Sur les sentiers de la création se trouve un homme qui, perdu dans la lumière obscure de ses doutes, se cherche avec le regard meurtri de celui qui a toujours été incompris des autres, qui a toujours été un artiste marcheur, qui a toujours marqué son indécision aussi bien par l’étalement de la peinture sur sa toile que par les empreintes de ses pas qui se dessinent sur la terre rouge brûlante de la montagne Sainte-Victoire. Cet homme ne sait pas que ce doute va un jour se fossiliser comme les coquilles immobilisées dans les sédiments de sa montagne d’inspiration pour devenir, tardivement certes, un corps de cendre adulé, un corps de peinture respecté.
Pour lui, le dessin est un double dialogue, avec la nature bien sûr mais surtout avec lui-même ; d’ailleurs face à lui, ce pin d’Alep, ce n’est pas lui qui le regarde mais ce sont les centaines d’aiguilles souples disposées de part et d’autre de son tronc tortueux qui l’observent. Lui, l’artiste marcheur, obligé de se courber sous le poids de son chevalet pour grimper le long des chemins escarpés voit dans ce conifère comme un frère. Un frère bienveillant à la silhouette très souvent inclinée pour réussir à résister à la force du mistral. Ce mistral épuisant mais qui a l’avantage de vider son esprit de toutes les médisances qui l’encombrent quand il n’est plus au cœur de sa haute et monumentale pierre calcaire, totem de son chemin de pensée.
Il faut qu’il marche, il doit continuer à marcher et retarder au maximum son retour au Jas De Bouffant. Il doit se défaire de sa mauvaise humeur causée par les jugements que lui prêtent ses semblables. Enfin, ses semblables, façon de parler car il ne comprend pas ; lui, l’homme rongé par les doutes, voit les autres artistes exposer leurs œuvres avec des discours pleins de certitudes. Marcher est vital pour lui car chaque pas le conduit sur la route de sa pensée ; une pensée en chantier dont il se doit d’explorer les différentes membranes de son cerveau pour tenter de déchiffrer, tel un archéologue, les multiples images et mots gravés quelquefois dans des régions difficiles d’accès. Parfois, il a l’impression d’être Champollion cherchant à décoder la pierre de Rosette, mais chose étrange, cette pierre de Rosette, elle est dans son propre cerveau. Pourquoi, lui qui ne demande rien à personne, est-il souvent victime de la raillerie de ses pairs ? Ah, Zola ! Le soi-disant ami d’enfance et son portrait d’un artiste raté dans son ouvrage intitulé L’œuvre, c’était vraiment très délicat ! Enfin, pourquoi ne comprennent-ils pas que chaque personne est singulière, pourquoi tous ces artistes de salons veulent-ils servir l’esthétique dominante de la petite bourgeoisie locale ; ne se souviennent-ils pas des propos sur la peinture du moine Citrouille-Amère, Shitao : La vraie peinture ne relève pas de l’art, encore moins d’une quelconque esthétique ; elle est manière d’être.