J’ai rencontré Pascal Thuot en 1999 à la librairie de mon quartier, alors que je cherchais un livre de science-fiction. On m’avait adressé à lui car il connait le sujet. Ça tombait bien, il venait de lire un excellent roman dont je ne me rappelle plus le titre ni l’auteur (Banks ? Hamilton ?) mais que je pus apprécier grâce à lui. De loin en loin, ses connaissances et la passion qu’il mettait à résumer une intrigue et en planter le décor m’amenèrent à pousser les meubles. Je faisais de la place aux livres. Seul le chat de la maison ne s’en plaignit jamais.
Éric Desordre : Je tente de commencer les entretiens par les sources de mes interlocuteurs. Quelle a été ton enfance ? En quoi t’a-t-elle marqué et construit ?
Pascal Thuot : J’ai grandi à la campagne, au sud de Nemours dans un petit bled de Seine-et-Marne. Avec une double origine. Paysanne d’une part, d’une paysannerie finissante qui s’était déjà détachée de la terre, gardait un lien avec elle mais était d’autre part rentrée dans la modernité, le monde ouvrier. Activité principale d’alors, une usine de verrerie à Bagnols-sur-Loin servait de gagne-pain et de tremplin social. Ce site de fabrication du verre est très ancien, existant depuis le début du 18ème siècle. De décennie en décennie, l’usine a répondu aux besoins de la modernité. Mon père y a travaillé très tôt, comme le sien né dans une famille d’agriculteurs, qui avait rompu avec le mode de vie villageois après avoir été bourrelier. Toutes très enracinées, des vies de gueux depuis le 16ème siècle aussi loin que j’ai pu remonter dans histoire familiale paternelle.
L’usine offrait un cadre de travail bien meilleur que celui de la vie paysanne, où il n’y a pas de repos mais un labeur vingt-quatre heures sur vingt-quatre. À l’usine, il y a des horaires, des salariés, c’est régulier, on avait l’assurance de pouvoir finir par acheter une maison. Le lien à la terre était toutefois très présent, avec une grande basse-cour, un immense jardin potager, un verger. On parle-là d’une quasi auto-suffisance, avec beaucoup de troc dans le village : le lait contre les légumes, du bœuf de temps en temps contre des lapins ou des poulets.
On commençait à travailler tôt. Après son certificat d’études à 14 ans, mon père est rentré à l’usine. Sentant que ce monde était alors à son tour un peu finissant, il a passé un concours des PTT et a terminé sa vie professionnelle comme facteur, métier qu’il a beaucoup aimé.
ÉD : Il avait beaucoup de lucidité.
Pascal Thuot : Oui, ces hommes n’avait pas bénéficié d’une éducation très approfondie mais étaient judicieux dans leurs jugements et dans leurs choix. J’ai pris du côté de mon père cette capacité à prendre en compte la réalité. Ma mère, elle, vient d’un milieu ouvrier belge, immigré après la première guerre mondiale, pas si pauvre que cela mais ayant connu des privations… et l’absence. Mon grand-père, parti au service militaire en 1937, mobilisé en 1939, fait prisonnier sur les plages de Dunkerque en 1940 est revenu à la maison en 1945. Soupçonné d’un communisme virulent – ce qui n’était pas usurpé – il est revenu dans un sale état. On a donc été très marqués ma sœur, mon frère et moi par cette vie laborieuse mais digne, très laïque.
D’une certaine façon ma rencontre avec les livres s’est faite par deux biais. D’abord l’école, ensuite France Loisir à laquelle ma mère était abonnée. France Loisir, à l’époque, c’était de la qualité. L’un des livres qui m’a influencé fut Les derniers rois de Thulé, de Jean Malaurie. J’avais 10 ans et même si je n’ai pas tout compris, j’ai senti que là s’ouvrait quelque chose pour moi. Familier de la bibliothèque municipale, je lisais tout ce qui me tombait sous la main, avec un tropisme certain pour la culture antique. Encore chez France Loisir, un livre de Stephen King est arrivé un jour. Je l’ai lu, ce qui serait déconseillé aujourd’hui à un pré-ado ! Ce fut une rencontre fondamentale avec l’art du récit. J’en parlais d’ailleurs beaucoup avec ma grand-mère. J’ai ainsi très vite compris qu’un roman pouvait être un reflet de la société. Cela s’est avéré structurant pour les rencontres que j’ai pu faire par la suite, aussi suis-je très content que mes parents m’aient laissé une liberté totale dans mes lectures.
ÉD : Liberté accordée non pas parce qu’ils s’en désintéressaient mais parce qu’ils respectaient ta liberté.
Pascal Thuot : Et parce qu’ils me faisaient confiance. On ne pouvait pas faire de mauvaise rencontres, même si certaines découvertes ont été plus compliquées par la suite, plus déstabilisantes. J’ai beaucoup aimé ce moment, autour de mes 10 ans, ensuite, à partie de 1982-83, la lecture a un peu cédé le pas aux copains, à la musique – la découverte du rock alternatif français avec les Béruriers noirs – ; la littérature et la musique ont été les piliers dont je me suis servi pour me faire une représentation du monde.
ÉD : Le cinéma ?
Pascal Thuot : Le cinéma fantastique américain.
ÉD : Le cinéma de genre ? Romero ?
Pascal Thuot : Oui, Romero et très tôt les films comme Le Voyage fantastique de Richard Fleischer, Vingt-mille lieues sous les mers. Pas trop les grandes épopées du genre Star Wars. Je me sentais plus proche de ce que j’appellerais « l’organique ».
ÉD : Voyage au centre de la Terre, Le Monde perdu ?
Pascal Thuot : Voilà ! Tout ce qui était de l’imaginaire débridé, de l’autorisation à rêver à autre chose.
ÉD : Avec une dimension poétique.
Pascal Thuot : Beaucoup plus poétique que religieuse. Ce que j’aurais à reprocher à Star Wars c’est ce côté messianique qui ne m’a jamais intéressé.
Par ailleurs, parcours scolaire assez sage, sans véritable à-coups. Au lycée, une deuxième révolution pour moi fut ma rencontre avec le surréalisme. Cette dimension me manquait. J’ai eu la chance inouïe de bénéficier d’excellents profs de français, tant au collège qu’au lycée. Des gens qui détectaient le besoin et l’envie. Ils alimentaient les élèves : « Jette un œil là-dessus »… Un prof d’espagnol m’a fait découvrir Borges. Je parlais de rencontres difficiles : Artaud. Tu vacilles. C’est brutal. Puis les poètes de la négritude, Senghor, Césaire. Les ultramarins, Edouard Glissant…
ÉD : Antony Phelps ?
Pascal Thuot : Pas encore à cette époque-là. Plein d’auteurs restaient dans l’angle mort. Ensuite, tu avances et fais d’autres rencontres. Mais le socle était posé et te permettais de trouver d’autres œuvres. Après une incursion en Droit vite escamotée, je me suis inscrit en fac de d’Histoire. J’ai adoré. Ensuite, service militaire et immédiatement après, la librairie.
ÉD : Tout de suite ?
Pascal Thuot : Les études d’Histoire me conduisaient presque inévitablement au professorat, voie que je ne me suis pas senti motivé à suivre. La librairie m’a intéressée par son interaction avec l’Autre, dans une sorte d’équité.
ÉD : Un équilibre de personne à personne, sans cours ex cathedra.
Pascal Thuot : De plus, je n’ai jamais eu de problème avec la transaction et trente ans après, je suis toujours très heureux d’être libraire.
ÉD : Ton origine paysanne t’a donné de bonnes bases pour cela.
Pascal Thuot : Je suis ne finalement devenu urbain que vers 18 ans, après le bac. Je n’ai pas de nostalgie dérangeante pour la campagne car j’y ai vécu suffisamment pour bien m’en imprégner et j’aime y retourner voir mes parents, mais ce n’est pas une référence quotidienne obligée. J’aime assez la ville, pas forcément dans son côté frénétique mais parce que c’est un chouette lieu d’observation. On y fait beaucoup de découvertes, même dans des lieux assez ingrats.
ÉD : Tes premières armes en librairie, tu les as faites dans des lieux choisis ou un peu par hasard ?
Pascal Thuot : J’ai d’abord été apprenti, dans une école qui était alors une association, avant que ça ne devienne l’École de la librairie. C’était encore assez expérimental. J’y ai fait des rencontres inouïes avec Jean-Jacques Pauvert, avec Maurice Nadeau. J’y ai découvert une poésie contemporaine avec des gens comme Pierre Alféri qui venaient nous expliquer quel était leur travail. Une petite librairie qui n’existe plus aujourd’hui recherchait un apprenti. Spécialisée en littérature allemande, elle me convenait car j’étais un assez bon germanophone, très sensible au romantisme allemand et à la littérature allemande du 20ème siècle. Située sur la Butte Montmartre, dans une petite rue perpendiculaire aux Abbesses, son nom était « Buchladen ». Deux années extraordinaires ! Gisela, la libraire, était très exigeante. Grâce à elle, je pense avoir gagné beaucoup de temps. Pas d’informatique, on travaillait à la fiche verte ; il fallait beaucoup de mémoire.
ÉD : Tu décris une librairie petite, spécialisée, forcément exigeante pour des raisons économiques. Tu étais déjà à la recherche d’une sorte d’excellence, dans le sens de soif d’apprendre un métier afin de l’exercer au plus haut. Dirais-tu que cela a perduré, cette recherche de la valeur ?
Pascal Thuot : Bien sûr. J’étais en alternance, trois semaines en librairie, une semaine à l’école. On pense souvent qu’on va réinvestir en librairie ce qu’on a appris à l’école. En réalité, c’est plutôt l’inverse qui se passe ; tu réinvestis dans les apprentissages théorique la pratique que tu as eu. Comme n’étions que deux dans 25 m2, j’avais accès à tout. Et surtout je percevais quelle pouvait être la fragilité d’une telle structure. Gisela tirait le diable par la queue. Elle me payait un petit salaire, la première année, j’étais payé 70% du SMIC, la deuxième 90%. Je vivais dans une chambre de bonne.
ÉD : Elle ne te payait pas ainsi parce qu’elle était rapiat mais parce qu’elle ne pouvait faire autrement.
Pascal Thuot : C’était le tarif légal et il n’y avait pas de raison que ce soit autrement . Il lui arrivait des fois de m’engueuler car je faisais trop d’heures. Je me foutais du temps passé, j’assurai son remplacement le dimanche pour lui permettre de passer la journée avec ses enfants. Jeune, j’avais ce temps.
ÉD : Elle mettait en pratique les valeurs qu’elle affichait.
Pascal Thuot : Et elle me faisait confiance. Elle appréciait aussi que je sois présent, ne me renvoyait pas à ma condition de jeune qui avait tout à apprendre. Elle pouvait toutefois être très cinglante. Je pense souvent à elle malgré que nous ayons perdu le contact. Portant une part non négligeable de l’histoire allemande, elle apprit tardivement que ses parents n’étaient pas ses parents biologiques. Grande intellectuelle et très rebelle, elle finit par savoir qu’elle était juive et avait été adoptée, comme d’autres en Allemagne, par des gens humbles ayant échappé à la destruction des consciences. Il auront sauvé de très jeunes enfants de l’extermination.
ÉD : Il reste à faire l’histoire de cette Allemagne de l’ombre et des caves, non pas celles où l’on torture mais celles qui servent de refuges, où l’on sauve.
Pascal Thuot : Ils n’ont pas le statut de Justes mais on fait ce qui était à leur portée, et l’on fait sincèrement. Tout cela m’a appris beaucoup de choses. L’ex-mari de Gisela, assez bizarre, était obnubilé par ces absents qu’on ne reverraient plus, les victimes de la Shoa. Extrêmement intelligent mais traumatisé, il faisait les débarras d’appartement pour gagner sa vie. Il vivait au milieu de meubles recouverts de draps comme s’il devait partir le lendemain ; tous les tapis étaient roulés contre les murs.
ÉD : Une vie suspendue.
Pascal Thuot : Je repense à ces gens-là, tu sentais chez eux un désarroi profond. Beaucoup de douleur. Ils se débattaient avec ça.
ÉD : Quand bien même il y eut de nombreuses personnes dans cette situation, on ne les croisait pas forcément et si on les croisait, on ne remarquait pas toujours leurs parcours singulier. Toi, tu les as côtoyées, tu as fait attention à leurs vies et as bénéficié de ce qu’ils ont partagé avec toi et de la richesse de leur expérience humaine.
Pascal Thuot : Parmi les clients, il y avait des gens incroyables qui venaient pour elle et pour le fonds exceptionnel qu’elle proposait. Des personnes comme Stéphane Eicher, absolument charmant ou le philosophe Pierre-André Taguieff et le grand traducteur de l’allemand Lortolary. Tu voyais défiler ces sacrés personnages et ne faisait qu’écouter. Le quartier était alors authentique. Pas le Disneyland d’aujourd’hui, j’avais ma place au café pour manger mon sandwich ! Plus haut, un bouquiniste assez imbuvable mais qui m’aimait bien tenait une boutique de livres anciens. Il avait été comédien au Français. Très exubérant, il était capable de foutre quelqu’un dehors quand la tête ne lui revenait pas. Sur l’autre versant de la Butte, une librairie de poésie qui s’appelait Anima où j’allais souvent traîner. Un petit disquaire avec lequel je buvais des cafés. Un vieil américain, Dick, un vieil homo qui me faisait du gringue habitait à côté. Le plus élégamment possible, je lui disais « ça ne va pas le faire » ! Cela peut faire galvaudé de dire que c’était un village, mais il y avait cette dimension.
ÉD : J’habitais à la Mouffe à l’époque et c’était la même ambiance. Je traversais Paris à pied la nuit, sans aucun problème.
Pascal Thuot : C’était la fin. J’adorais ça, arpenter. Ce furent aussi mes premières expériences de rencontres avec des écrivains étrangers. La librairie était trop exigüe, aussi les événements avaient-ils lieu dans la laverie de l’autre côté de la rue. Je me souviens particulièrement des écrivains scandinaves : Jorn Riel, Les racontars arctiques ! De grands intellectuels comme René Radrizzani, éditeur de cette merveille de la littérature française qu’est la première version intégrale du Manuscrit trouvé à Saragosse, de Jean Potocki. Des personnes d’une puissance de pensée absolument inouïe. Ils m’ont fabriqué.
Ensuite j’ai travaillé chez Extrapole, à la Défense, pendant quatre ans. Je voulais essayer autre chose. Excellente expérience qui, grâce à des gens qui faisaient confiance, m’a permis de sortir d’une certaine mythologie de la libraire, comprendre ce qui se joue quand quelqu’un qui n’a pas l’habitude de rentrer dans une librairie vient chercher un livre. Cela m’a fait me poser la question : « Comment créer un paysage exigeant dans un lieu où tu pourrais te contenter de faire le minimum et servir la demande ? »
Puis je suis arrivé à la librairie Millepages, le 1er juin 1999.
ÉD : Exactement au moment où j’emménageais juste à côté de la librairie, il y a maintenant près de 25 ans. On s’est croisés à ce moment-là.
Pascal Thuot : J’ai fait le constat qu’il manquait à Millepages des représentants des littératures de l’imaginaire dont j’étais un lecteur et auxquelles toi-même tu t’intéressais. J’avais alors sept à huit ans d’expérience de la librairie, finalement assez peu.
ÉD : Oui mais assez large, avec deux types très différents de librairies.
Pascal Thuot : Techniquement, j’avais déjà appris beaucoup de choses. Recruté comme adjoint de direction, j’avais la perspective de diriger la librairie à brève échéance, ce qui fut le cas. Le fondateur Francis Geffard cherchait des gens de confiance afin de continuer son aventure éditoriale chez Albin Michel et quitter le quotidien de la librairie tout en restant partie prenante. Je suis rentré dans l’actionnariat.
Je reste très attaché à ce lieu. C’est une recherche constante de l’excellence et l’acceptation de ce par quoi tu dois passer. Les moments de crise, les difficultés, les projets, les agrandissements. Cela prend beaucoup de place dans ton esprit, il faut te blinder, ne pas se permettre d’être écervelé, garder une anxiété positive. Il faut domestiquer beaucoup de choses. Après trente ans de librairie, je suis encore en formation. Il faut se maintenir à jour. L’évolution du monde l’exige.
ÉD : Non seulement le monde change mais aussi l’univers du livre est un torrent permanent de nouveautés.
Pascal Thuot : C’est l’un des miroirs du monde. Ces miroirs t’égarent. Me traverse l’esprit la question « qu’est-ce que la rébellion ? » C’est le pas de côté, le fait de « ne pas participer à ». Il y a une autre définition de la rébellion, plus risquée. Dans un tel monde tu peux rendre les armes ; après tout, c’est « le marché » qui a gagné. À quoi bon passer du temps à cultiver une certaine idée du catalogue ? Pourquoi prendre le risque d’embaucher des gens qui n’ont pas de profil évident, qui ne sont pas toujours simple à gérer au quotidien ? Pourquoi tous ces efforts alors que je pourrais me consacrer exclusivement à ce qui « tourne » ?
Mais cela ne m’intéresse pas de m’offrir en sacrifice à un monde que je n’ai pas voulu. Je veux continuer à être la main qui façonne la poterie. Décider, ne pas accepter ce que le marché nous impose. Cela ne veut pas dire que tu refuses en bloc ce que le marché propose. Simplement, tu crées des digues, des couloirs qui se traversent, des passerelles qui peuvent être empruntées par tous. Naturellement, sans pressions, sans jugements.
Ce que je retiens de ce métier, c’est qu’il faut s’efforcer de toujours mieux comprendre les gens, parfois de les comprendre sans être d’accord avec eux. Plein de choses me posent problème aujourd’hui. Nous vivons des ruptures civilisationnelles qui font que les idées que je porte seront mal comprises. Ce qu’est « être de gauche » ne trouve plus d’écho chez les jeunes gens que je rencontre. Je me suis intéressé à leur définition du progressisme mais ne suis pas convaincu. Je ne peux me défaire de ce que je suis et donc vais essayer de demeurer moi-même tout en avançant et en m’intéressant. La librairie doit rester ce lieu pour tout le monde. N’étant pas un censeur, et en même temps peu sensible aux modes – à ce que crée l’instant -, j’estime qu’on revient toujours à quelque chose ayant existé.
ÉD : Vois-tu dans les écrits d’aujourd’hui – au-delà des essais, les romans, la poésie -, un reflet de la société, des clivages qu’on y trouve, voire qu’on y crée ?
Pascal Thuot : Oui. De nombreux ouvrages sont polis sur la pierre de « ce qu’il faut penser aujourd’hui ».
ÉD : Il y a des doxas, comme avant. Mais les valeurs, des marqueurs, des névroses identifiaient, permettaient de distinguer la droite de la gauche ; ce qui est beaucoup plus difficile à faire de nos jours. Les ruptures sont plus horizontales, traversant le champs politique, aménageant et isolant des doxas plutôt qu’une doxa. On constate un éclatement de la société, on compte de nombreuses associations à la vie très riche mais s’ignorant les unes les autres.
Pascal Thuot : Il n’y a pas de grand projet.
ÉD : Tous les mouvements n’existant que par l’exclusion autoritaire de l’Autre, quel que soit cet Autre – des maos, trotskos ou fafs d’hier aux wokistes, hétéronormatifs ou islamistes d’aujourd’hui -, me sont toujours apparus comme des moyens pour leurs promoteurs de s’assurer une place au soleil. Casser ce qui existe, discréditer les anciens et m’installer à leur place ! L’instrumentalisation des idées aux fins de se constituer une clientèle et des prébendes a toujours prédominé au cours des périodes peu sûres d’elles-mêmes. Est-ce que le livre propose plus de hauteur dans cette bataille ?
Pascal Thuot : C’est très nuancé. Il y a un vrai débat entre woke et anti-woke. Est-ce intéressant pour autant ? Au milieu, des auteurs travaillent sérieusement à apporter des analyse éclairantes, comme par exemple Philippe Forest. Je parle de personnes qui ne parlent pas trop fort, qui ne sont pas dans l’arène pour asséner.
Accepter des choses qui n’étaient pas acceptées avant, comme les signes religieux, me dérange énormément. Est-ce une simple question de génération ? Je ne le crois pas. Mais je peux aussi constater que nous n’étions pas travaillés par des questions identitaires. Ce que j’ai appris au cours de mes études d’histoire, c’est que l’étude – justement – de l’histoire évolue avec le temps, qu’elle reflète avant tout l’époque au cours de laquelle elle s’écrit, plus encore que l’époque du passé qu’elle étudie.
ÉD : Étudiant, mes amis étaient algériens, tunisiens, camerounais, et nous nous retrouvions dans des discussions politiques passionnées et le goût de la vie. En matière d’idéologie, c’étaient des tiers-mondistes. Plusieurs d’entre eux étaient socialistes militants. Le passé colonial datait d’avant leur naissance ; ils ne l’occultaient pas mais ne me tenaient pas rigueur de d’être français, qui plus est issu d’un milieu qu’on pouvait considérer comme bourgeois. Il est vrai que c’était aussi leur origine sociale. À Paris au milieu de ce bouillon qui nous nourrissait, il n’y avait pas d’animosité, d’assignation, mais un intérêt réciproque pour les racines de l’autre.
Pascal Thuot : On se retrouvaient en effet dans l’expression et la recherche de la liberté. J’aime la notion d’enracinement qu’un auteur italien exprime magnifiquement : Mario Rigoni-Stern. Son enracinement ne l’amène pas à être fané. Être enraciné, c’est toujours fleurir. Les cycles sont respectés. Je ne me sens pas en communion avec les Alpes dolomitiques du Haut-Adige, le berceau et le lieu de nombre des récits de Rigoni-Stern, je ne peux le comparer à ma Seine-et-Marne. Toutefois la fréquentation d’André Dhôtel m’a fait aimé des choses anodines, que le langage magnifie. Le langage est un outil merveilleux pour donner de l’existence à des choses qui n’en ont pas, pour nommer.
Rigoni-Stern décrit un endroit âpre, fruste, des gens pauvres massacrés par la guerre. Cet enracinement trouve sa force dans la catastrophe, dans le fait d’être parti contre son gré mobilisé par l’armée italienne, d’être revenu avec tant de difficultés. Le message est inouï de résistance au fascisme grâce à la vérité de l’être enraciné, à l’authenticité de ses liens avec la terre, les hommes et les bêtes.
ÉD : C’est l’exact contraire des pseudo-racines terriennes promulguées par Vichy. Tu retrouves cela dans le Cheval rouge d’Eugenio Corti, avec une dimension religieuse en plus.
Pascal Thuot : Oui, Rigoni-Stern était un mécréant.
ÉD : Rigoni-Stern est un grand ami de Primo Levi ; deux alpinistes, skieurs, deux auteurs.
Pascal Thuot : Ils publient chacun leurs premiers livres en même temps, en 1949. Celui de Primo Levi, Si c’est un homme, passe inaperçu, alors qu’avec Le sergent dans la neige, Rigoni-Stern connaît immédiatement un succès colossal. Il y a ensuite une inversion, car la grande postérité, c’est Si c’est un homme. Les souvenirs de Rigoni-Stern n’intéressant plus que des lecteurs sensibles et curieux qui sauront apprécier l’incroyable simplicité de l’homme.
Cet enracinement m’intéresse beaucoup. Comment en parler aujourd’hui en librairie ? Je suis très heureux du leg qui m’a été donné, histoire très rayonnante. On ne cache rien, le travail de compréhension des historiens me passionne car ils remettent sans cesse celui-ci sur l’établi.
ÉD : C’est le cas d’un Patrick Boucheron ou d’un Xavier Mauduit.
Pascal Thuot : Ou, autre exemple, d’un Gérard Noiriel. Nous recevons Ivan Jablonka à la librairie prochainement. Il essaie de redéfinir une littérature de l’histoire au travers de la littérature du réel., la capture du réel n’excluant pas de faire de la littérature dans le champs historique et celui des sciences sociales.
ÉD : Il n’est pas le premier à convoquer plusieurs genres. Foucault est un magnifique écrivain.
Pascal Thuot : Et le Pérec des Choses est un romancier sociologue. Tout cela, c’est le patrimoine qui relève de ce que la France a apporté dans un ensemble plus vaste. Malgré que cela soit faillible, je ne peux pas me définir autrement et sans réserve que comme un universaliste. La France est le lieu où est née cette utopie qui est en train d’être balayée.
ÉD : Elle est en tous cas questionnée. Bien sûr dans des pays qui reconstruisent un passé mythifié, dans certains cas d’empires contrariés. Ils ont d’ailleurs dans les pays démocratiques des relais avec une partie de la jeunesse qui a perdu la boussole de son identité, de ses identités.
Pascal Thuot : Une jeunesse qui voudrait faire de la honte un sentiment possible, or cela ne fait avancer personne. Il faut identifier ce qui a été honteux dans notre histoire, essayer d’en comprendre les mécanismes : l’occupation, la collaboration, le colonialisme qui refusait de disparaître et créait un désastre.
ÉD : Il est très curieux que les erreurs de la période post-seconde guerre mondiale, entre autres en Indochine puis en Algérie aient été faites par des hommes souvent très vertueux, eux-mêmes héritiers voire initiateurs des valeurs de la Résistance. La vertu peut ne pas empêcher l’épouvantable.
Pascal Thuot : Un des grands romans du début des années 2000 est celui de Jérôme Ferrari, Où j’ai laissé mon âme. Il raconte ce moment charnière pendant la guerre d’Algérie, via l’adresse d’un officier à son supérieur. Il lui dit combien il l’a admiré jadis et combien il le méprise aujourd’hui. Le point de bascule est la torture systématique des prisonniers appartenant à l’ALN, le FLN attendant quant à lui tranquillement de l’autre côté de la frontière marocaine que le fruit mûr de la guerre tombe… avant de se débarrasser des leaders de l’ALN.
De ces officiers français qui se sentent trahis parce qu’on leur demande de « faire un sale boulot », nombre ont été des résistants héroïques au nazisme, ont combattu en Indochine, on été envoyés pour tenter de régler des problèmes que les politiques se sont avérés incapables d’en seulement prendre conscience…
ÉD : Il y a aussi la volonté de ne plus perdre.
Pascal Thuot : Oui, sauf que cette guerre était impossible à gagner. Tout le monde retombe dans le piège. Les Américains perdent au Vietnam, perdent en Irak, perdent en Somalie… Les Russes doivent quitter l’Afghanistan… Les Israéliens ne peuvent gagner contre le Hamas à Gaza. C’est juste une fabrique de terreur. À l’instar de la littérature, l’histoire permet de conscientiser cela, avec le texte comme support. Les images ne sont pas suffisantes, leur lecture peut en être facilement biaisée.
ÉD : Et avant que d’être faussées, les images sont choisies. Avec des générations encore plus tentées par le zapping que leurs ainées, les images choisies par quelques-uns sont en quelques sortes imposées à tous. Ce qui n’aménage pas de temps pour réfléchir.
Pascal Thuot : C’est pourquoi dans un monde de rapidité et d’immédiateté, le livre est non seulement un creuset mais un sanctuaire.
ÉD : Constates-tu des changements dans les habitudes de lecture ?
Pascal Thuot : C’est une analyse compliquée, cela varie d’un jour sur l’autre, comme la météo. J’ai envie de dire qu’il y a une érosion des grands lecteurs ; une génération qui perd des soldats. Les grands lecteurs n’étaient déjà pas très nombreux, il le seront encore moins demain. Très bien renseignée, ils nous renseignaient tous les matins et alimentaient la machine à prévoir les lectures futures en continu. Nous tous, aujourd’hui, même en y opposant une résistance farouche, avons été submergés par le numérique.
ÉD : Un ami prof de philo en classe préparatoire m’a récemment dit que ses élèves n’écrivaient presque plus, qu’ils rendaient leurs copies par téléphone.
Pascal Thuot : Cette place du numérique dans nos vies a été pour une part consentie, même si on n’en percevait pas le caractère dévorant, et pour une part non consentie car on ne peut plus faire aucune démarche – billets de train, actes administratifs, etc. – sans être obligé de passer par le numérique. C’est odieux par principe et en pratique. L’attente au guichet n’était pas l’idéal mais combien plus sûre quant au résultat de la démarche…
ÉD : Mes enfants ont peu de livres mais lisent beaucoup sur internet. C’est la constatation que le discours d’Umberto Eco sur la capacité du numérique à nourrir la culture contenait une vérité. Qu’en penses-tu ?
Pascal Thuot : J’entends cela mais je pense que la toile est intéressante pour se renseigner mais pas pour s’imprégner. Cela ne peut changer en profondeur notre regard sur le monde. J’y ai recours pour beaucoup d’informations mais il n’y a pas d’intimité. À contrario, tu peux, on peut te chuchoter quelque chose avec le livre, il y a une douceur. Avec le numérique, ce sont des biais, des angles aigus.
On peut bien sûr lire des choses d’une extrême violence : par exemple, je lis en ce moment plusieurs livres sur le Rwanda pour préparer une rencontre à la librairie. L’imprégnation et le silence dans lequel elle se produit sont nécessaires et ne sont possibles que par le livre. Le respect, la communion permettent d’aborder des questions comme celles-là.
ÉD : Tu utilises un langage presque religieux. J’y vois pour ma part la lampe allumée dans la nuit, le silence de la chambre.
Pascal Thuot : Le bruit que cela produit en toi, le cri que cela peut susciter, tu n’es pas obligé de les faire entendre. Une exhibition est illusoire et même fausse.
ÉD : Au web, à l’image dominante, manquerait-il un intercesseur, un guide ? Entre un lecteur et un libraire, il peut y avoir une intercession éclairante.
Pascal Thuot : Ce qui peut un jour être estropié est l’acceptation d’une subjectivité. Cette subjectivité, le livre te l’apporte immédiatement. La relation à l’autre dans le quotidien est une subjectivité. C’est la vie, un mode de connaissance plus lent mais plus nourrissant. Tu apprends avec plus de précaution. Et puis cela ne laisse pas de trace, dans un monde où tout laisse des traces. Quand tu as lu un livre, tu n’en laisses pas. Mettons de petits mots dans les livres, qui seront lus par d’autres. Cela serait poétique.
ÉD : Cela m’évoque le film de Wil Wenders, Perfect Days dans lequel il y a cette poésie. De petits mots sont laissés dans des endroits publics de Tokyo. Le personnage principal répond au scripteur inconnu et démarre une correspondance.
Pascal Thuot : Cette attention au monde nous soulage un peu de la lourdeur présente, alors que certains n’arrivent plus à porter. Le nombre de personnes sous psychotropes est considérable… L’avidité pour de nouveaux gourous numériques ou réels est significatif de notre époque. Le retour à une forme très étendue dans la gamme des propositions religieuses montre la préférence pour la prédominance d’un autre qui peut déboucher sur une domination. On a essayé de s’en débarrasser et ça revient…
ÉD : Ce n’est pas la recherche spirituelle, noble et légitime qui est en cause, mais une nouvelle adhésion au discours de la servitude volontaire. Bien sûr, cela ne prend pas la forme d’un archaïsme qui dominerait tout ; ce n’est pas Baal. Cet archaïsme est éclaté car la prégnance des nombreux pseudo-guides s’exerce sur de petits nombres d’individus. Omniprésente, elle finit cependant par toucher beaucoup de monde. Il n’y a probablement jamais eu autant « d’églises ».
Pourrais-tu parler du festival America qu’organise la librairie Millepages ?
Pascal Thuot : C’est une aventure formidable. L’idée est venue de Francis Geffard qui a voulu créer un pendant aux Étonnants Voyageurs de Michel Le Bris, à Saint-Malo. Un festival qui serait focalisé sur l’Amérique du Nord. Un miroir de ce que cette Amérique dit, produit, envoie au monde et comment on peut l’interroger.
Cela tient toujours depuis 2002, avec une équipe très restreinte de bénévoles. En partant de rien, je pense que nous sommes maintenant arrivés à une certaine maturité. Nous préparons actuellement la prochaine édition qui aura lieu du 26 au 29 septembre. Alors que beaucoup de questions se posent sur la place de la littérature traduite, les éditeurs voient les ventes s’effondrer comme dues à un repli sur soi. Ces traductions ont été très fréquentées dans les années 90, avec un appétit étonnant en France pour la littérature nord-américaine, latino-américaine, africaine. Le festival est là pour montrer qu’il n’y a pas de fatalité. Si la proposition est solide, que la passion est là pour donner le meilleur, les gens répondent présent.
ÉD : Les jeunes viennent aussi ?
Pascal Thuot : Oui, nous avons des signes que l’on va pouvoir continuer. Dans notre programmation, nous organisons des événements s’adressant à différents publics. Les pistes qu’ouvrent la littérature pour questionner le monde et la société nous intéressent, la fiction reste un vecteur très puissant.
ÉD : Et très éclairant. Tant de subjectivité permet de donner plus de lucidité.
Pascal Thuot : De l’intime à l’universel, ce dialogue se perpétue au travers des livres. Le festival, c’est beaucoup de travail.
ÉD : Combien de festivalier ?
Pascal Thuot : On a dépassé la barre des 42 000. On reste toutefois à échelle humaine.
ÉD : Le festival de poésie de Sète, le plus grand d’Europe avec une cinquantaine d’auteurs, rassemble 70 000 auditeurs. C’est du même ordre de grandeur.
Pascal Thuot : C’est très rassurant. La poésie fait l’objet d’une nouvelle demande, par une nouvelle génération. Un genre qu’on croyait disparu alors qu’il a toujours été vivace.
ÉD : La poésie est médiatiquement inexistante, alors que des personnes dont tu pouvais penser qu’ils ne lisent pas du tout, en fait, lisent de la poésie, y compris contemporaine.
Pascal Thuot : La proposition éditoriale est très large. Le modèle économique en est fragile. Bien sûr, il y a toujours eu un intérêt des passionnés très cultivés pour la grande école du milieu du 20ème siècle, William Carlos Williams, tous ces américains à la fois inventeurs de formes et explorateurs de l’infra-ordinaire, comme le disait Pérec. Le public du festival est toutefois composé d’amateurs de la fiction. Fiction couvrant tout cet arc, du roman à la nouvelle.
ÉD : Tu aurais de noms à citer, à découvrir ?
Pascal Thuot : Une des plus belles rencontres de ma vie aura été Toni Morisson. Comme lecteur et comme interlocuteur. Des héros de ma jeunesse, John Irving, de jeunes auteurs comme le canadien Michaël Christie, Barbara Kingsolver qui a eu le prix Pulitzer l’an dernier. Ce sont des personnes qui disent bien plus par ce qu’il sont eux-mêmes et par ce qu’ils écrivent ce qu’est l’Amérique aujourd’hui. Il ne faut pas passer à côté de cette intimité particulière, ce vecteur de compréhension du monde au travers de formes étonnantes, de destins individuels racontés sur 600, 700 pages. Comment tenir sur cette distance narrative cette rage d’expliquer, de critiquer, d’interroger ?
ÉD : L’Amérique ne se réduit pas aux figures médiatiques d’un Trump, d’un Georges W. Bush.
Pascal Thuot : Bien sûr, et les situations sont complexes. Les auteurs américains hésitent d’ailleurs souvent à s’exprimer en public car ils craignent d’être incompris. Barbara Kingsolver vit dans un endroit des Appalaches très retiré et parle pour ces habitants de l’Amérique qu’on ne veut pas voir en Europe, qu’on assimile à des gros cons, des « Red Necks ». Il est intéressant de savoir d’où vient cette expression. Les Red Necks étaient des mineurs syndicalistes qui ont conduit une grève très dure au 19ème siècle, au point de former une armée révoltée afin d’obtenir satisfaction à leurs revendications. Le terme est dû au foulard rouge qu’ils portaient en signe de reconnaissance. Pour des raisons qui restent à étudier, le terme a dérivé et désigne aujourd’hui des racistes ignorants, alors qu’à l’origine il symbolisait des ouvriers luttant contre l’oppression. Cette parole de Kingsolver est d’une générosité attentive et d’une grande profondeur. Si on ne lit pas, on ne le sait pas.
Aujourd’hui, les militants refusant qu’on puisse discuter avec quelqu’un seulement soupçonné de voter pour le Rassemblement National sont les prosélytes de la négation de l’Autre. C’est une défaite. On ne voulant pas comprendre, on se prive de pouvoir retourner la situation en faveur d’une plus grande lucidité et d’une compréhension réciproque, et partant de pouvoir convaincre ceux qui font fausse route. On doit toujours être tourné vers l’autre. On peut s’engueuler avec l’autre, même de se foutre sur la gueule. Nier l’autre, dire et penser « ces gens-là n’appartiennent plus au monde », c’est laisser au monde le soin de se rappeler à nous, un jour… C’est ma tristesse, et mon rapport au livre s’explique par la volonté de ralentir ce processus mortifère.
ÉD : Ou même de l’inverser. L’histoire n’est pas toute droite.
Pascal Thuot : L’histoire n’est pas écrite. Voir le monde d’une librairie ouvre pas mal de réflexions.
Le constat des débats – ou non-débats – au sein de notre société est aussi permis par ces personnes qui ont une place assez privilégiée pour le faire. Mais comme on l’aura lu ( !), faire un constat n’est pas suffisant. Heureusement, les libraires amoureux de leur métier le sont aussi du monde et de ceux qui y habitent.
Si les hommes et les femmes du livre sont privilégiés, c’est qu’ils ont choisi de se situer au carrefour des opinions et des émotions. S’ils font un constat sur l’état du monde, ils participent à l’évolution des consciences. Chaque jour amène une démonstration que l’histoire de la librairie et des libraires, indissociable de celle des éditeurs et des auteurs, est garante de la pluralité des pensées et donc de la liberté. Il est des époques où le rappeler semble nécessaire.