
Lire l’article précédent – Parfois, quand les planètes semblent tout sauf alignées, quand l’adversité s’installe de toutes les manières possibles dans un projet, la valeur intrinsèque d’un grand groupe de rock se nourrit de ces barrières pour emprunter une route spatiale vers un véritable chef d’œuvre cosmique. Ces quelques mots auraient pu faire partie de la chanson Space Truckin’, dont nous allons parler.
Mais, à l’époque, début 1972, qui aurait eu assez de discernement pour voir que l’album Machine Head allait devenir un disque central du hard rock et l’un des 100 albums qu’il faut avoir écouté dans sa vie ?
Ça commence comme un conte de fées…
Tout avait si bien commencé… Pour une fois, le groupe a du temps pour enregistrer sans avoir à intercaler des séances entre des concerts. Parmi les villes européennes par lesquelles passe tout le temps le groupe, il y a Montreux, en Suisse. Ils s’y sont même fait un ami, Claude Nobs, l’organisateur du festival de Montreux. Conscient du désir du groupe d’enregistrer avec une acoustique de concert, il leur a réservé le Casino de Montreux pendant trois semaines, un endroit revêtu de bois à l’intérieur avec un magnifique son.
Pour l’heure, ils viennent d’arriver au casino, le bus mobile d’enregistrement des Rolling Stones est garé à côté mais ils ne peuvent encore s’y installer car, le soir même, Frank Zappa y donne un concert. Appréciant d’avance le bonheur d’enregistrer en ce lieu, les membres du groupe assistent au concert.
Et dégénère en film d’horreur !
Soudain, quelqu’un envoie une fusée de détresse dans le toit. Pourquoi ? L’affaire n’a jamais été éclaircie. L’incendie se propage à grande vitesse et la salle est évacuée juste à temps. En quelques heures, le feu ravage totalement le casino jusqu’à sa base.
En contemplant la fumée résiduelle sur le lac Léman de la fenêtre de leur hôtel, les membres du groupe comprennent qu’ils n’ont plus de studio d’enregistrement.
Claude Nobs à la rescousse ! Il leur trouve en 24 heures un hôtel où enregistrer, le Pavillon. Le seul problème est qu’ils réveillent toute la ville de Montreux et qu’ils ont juste le temps d’y enregistrer ce qui deviendra Smoke On The Water avant que la police vienne les expulser. Pour que la prise de son puisse se finir, les roadies du groupe ont dû maintenir la porte fermée face à la police qui hurlait et poussait la même porte. Ça commence à ressembler à une opération commando.
Le bon endroit… Malgré les apparences
Pour finir, Claude Nobs déniche le Grand Hôtel qui va faire l’affaire. C’est pourtant une bâtisse triste et austère, pas du tout inspirante. En fouillant un peu partout, ils arrivent à trouver un lieu qui pourra servir de « salle d’enregistrement » : un long et large couloir en T. Ian Paice installe sa batterie dans le pied du T et les autres installent leurs instruments de part et d’autre. Un maximum de matelas sont disposés contre les murs du couloir pour éviter une trop grande résonance. La pochette intérieure de Machine Head regorge de photos de ce lieu et sont proprement hallucinantes. Je me rappelle mes pensées quand je les ai vues la première fois, du haut de mes 13 ans : « on enregistre les albums que j’adore dans des couloirs ? » Consternation !
C’est pourtant dans ces conditions que va être enregistré l’un des plus grands albums de tous les temps.
Highway Star
Roger Glover, le bassiste, disait que Highway Star était le morceau ultime de Deep Purple, celui qui les représentait le mieux et il est vrai que, même si on met de côté les solos d’orgue et de guitare, qui sont renversants et d’anthologie, le morceau est remarquable. Côté texte, on a une métaphore assez hallucinante entre une voiture et une femme et la suggestion de vive allure par la musique rend tout à fait l’impression de conduire à toute vitesse sur une autoroute. Jamais le mot vitesse n’a été mieux simulé. Un morceau parfait de bout en bout…
Mais quand on aborde les solos, on tombe à la renverse. Celui d’orgue, tout d’abord, flirte de belle façon avec un certain néo-classicisme. Le solo de guitare n’est pas en reste car, même s’il commence sur des thèmes plus rock, l’harmonie construite entre les deux guitares bouleverse toutes les règles et la fin en arpeggio à la Mozart est plus que bluffante.
Pictures Of Home
Mais où Ritchie Blackmore est-il allé chercher un thème aussi étrange ? D’après lui, l’inspiration lui en serait venu par l’écoute de radios ondes courtes bulgares ou roumaines ! Le texte est tout aussi curieux, reflétant une solitude extrême et discourant longuement sur « le vide, les aigles et la neige ». L’hiver et les environs du Lac Léman semblent avoir une grande influence sur l’inspiration de Ian Gillan ! Ian Paice est mémorable, de bout en bout. Roger Glover y fait un solo de basse et le morceau est arrangé de main de maitre du début à la fin, il y a toujours quelque chose de nouveau à écouter. Le solo de guitare est énigmatique : tout du long, on se demande où Blackmore veut en venir et la tension monte, monte… Un des plus grands morceaux de Deep Purple.
Never Before from Deep Purple
Premier single du disque, ce morceau n’atteindra pas la renommée de la plupart des autres chansons de l’album. Il est pourtant particulièrement intéressant pour son ambiguïté hard rock/blues rock. Le pont, « à la Beatles », est de toute beauté et le solo de guitare qui suit, dans le clip, montre bien la flamboyance sur scène de Ritchie Blackmore.
On est à la fin de la première face du vinyle et on a déjà tout ce qu’il faut pour faire un très grand album… Mais c’est loin d’être terminé.
La prochaine fois : Machine Head !!! (Suite)