Préambule : Dire à quelqu’un qui boit, de façon addictive ou de manière occasionnelle et festive que cela comporte des risques. Après un accident, dire à cette même personne qu’elle est responsable, est-ce moralisateur, hautain, dédaigneux ? S’appliquer ce principe (si je bois, j’assume) à soi-même est-ce trop rigoriste, ou est-ce regarder la réalité en face ?
Après l’élection de Donald Trump, je vois fleurir les articles pour expliquer sa victoire. Les arguments sont forts, étayés, documentés. La gouvernance de Biden a été désastreuse pour l’américain moyen, trop centrée sur l’international, l’inflation a rendu une vie décente inabordable pour beaucoup, la campagne démocrate a été floue, tiède, trop axée sur des enjeux moraux, déconnectée des sujets pratiques qui touchaient l’électeur au quotidien, et de plus Biden s’est retiré trop tard pour laisser à Kamala Harris le temps d’une vraie campagne.
Tout cela est certainement vrai, au moins en partie.
Pourtant, un élément-clé manque tout de même à toutes les analyses, sans exception. Quid de la responsabilité de l’électeur ? Dire en préambule : ce sont les électeurs américains qui, en majorité sont responsables de l’élection de Donald Trump serait une évidence ? Peut-être, mais bonne à rappeler.
La même rengaine est partout : ce n’est pas la faute du citoyen. Il ne faut pas l’accabler. Il a des raisons objectives de voter Trump. Le dernier argument en date que je viens de lire dans un article de Libération est la déclaration d’un élu, conseiller municipal dans une ville américaine: « Donald Trump est un escroc, un menteur et même un criminel. Mais il a une chose que les démocrates n’ont pas : il est authentique et ça le rend plus proche des gens. ». Cet élu a sans doute, encore une fois, raison mais cela fait frémir. Ainsi donc, on peut être raciste, dire les pires horreurs sur les femmes et les immigrés, prôner une balle dans la tête pour les adversaires, si l’on est authentique cela vous rend sympathique, légitime, populaire et éligible? Au secours !
Bref : l’électeur n’est pas responsable. Il y a en effet très certainement, parmi l’électorat de Trump des gens pauvres, mal éduqués, sans réel accès à l’information, aisément influençables. Et les autres ? Aucun cadre, ouvrier, employé, commerçant, artisan, riche, intellectuel, éduqué, informé ?
C’est quand même formidable de la part de tous les analystes, journalistes, éditorialistes, chroniqueurs, cette volonté absolue de dédouaner le citoyen. D’une part on n’a de cesse de vanter le peuple souverain, d’appeler au respect de ses choix, mais d’un autre côté on lui dénie toute responsabilité ? Ainsi, quand ledit peuple élit un candidat progressiste, il fait preuve de sagesse, on loue son discernement et sa clairvoyance, mais s’il fait le choix inverse, les seuls responsables sont les politiques ?
Voilà, à mon avis, une façon de mépriser l’électeur qui devient comme dieu pour les croyants. Tout ce qui est beau, généreux dans ce monde lui est redevable, tout ce qui est laid, violent, haineux est imputable à l’homme. Rhétorique pratique et implacable.
Ainsi donc, l’américain aisé ou pas, la « white housewife » pas si désespérée, beaucoup de latinos, de jeunes ont voté Trump en toute connaissance de cause (car ses déclarations sur les femmes, les immigrés, la démocratie, le climat sont sans équivoques) mais n’en sont pas responsables, et le blâme est à mettre au seul débit de Biden et Harris ? De qui se moque-t-on ? Aucun d’entre eux n’est transphobe, anti-immigré, contre l’avortement, contre l’égalité homme-femme, pour l’abandon de toute aide à L’Ukraine, pour le développement du gaz de schiste ? Et s’ils le sont, c’est par ignorance, faute d’éducation, à cause d’une mauvaise information ? C’est une analyse méprisante et misérabiliste.
De plus, j’ai lu et entendu maintes fois que beaucoup d’électeurs se sentaient stigmatisés, rabaissés par les démocrates. Mais à part la sortie sénile de Biden sur les électeurs trumpistes, lequel des deux candidats n’a eu de cesse de stigmatiser, insulter, rabaisser, menacer des catégories entières de la population, sans qu’apparemment cela ne dissuade de voter pour lui et sans même qu’on le lui reproche ?
Si un citoyen commet des actes transphobes, homophobes, misogynes, il est, à juste titre critiqué. Mais, apparemment, voter pour quelqu’un qui promeut cela n’est pas critiquable ? Voter n’est pas un acte ?
Ainsi, les israéliens n’ont pas élu Nétanyahou ? Les palestiniens le Hamas ? Les russes n’ont pas élu, réélu Poutine ?Aucune responsabilité, même partielle ?
Tout ceux qui votent à l’extrême droite en France ne seraient pas comptables de leur vote ? Imputable seulement aux inepties ( bien réelles, il est vrai) de la droite et de la gauche ? C’est non seulement facile mais infantilisant.
Je crois à cette formule usée, sans doute, mais toujours valable : On a les hommes/femmes politiques que l’on mérite. Á l’évidence, les américains méritent Trump, les russes Poutine, etc…
Respecter l’électeur, c’est croire qu’il est responsable. Je ne dis pas qu’il faut culpabiliser les électeurs. Il faut respecter son choix. Voter n’est ni une faute ni un crime, mais le moins que l’on puisse faire, c’est de responsabiliser lesdits électeurs. Si demain Trump interdit l’avortement et déclare ouverte la chasse aux immigrés, avec son lot de drames et de morts, les mêmes électeurs pourront-ils dire : « Je ne savais pas, je ne pouvais pas imaginer. » ? Et les mêmes chroniqueurs leur trouveront-ils des excuses ?
Faut-il dire aux dizaines de millions d’américains qui ne croient pas à l’évolution, qui veulent criminaliser l’avortement, qui censurent les livres dans les écoles et qui trouvent normal d’avoir un fusil automatique à la maison qu’ils ont raison? Est-ce être méprisant, arrogant, condescendant, que de penser la terre ronde et les livres importants?
Selon la formule célèbre : « Le peuple a mal voté, il faut dissoudre le peuple ! ». Cette formule-choc tend à démontrer que le peuple à toujours raison et les politiques qui perdent toujours tort, ce qui est une totale absurdité.* Respecter le vote, d’accord, dire qu’il est judicieux, non ! N’en déplaise à ceux qui n’ont que le peuple à la bouche, le peuple peut être stupide et se tromper et si le peuple est souverain, il y a des rois très cons ! Le lui dire c’est le traiter en adulte responsable. Mais qui aura le courage de le faire ?
* Suivant la même logique, tous les enseignants ont entendu un jour : « Il n’y a pas de mauvais élèves, il n’y a que de mauvais professeurs ! » Si seulement !