
Palestine Je te chéris, de Salah Al Hamdani – encres de Youssif Naser, éditions Al Manar, 2025
Palestine Je te chéris n’est pas une ode à un pays, c’est un cri pour un peuple. Salah Al Hamdani le poète s’adresse à ses martyrs et à ses bourreaux, le cœur au bord des lèvres ; lui, le déraciné de l’Irak qui a retrouvé un foyer, l’exilé de Bagdad qui marche dans Paris. En frère l’accompagnant, Youssif Naser le peintre va chercher les fils qui retiennent encore les hommes debout et les montre, quand bien même ces fils soient brûlés.
Et je suis toujours sur le chemin de l’impossible retour
Parfois dans les rues de Paris / je sifflote un instant / puis je me couche au milieu de la nuit / avec ma mémoire boueuse
Il y a de quoi être désespéré des hommes et désespéré pour les hommes. Dans la mémoire glacée et le présent qui brûle, saison de cendres. Saisons au pluriel signifie changement, mais qu’est-ce qui change dans ces douleurs répétées depuis l’aube des hommes ?
Palestine / toi qui n’attends plus rien des hommes d’aujourd’hui / je t’offre le râle froid de mes saisons / et la lumière avide du salut
Palestine / que signifie la vie qui s’écoule / dans tes artères carbonisées…
… Rien / sinon cette ombre / vestige ébréché dans l’abîme de tes saisons
Pour le poète, l’aujourd’hui de larmes et de sang à Gaza se confond avec l’expérience indicible de la torture ; jadis, là-bas sur les rives de l’Euphrate.
Palestine / le mirage de l’enfance s’abreuve à l’écho de la mémoire / Il déferle comme un trouble dans ma voix…
… Tel est le mystère de l’étincelle / unique poème pour la liberté du prisonnier / dans l’obscur couloir de la mort / la lueur des paroles de chair offertes au condamné
Pour certains, il n’y aura pas eu d’enfance ; soit niée par les adultes soit détruite avant que d’atteindre l’âge adulte…
Dans ce livre, Salah Al Hamdani renvoie les bourreaux et leurs inspirateurs dos-à-dos ;
Je n’abandonnerai jamais ta terre antique, Palestine / même si tous les religieux, leurs livres, leurs injustices / et tous les prédicateurs barbus / nient encore son existence et sa beauté / Même si les colons piratent ton existence / et volent ton pain
Dans d’autres écrits, il ne renvoie pas les ennemis dos-à-dos ; il les rapproche face-à-face, en frères. Quitte, entre temps, à prendre des coups – qu’il sait prendre. Là, maintenant, il est poète témoin des assassinats : Seul un aigle comme moi / devine le jour de ton éternelle renaissance / Il garde un œil bien ouvert / sur les abattoirs de tes enfants / et de tes oliviers
Ce jour, sur cette terre, il est poète accusateur : Mon double / le juif juste, mon ami / a été exécuté dans les camps / mais certains de ses descendants : devenus intégristes, ont arraché son cœur / et l’on emmené loin / plus loin dans l’absurde obscurité de leur croyance meurtrière
S’il y a tant de causes toutes plus légitimes les unes que les autres, une seule lui parait au-dessus des autres parce qu’elle les embrasse toutes : la Paix. Dans l’humanité et la fraternité. Vieux mots, bien démodés pour ceux qui ont oublié ce qu’est la guerre et ses longs chagrins derrière la porte. Si le poète ne les rappelle pas, qui d’autre le fera ? Salah Al Hamdani, lui, les convoque au prétoire, en réfutation aux faux et usages de faux dont les « belles âmes » font commerce.
Mes mots prendront racine / jusqu’au jour de douceur / où l’humanité dessinera ton nom / sans pastel, ni pinceau / inscrivant juste le mot Salam
…/… Tout s’impose à moi comme au monde / avec la force saisissante de l’évidence / Palestine tu vaincras par ta noblesse / Palestine / c’est notre humanité qui vaincra / avec toi.
Qu’en un pays se trouve l’origine des guerres et que les hommes y soient tragédiens par le sang et les larmes, ou à l’opposé, qu’éloignés du foyer de l’incendie ils en soient témoins par la parole et l’écrit, les acteurs sont tous impliqués. Salah n’aura-t-il pas écrit * :
Ne contemple jamais une tempête / qui engloutit les hommes / Sois dans la tornade.
Les peuples font les conflits et les peuples sont faits des hommes, que les conflits procèdent de la géographie ou des lectures différentes du monde.
Les hommes demeurent-ils donc irréparablement sujets des peuples dont ils sont issus ? Doivent-ils se maintenir prisonniers d’une querelle imposée par les aïeux, acteurs disparus des guerres d’hier mais gardiens toujours sourcilleux des guerres d’aujourd’hui ? Les hommes ne peuvent-ils échapper aux incendies allumés par leurs ancêtres ? Ne peuvent-ils devenir sujets à eux-mêmes, pour ensuite devenir sujets à l’humanité en un tout d’intérêt bienveillant pour l’Autre ?
Certains, si rares, entrevoient ce possible. Parmi eux, plus rares encore sont ceux qui choisissent la liberté quel qu’aride en soit le chemin. L’affranchissement ne procède pas des autres mais de l’homme libre lui-même. Le poète n’est pourtant pas d’une autre essence que celle de ses semblables. Comme tout un chacun, il rage et souffre, et cela est trop souvent justifié par l’injustice, l’iniquité, la violence vulgaire. Simplement s’il rage autant que l’un, il souffre plus ; s’il souffre autant que l’autre, il rage plus.
La liberté de Salah al Hamdani lui montrera la portée de son choix. Grosse des paix à venir, la liberté du poète est utile aux autres, aux Juifs, aux Arabes, mais le plus souvent, ils ne le savent pas.
* La sève et les mots – Editions Voix d’Encre, 2018