Préambule : Un allemand me disait que chez lui on raconte que la France est un pays béni des dieux : sur une petite surface, nous avons mer et océan, des neiges éternelles, des hauts plateaux, des paysages d’une grande variété, des climats divers, une gastronomie sans égale, des vins divins, une culture riche. Heureusement, pour compenser tous ces avantages, les dieux ont créé les français.
Petit résumé de la cérémonie de clôture du festival de Cannes 2023.
– Merve Dizdar, actrice turque reçoit le prix d’interprétation féminine. Elle remercie, célèbre les femmes de son pays. Un mot sur le régime, grand défenseur des femmes et des libertés ? Un mot sur Erdogan, en ce jour d’élections turques ou sur la culture qui subit les entraves et les coups répétés ? Non.
– Aki Kaurismaki, grand prix du Jury, absent, charge ses acteurs de lire un message. Il est, faut-il le rappeler, le cinéaste des sans-voix, des modestes, des cabossés, par la vie et la société. Il pourrait envoyer un signal de rage, de révolte, un cri contre l’injustice. Non. Il préfère que l’on joue : « Twist and Shout ! ». Dérision ? Peut-être, sans doute. Mais aussi, douceur et énergie, danse, pulsion fondamentale, vitale, même si lucide et mélancolique. Une certaine élégance.
– Flora Anna Buda, hongroise, reçoit la caméra d’or. En profite-t-elle pour parler de la douce vie sous Victor Orban, un démocrate amoureux de culture et défenseur de la condition des femmes. Parle-t-elle de la dure situation du cinéma en Hongrie (19 films produits en 2021, contre environ 300 en France !) Non ! Elle savoure sa joie, remercie.
– Koji Yashuko se voit décerner le prix d’interprétation masculine. Disserte-t-il sur le désastre de Fukushima et de sa gestion, sur l’impitoyable société japonaise ? Taux de pauvreté de 16,5% contre 8,5% en France, condition des femmes discutable, congés payés ridicules, plus fort taux mondial de suicides d’enfants. Non ! Il remercie et savoure humblement.
– Même Jane Fonda, peu suspecte de mollesse idéologique, se réjouit des progrès dans la condition des femmes en général, et dans le cinéma en particulier, sans diatribe contre, par exemple, la restriction du droit à l’avortement aux États unis.
Sans doute savent-ils que Cannes est une fenêtre sur le monde et pas une (grosse) caisse de résonance pour des querelles intérieures, aussi légitimes soient-elles. Peut-être est-ce tout simplement une forme de politesse et de respect.
Catherine Deneuve, en ouverture, avait déclamé un poème Ukrainien et en oubliait le cinéma. C’était hors de propos, certes, mais avait l’avantage de parler d’une vraie souffrance, d’en appeler à notre conscience.
Arriva Justine Triet, toute à son émotion bien compréhensible, qui partagea joliment sa palme avec ses acteurs. Un beau moment pour un grand film.
Mais que vint faire son couplet sur les retraites et l’iniquité du gouvernement, sur la culture en danger ? C’est juste indécent ! Une indignation déplacée qui ne coûte pas cher, genre pasionaria de carnaval. Un poing levé devant une salle d’insurgés du dimanche, en costumes et robes du soir.
Que Justine Triet soit sincère, que ses remarques et son combat soient justes et partagé par une majorité de gens est hors de propos. Ce n’est pas le lieu et ce n’est pas le moment.
On a entendu les mêmes indignations, vu les mêmes barricades sous Chirac, Sarkozy et Hollande. C’en serait drôle si ce n’était pathétique.
La culture en danger en France ?A chaque cérémonie, chaque année depuis trente ans (César, Molière, Victoires de la musique…) ce cri d’alarme est martelé. Cela devient insupportable et finit surtout par être contre-productif et inaudible. Des intermittents protestent, C. Masiero se déshabille, ensanglantée, A. Haenel déserte la salle puis l’industrie du cinéma. A quoi s’attendre la prochaine fois ? Tout ce qui serait en dessous de l’immolation serait petit joueur.
La culture en danger en France ?
Pas une ville d’importance, voire un village de vacances, sans festival de musique, théâtre, cinéma, cirque, marionnettes, danse, art des rues. Des magazines, émissions, chaînes, stations de radio dédiées. Un ministère avec, pour une fois, un budget en hausse, spécialement sur le cinéma. Un prix du livre unique. Tous les artistes pris en charge par le « quoiqu’il en coûte ». Un chaîne de télévision dédiée pendant le covid. La France 6ème producteur de films au monde (et 3ème ou 4ème si l’on rapporte au nombre de films par habitant). Le plus grand nombre de salles de cinéma par habitant au monde ! Allez-donc chercher un cinéma proche à Chicago, Prague ou Singapour, ou une librairie à New-York ! (une quarantaine pour plus de 18 millions d’habitants !)
Tout cela oublié, balayé, avec bonne conscience, par une colère qui se croit légitime. Une colère de gens au chaud, souvent à l’abri du besoin (je ne parle pas bien sûr des intermittents du spectacle). Que l’on soit vigilant, d’accord, en colère ininterrompue, non !
Je laisserai, pour finir, la parole à une « migrante », tant il est vrai qu’à trop regarder de près, on ne voit plus. Un regard extérieur est souvent salutaire.
Zar Amir Ebrahimi, actrice iranienne, et qui sait donc ce que tyrannie veut dire, recevait, en 2022, le prix d’interprétation féminine, à Cannes. Dans son discours, elle remerciait également la France (où elle est réfugiée) ce pays qui, je cite : « est un paradis où les gens croient vivre en enfer ».
No comment !
ps: Dans le même ordre d’idée, Nous venons d’assister aux jeux olympiques. Dès leur obtention, les critiques assassines ont fusé. Je cite en vrac : trop cher, nul, surtout pour du sport, cérémonie d’ouverture infaisable, transports inadaptés, étudiants chassés (sic !) (pendant un mois de juillet ?), personne ne voudra venir, ce sera un échec, les français n’en veulent pas, les athlètes français sont nuls, des jeux en ville c’est une idée irréalisable et débile, tout comme nager dans la Seine… J’en oublie beaucoup.
Ai-je besoin de rappeler l’immense réussite que furent ces jeux ? La joie sincère qu’ils ont apporté ? Leur succès populaire, qui a montré que beaucoup de gens ont envie de se réunir, de célébrer et sont las des querelles, des divisions? Ces jeux n’ont, bien entendu, réglé aucun des problèmes majeurs qui se posent aux plus modestes, mais faut-il s’interdire toute célébration jusque-là ? Toute satisfaction, toute liesse sont-elles indécentes ?
Et si nous arrêtions l’insurrection permanente et gardions notre colère pour de vraies causes ?
« Il faudrait essayer d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple. » J. Prévert