Aujourd’hui, je tombe un peu par hasard sur un article du Figaro Madame (1) daté du 3 septembre 2024, intitulé « Le sidérant mensonge de Monique van der Vorst, l’athlète paralympique qui a miraculeusement retrouvé l’usage de ses jambes ». N’ayant jamais entendu parler ni de cette histoire, ni même de l’athlète susmentionnée, je lis.
Et j’apprends que cette athlète néerlandaise paralysée des deux jambes (après une infection puis un accident qui toucha sa moelle épinière), après avoir gagné deux médailles d’argent comme « cycliste à mains » aux JO de Pékin en 2008, aurait prétendu avoir retrouvé l’usage de ses jambes en 2010. Mais, d’après l’article, tout ceci n’était que comédie, puisque l’athlète, confrontée à des témoignages accablants, aurait confessé par la suite avoir « en réalité, toujours été en capacité de marcher ».
L’article est sans appel : il s’agit là d’un des plus gros mensonges de l’histoire de l’handisport, et cette icone néerlandaise déchue n’avait jamais été handicapée, une supercherie démasquée qui mit fin à sa carrière.
De toujours à parfois, il y a un gouffre
Un doute me tourmente alors : j’ai du mal à imaginer une sportive de ce niveau mentant pendant des années sur sa capacité à marcher. Bien sûr, les menteurs patentés, ça existe, et il y en a beaucoup. Mais allez savoir pourquoi, là, ça me titille.
Alors je cherche un peu. On trouve effectivement pléthore d’articles à la fois sur la guérison miraculeuse de l’athlète, mais aussi sur son « mensonge ». Ces derniers répètent à l’envi qu’elle aurait avoué avoir « toujours été capable de marcher », ce qui aurait mis un terme à sa supercherie. Mais d’articles en articles, je n’arrive pas à trouver cette prétendue confession de l’athlète. Ce sont toujours des répétitions de ce qu’un autre article aurait dévoilé. Finalement, beaucoup d’articles de 2012 renvoient à un article de Der Spiegel, le journal allemand. Cet article, qui ne cite pas ses sources, assène : « Aujourd’hui, Mme Van der Vorst a dû admettre qu’elle était également capable de se tenir debout et de marcher pendant sa carrière de handbiker paraplégique. » C’est déjà un tout petit peu différent. On ne mentionne pas le « toujours en capacité de marcher ».
Mais en cherchant un peu plus, sans être capable de trouver de déclaration de sa part admettant qu’elle aurait toujours pu marcher alors qu’elle était considérée comme paraplégique, j’ai trouvé des déclarations beaucoup plus nuancées, certaines d’elle-même, mais aussi de médecins l’ayant suivi. Elle, elle déclare par exemple en 2012 : « Les médecins m’ont diagnostiqué une paraplégie incomplète, sans m’expliquer ce que cela signifiait. Les autres m’ont traitée comme si j’étais folle. J’avais vraiment une sorte de paralysie (…) Parfois, la paralysie disparaissait, et je pouvais alors rester debout un moment, ou marcher, mais jamais longtemps. »
Un handicap réel
Selon Thomas Jensen, professeur de recherche en réadaptation à la faculté de kinésiologie à Copenhague, le handicap de Van der Vorst était réel. « Depuis plusieurs années, je fais régulièrement passer des tests physiques à Monique pour l’aider à préparer son programme d’entraînement. À cause d’une dystrophie à l’adolescence, elle s’est retrouvée en fauteuil roulant. Les premières années, elle pouvait encore utiliser sa jambe droite, mais la gauche était beaucoup plus faible. La plupart du temps, elle restait assise dans un fauteuil roulant, mais elle pouvait encore marcher un peu. » Pour lui, elle présentait « tous les symptômes d’une paraplégie incomplète. Ses jambes étaient très fines et elle était toujours assise dans un fauteuil roulant ».
Bref, les déclarations de Monique Van der Vorst sont beaucoup plus nuancées que ce que mon article initialement cité laisse penser. Elle ne dit pas qu’elle a toujours pu marcher. Elle dit (dans plusieurs articles consultés, et ce sont les seules déclarations de première main que j’ai pu trouver) que durant ses années de paraplégie (incomplète, faut-il le souligner), il lui est arrivé de pouvoir se tenir debout et de pouvoir marcher, mais c’était extrêmement rare. Et jamais elle n’a admis ne pas avoir été paraplégique incomplète.
Confirmé par une enquête du Comité Paralympique International
Et comme la presse de l’époque évoquait le fait qu’une enquête avait été ouverte par le comité d’éthique du Comité International Paralympique (CIP), qui envisageait la possibilité de lui retirer ses deux médailles de Pékin, je me suis intéressé aux résultats de l’enquête.
Les conclusions du Comité d’éthique (2) ont été rendues en 2013. Ce dernier a considéré qu’aucune action ne devait être entreprise à l’encontre de Monique Van der Vorst, qu’elle n’avait pas menti sur son état d’incomplète paraplégie. « Nous avons passé plus de 12 mois à rassembler autant de preuves que possible afin de vérifier et de comprendre tous les aspects de l’affaire. Au cours de sa carrière paralympique, Monique s’est présentée à plusieurs reprises à la classification avec des preuves médicales de la dystrophie musculaire et des manifestations cliniques liées à la douleur. Sur cette base, une classe sportive lui a été attribuée pour concourir en cyclisme manuel. Le CIP admet donc que Monique n’a pas délibérément déformé sa déficience lorsqu’elle a fait l’objet d’une évaluation de classification à plusieurs reprises au cours de sa carrière paracycliste. »
Une déontologie de pacotille
Bref. La pauvre Monique, 12 ans plus tard, continue de faire les frais d’un journalisme qui ne s’embarrasse pas de faire quelques efforts. La pratique qui consiste, pour un journaliste, à répéter ce qu’un autre journaliste a dit sans lui-même s’assurer de l’exactitude et de la véracité des données est une pratique déontologiquement répréhensible. Pourtant, elle est plus que courante, elle est la norme.
Monique elle, ne s’est pas laissé abattre. Elle a repris le sport, sur ses jambes maintenant, et pratique la course d’endurance. Mais elle ne s’est pas arrêtée là : elle a passé un Master avec félicitations du jury à l’Université d’Amsterdam, sur devinez quoi : la stimulation électrique dans les lésions de la moelle épinière !
(2) https://www.paralympic.org/press-release/ipc-concludes-looking-van-der-vorst-case