
Le 8 avril, la Miviludes (Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires) publiait son rapport 2021/2024.
Si le gros du rapport s’attaque aux médecines complémentaires et alternatives, les cultes ne sont pas absents du rapport censé s’attaquer aux « dérives sectaires ». Et si parmi ces cultes, les protestants évangéliques sont la cible principale du rapport, les Témoins de Jéhovah ne sont pas en reste.
Les Témoins de Jéhovah sont un groupe chrétien né au XIXe siècle, qui pensent (à l’instar de beaucoup d’autres branches du christianisme) être ceux qui détiennent le vrai christianisme. Leur nombre en France est estimé à environ 140 000 fidèles. Ils ont déjà fait condamner la France par la Cour Européenne des Droits de l’Homme lorsque le pays avait refusé de leur accorder une exemption d’impôts dont les autres cultes bénéficient (décision du 30 juin 2011, prise à l’unanimité), ont vu reconnaitre dans l’hexagone, par le Conseil d’État, leur statut d’association cultuelle, et ont des aumôniers agréés autorisés à intervenir dans les prisons françaises.
Mais la Miviludes ne les aime pas. On a bien entendu le droit de ne pas les aimer. Mais l’État est lié par un devoir de neutralité religieuse, et la Miviludes ne devrait pas faire exception.
Une condamnation de la Miviludes passée sous silence
Quoi qu’il en soit, concernant les témoins de Jéhovah, une première omission dans le rapport est de taille : l’officine qui aime à citer (mal, comme nous le verrons plus loin) des procès internationaux impliquant le groupe religieux, a oublié de dire qu’elle a elle-même (la Miviludes) été condamnée l’an dernier pour avoir écrit des passages calomnieux à l’encontre de Témoins de Jéhovah sans fondements dans son rapport officiel de 2018-2020. Les juges avaient écrit que la MIVILUDES n’avait pas étayé ses propos et que les Témoins de Jéhovah avaient apporté la preuve de leur fausseté. Ce n’est pas rien, surtout pour un organisme d’État situé au sein du ministère de l’Intérieur, de mentir sciemment dans un rapport officiel.
On eut aimé que la Miviludes ait l’élégance de reconnaitre quand elle erre, à tout le moins quand la justice française le lui signale.
Mais il y a pire. L’honnêteté, c’est aussi la précision, la bonne foi, et le fait de ne pas omettre les informations pertinentes. Dans son rapport, la Miviludes ne pouvant plus s’en prendre aux prétendues allégations de complaisance avec la pédophilie (puisque la justice française a établi qu’elle avait menti à ce sujet), elle s’attaque à la pratique de l’excommunication.
Cachée derrière des témoignages non vérifiés
Outre le fait que de nombreuses religions (y compris l’Église catholique) pratiquent une forme d’excommunication, ce sont les méthodes employées par la Miviludes pour donner une image déplorable de cette pratique chez les Témoins qui interpellent. En effet, pour éviter d’avoir à assumer leur haine personnelle à l’encontre des Témoins de Jéhovah, les agents de la Miviludes se retranchent d’abord derrière des « témoignages ». Ces témoignages sont anonymes, invérifiables et invérifiés, n’ont donné lieu à aucune condamnation, et la Miviludes refuse de les transmettre, même anonymisés. Tout cela ressemble plus à un article de Paris-Match (toutes mes excuses pour l’illustre journal) qu’à un rapport sérieux.
Mais, et c’est là la supercherie, leur plus grosse justification pour s’attaquer à l’excommunication des Témoins de Jéhovah et à ce que la Miviludes appelle « l’ostracisme » qui en résulte, c’est un encadré (p 50 du rapport) avec des décisions de justice prononcées dans d’autres pays. Trois décisions sont mentionnées et décrites, l’une de la Norvège, disant que les témoins de Jéhovah y ont perdu leur statut de communauté religieuse à cause de leur pratique de l’excommunication ; une autre de la Suisse ou un tribunal régional (Zurich) aurait relaxé deux critiques des Témoins de Jéhovah poursuivis pour diffamation, soi-disant parce que « la pratique religieuse des Témoins de Jéhovah viole les droits fondamentaux de ses membres » et que donc les allégations contestées étaient justifiées ; une troisième d’Espagne, ou un tribunal de première instance aurait jugé dans un autre procès pour diffamation que le fait de qualifier les Témoins de Jéhovah de « secte destructrice » et ses anciens membres de « victimes » constituait un usage proportionné de la liberté d’expression.
Je ne connais pas la décision suisse, pour laquelle un appel est peut-être en cours, donc je ne la commenterai pas. Mais pour les deux autres, c’est autre chose.
Des décisions annulées en appel ou tout simplement ignorées
Pour ce qui est de la décision norvégienne, la Miviludes omet sciemment de dire que cette décision a été annulée en appel, et que les Témoins de Jéhovah sont en fait toujours une communauté religieuse enregistrée en Norvège, la Cour d’Appel de Borgarting ayant jugé le 14 mars 2025 que la décision de première instance était erronée et dangereuse pour la liberté de croyance. Les Témoins de Jéhovah ont remporté leur appel sur l’ensemble des points soulevés, ce qui leur a permis d’obtenir le remboursement de leurs frais juridiques à hauteur de 8,5 millions de couronnes norvégiennes (environ 800 000 euros). Le 14 mars, le quotidien chrétien de référence en Norvège, Dagen, a qualifié la décision de justice de « coup dur » pour l’État, estimant que les arguments avancés par ce dernier avaient été complètement « démontés ». Ce verdict, s’inscrit dans la lignée des jugements rendus dans divers pays démocratiques et par la Cour européenne des droits de l’homme, concernant la pratique de l’excommunication chez les Témoins de Jéhovah.
Mentionner un jugement de première instance sans mentionner que ce dernier a été annulé en appel est une pratique malhonnête.
La décision espagnole du 5 décembre 2023 mentionnée est une décision sur un cas de diffamation, dans laquelle les témoins de Jéhovah avaient poursuivi un membre d’un groupe antisecte espagnol qui avait exprimé dans un journal que les Témoins de Jéhovah étaient une « secte » nuisible à ses « victimes », avec les accusations habituelles utilisées par les associations antisectes à travers le monde. Contrairement à ce que laisse entendre la Miviludes, à savoir que les allégations étaient « justifiées », le tribunal s’était contenté de dire que même si les allégations pouvaient être fausses, elles étaient protégées par la liberté d’expression qui prévalait sur le droit à l’honneur. Il s’agit là d’une nuance non négligeable, puisque ce jugement ne signifie en rien que les accusations portées contre les Témoins de Jéhovah étaient vraies.
Mais surtout, la Miviludes omet de mentionner qu’au mois d’octobre 2023, soit juste deux mois avant cette décision, le même tribunal espagnol avait condamné par deux fois le même groupe antisectes et le journal El Mundo qui avait accepté ses allégations sans les vérifier. Quand on est honnête on dit TOUTE la vérité.
Incorrigible Miviludes
Puisqu’elle parle de l’excommunication chez les témoins de Jéhovah, la Miviludes aurait pu avoir l’honnêteté de mentionner la décision de la Cour d’appel de Gand du 7 juin 2022, confirmée par la Cour de Cassation belge le 19 décembre 2023, qui a relaxé les Témoins de Jéhovah de Belgique après que ceux-ci ont été condamnés en première instance pour « incitation à la discrimination ou à la ségrégation d’une personne ou d’un groupe » et « incitation à la haine ou à la violence à l’égard de personnes » en raison de leur pratique de l’excommunication. La décision de la Cour d’appel est claire : les accusations contre les témoins de Jéhovah ayant mené à la décision de première instance étaient sans fondements, et la pratique de l’excommunication est partie intégrante de la liberté de religion et protégée à ce titre.
Pourquoi la Miviludes aurait dû la mentionner dans son rapport ? D’abord parce que c’est une décision concernant justement la pratique de l’excommunication, et que lorsque l’on prétend couvrir un sujet sérieusement au nom de l’État, on ne peut se contenter de mettre en avant les décisions négatives sans présenter aussi les positives (qui sont en fait la norme au niveau international). Mais surtout parce que dans son précédent rapport, la Miviludes avait longuement mentionné la décision de première instance.
Encore une fois, l’honnêteté, la probité, ne sont pas des concepts théoriques. Nous avons tous le droit de ne pas aimer les témoins de Jéhovah, et personnellement je n’en suis pas fan. L’État, lui se doit d’être neutre, honnête, et équitable quand il s’agit de juger de la religion de nos concitoyens. Certains le savent, certains l’appliquent. La Miviludes, elle, ne se corrige toujours pas.