Pour le philosophe Clément Rosset, l’homme a beaucoup de mal à admettre la réalité, trop malaisée, trop décevante. S’il est bien connu que la chair est faible, c’est surtout à ses yeux la conscience de ses contemporains qui fléchit devant le poids du réel : « Le réel n’est admis que sous certaines conditions ». Traquant l’illusion dans tous ses refuges, le philosophe pourfend les « arrières mondes » de la religion. Fuyant le romantisme, il excommunie les ailleurs métaphysiques (1).
Brahms est romantique, puissamment émotif et populaire – pourrait-on dire – au moins chez les auditeurs de France Musique. Brahms agace Rosset. Rosset ne souhaite pas l’écouter, ni même l’entendre. Voilà le philosophe pris en flagrant délit de déni de réalité. Aussi Clément Rosset semble-t-il piégé par ses propres assertions, à moins, bien sûr, qu’humoriste à ses heures, il ne pratique en un miroir d’autodérision la complaisance qu’il dénonce dans nos mœurs. Le réel et son double ?
Dans le Requiem de Brahms, le chœur : « Car toute chair est comme l’herbe et toute gloire humaine est comme l’humble fleur de l’herbe ». Il n’y a pas de fleur dans l’herbe, comme vous le dira tout golfeur un tant soit peu attentif à la réalité. S’il n’est donc pas exclu que Clément Rosset ait pu jouer au golf, nul doute que le dolorisme brahmsien n’ait un rien agacé notre philosophe de l’approbation au réel.
Poursuivant dans la veine semi-religieuse, le chœur du Requiem, encore : « ceux qui sèment avec larmes moissonnerons avec allégresse ». Fasciné toutefois par la musique, Clément Rosset a aussi écrit : Mozart, une folie de l’allégresse. Joli contrepoint.
Éric Desordre
- Le réel et son double, de Clément Rosset, Folio