement des gilets jaunes (mais, n’étant pas spécialiste, cela a peut-être commencé avant). Il fallait être pour ou contre, simplement, définitivement. Combien se sont retrouvés bloqués à un rond-point parce qu’ils refusaient juste d’enfiler un gilet jaune, jusqu’à plusieurs heures d’affilé par des gens sincères qui réclamaient plus de démocratie?
Personnellement, je n’avais pas de position définitive. Je sympathisais avec le sentiment de déclassement, d’isolement rural, de désintérêt des pouvoirs politiques mais je ne supportais pas le discours poujadiste permanent de certains, leur anti-parlementarisme primaire et caricatural. Où me situais-je donc? Et surtout, étais-je obligé de me situer?
Le problème vient de ce que ce discours n’est plus audible. Il faut choisir!
Pourquoi? N’étant pas sociologue, je me bornerai à quelques réflexions personnelles. Les gilets jaunes (ceux que l’on entendait, car le mouvement refusait toute représentation, ce qui, au passage, est totalement contradictoire avec le fait de vouloir être entendu, car qui faut-il entendre?) rejetaient en bloc “les élites et leurs médias” (pour faire simple). Ils s’informaient donc sur des sites internet et des réseaux sociaux. Le problème étant que sur lesdits réseaux, toutes les informations allaient dans le même sens, tous les avis étaient les mêmes. Or quand on est “biberonné” à ce genre de “médias” on ne connaît plus la contradiction et celle-ci apparaît comme une agression, une trahison. Plus de débat possible car ce n’est pas seulement sur l’opinion que les avis divergent mais sur la réalité elle-même. N’en déplaise aux gilets jaunes sincères, cette logique est celle du trumpisme. En dépit de toutes les preuves, ses partisans sont certains d’avoir gagné l’élection, et la réalité elle-même devient un complot.
Que faire alors quand on ne peut même pas partir d’un réel commun? S’affronter et ne plus débattre.
Les gilets jaunes que je rencontrais à la campagne (non, je n’ai pas de résidence secondaire, mais de la famille) étaient souvent pétris de contradictions. Ainsi, beaucoup déploraient la disparition des commerces ruraux mais pas mal d’entre eux préféraient faire 20 kilomètres pour trouver un supermarché, au détriment de l’épicerie locale. Beaucoup exigeaient la démission du président et du parlement mais se vantaient haut et fort de ne pas voter. Beaucoup voulaient des emplois pour rester au pays mais avaient manifesté contre l’implantation d’une zone “industrielle”, voulait désenclaver le village mais refusait une possible voie rapide.
L’injonction de choisir a continué avec la crise du covid. Pour ou contre le confinement, la vaccination, le passe sanitaire, voire la maladie elle-même? Et pas d’entre deux possible. Comment, tu es assez naïf pour croire à cette fable? Le virus n’existe pas, contrôle mondial par les multinationales et les gouvernements, etc… Quand je vous parlais de réalité différente. Là encore les sites propageant les fausses informations fleurissaient.
Et les contradictions de refaire surface. Beaucoup étaient contre la vaccination et le passe sanitaire, ce qui était tout à fait légitime et défendable. Oui, mais ils voulaient les mêmes droits que les vaccinés avec passe. Autrement dit, je ne passe pas mon permis de conduire et trouve scandaleux et liberticide qu’on l’impose, mais je veux conduire quand même, sans contrôle ni contrainte.
Je suis contre l’appli covid sur mon téléphone qui permettrait au “pouvoir” de me localiser, contrôler, mais je donne toutes mes données à Google, qui sait tout de moi et ne veut évidemment que mon bien.
Puis, est arrivé la réforme des retraites. Là encore, pas question de lésiner: pour ou contre. Impossible de dire que l’on est contre le report à 65 ou 67 ans mais pour la fin des régimes spéciaux. Totalement inaudible. Les mêmes qui demandaient, à raison, la fin des privilèges des “riches” ne considéraient pas du tout comme un privilège de pouvoir partir à la retraite à 57 ou 55 ans, soit 5 ou 7 ans avant eux. Et toute nuance de cet ordre était fustigée avec la plus grande violence. Au parlement, qui est par excellence le lieu de la discussion, beaucoup refusaient tout débat. C’était à prendre ou à laisser. Le problème, même si l’on considère qu’ils ont raison, c’est qu’à vouloir le beurre et l’argent du beurre, ils ont perdu la crèmerie!
Oui je sais, on me l’a répété: pas de compromis! C’est pour les tièdes!( ça tombe bien, je déteste le brûlant et le glacé!)
Je me demande si tous ces gens ont des familles, des conjoint/es, des enfants, des collègues de travail. Comment font-ils sans compromis? Le compromis c’est l’essence de la vie à plusieurs.
La loi immigration? Tous les problèmes viennent de l’immigration (extrême droite). Il n’y a aucun problème (extrême gauche). Insécurité? Même chose, mêmes positions. Les deux présentent l’avantage d’être facilement compréhensibles et le désavantage que l’on ne débat jamais de ces deux sujets et conséquemment que l’on ne résout rien.
Le conflit au moyen orient exacerbe cette tendance. On ne peut pas critiquer Israël, son gouvernement, sa politique, la colonisation massive (on est alors pro-palestinien et antisémite) et tout à la fois condamner l’horreur du massacre perpétré par le Hamas (que certains s’acharnent encore à légitimer), aussi bien que le slogan “Palestine from the river to the sea” qui revient à éradiquer Israël (on est alors sioniste, antiarabe, islamophobe, c’est à dire forcément d’extrême droite). Non, pas de nuance, il faut prendre position! On ne peut déplorer les morts et les otages du 7 octobre et pleurer sur les victimes palestiniennes. Il faut choisir ses larmes.
Je refuse! Je choisis la paix!
Être extrême, c’est facile. Vous êtes d’extrême droite? tout vient de l’immigration, du mondialisme, de l’Europe. Vous êtes d’extrême gauche? Tout vient du libéralisme (forcément ultra). Être nuancé est moins “rock’n’roll”, mais sans doute plus pragmatique. Cela permet des avancées. Mais qui veut avancer si ce n’est pas vers son projet, tout son projet et rien que son projet?
Oui, contre vents et marées, je milite pour le compromis, le dialogue, la nuance, quitte à rogner sur ce que je veux vraiment. TOUT plutôt que Donald Trump, Poutine, Maduro, Bolsonaro, Xi Jinping, Milei.
Et, oui le système n’est pas parfait. Oui, il y a des abus, des laissés pour compte, des gagnants et des perdants. Et oui, il faut aider les perdants et taxer les gagnants. Et il faut arrêter de faire croire que les gagnants sont des étrangers ou qu’un système peut ne faire que des gagnants car c’est tout simplement un mensonge éhonté. Tout comme il faut arrêter de faire croire qu’il suffirait de tout prendre aux superriches (comment d’ailleurs?) et que tout serait résolu comme par miracle.
Il en est de même en matière d’écologie. Oui les voitures électriques poseront un problème de recyclage, oui les éoliennes sont moches et défigurent, oui les centrales nucléaires sont un problème majeur. Préfèrent-on le pétrole, les voitures diesel, les centrales à charbon? Car à attendre la solution parfaite avant de changer, le désastre est certain. Vouloir toujours plus mène à la catastrophe. Et surtout cela donne un argument idéal aux fainéants: “Croyez-moi, je changerais bien mais pour l’instant la solution idéale n’existe pas!” Traduisez donc par:”Je ne fais rien et j’ai une bonne excuse!”.
Et aux incendiaires qui arguent qu’on ne peut pas faire d’omelette sans casser des oeufs, je répondrais deux choses:
-ces oeufs, ce sont des êtres humains, et on commence toujours par les plus pauvres. Hitler, Staline, Mao, Pol Pot ont cassé des dizaines de millions d’oeufs.
-mon deuxième argument qui rejoint le précédent et que l’histoire démontre, c’est que l’on peut casser des millions d’oeufs sans faire une seule omelette.
Á bon entendeur, cuisiniers du dimanche bien au chaud dans leur salon, salut!