Enfin j’arrive à me coucher, dans l’après-midi ; une heure incertaine de ma nuit. Et je perçois un certain tempo. Une seconde étale qui ressemble à ce fracas d’heure où je suis en perte.
Après le tumulte des cris, des cloches aiguës, des fleurs et des feux ardents, après les pleurs et les yuyus, mes muscles endoloris s’ouvrent en fibres d’araignée. Engourdi par l’ombre d’un rêve, je tente de mesurer scientifiquement la densité du flottement et de l’éveil.
Elle, va et vient sans mémoire, me traversant. Cette simple présence me permet de respirer un peu. Je déambule, tu déambules auprès de mon humeur chagrine ou enjouée. Au bout de mes doigts ton soupir, sourire de transes et de traces. C’est apaisant. Je pleure sous condition. Comme un vent frais sorti du nickel de l’âme.
Notre chambre est un décor absent maintenant, aux teintes gelées. Ce n’est que les yeux fermés que notre vie tapisse les murs. Je change lentement. Les rideaux de paupière, couvre lits des atmosphères chatoyantes de l’extérieur s’illuminent malgré moi. Tâche d’encre sur un plafond de crâne.
Pour me redresser et m’asseoir sur le bord du lit, que me faudrait-il ?
Désengourdir l’émotion, s’élancer de la hanche droite pour une fois ; ne plus avoir mal au genou ; sortir de la torpeur et de l’hésitation, sans respirer. De ma main gauche, je souffle un petit texte qui ne parle que de toi. Lenteur de l’écriture.
Ma surprise vient de tous ces goûts en bouche : ce thé noir est un mauvais café d’Ethiopie. Pire, si l’odeur s’écoulait dans mes veines, mon cœur s’inquièterait.
J’ai un fou rire de toi. Comme une borne, comme un ticket de vie. Ton corps est venu nous rappeler que certains de ses organes ont freiné trop fort. Ta maladie est un ennemi sans arme et nous sommes restés inadaptés. Je n’ai même pas eu le temps de constater l’usure, la réduction de ta vitalité. Rien non plus du côté de ta puissance d’exister, de penser et d’agir. J’évalue, vois-tu ? Avalanche et recul. Seulement pour toi, la mort était préférable au vieillissement. Pas pour nous.
Serge Papiernik