Il y a trois personnages dans ce film. Celui d’abord qui lui donne son titre, un jeune homme de 17 ans nommé Ze. Talent découvert par la réalisatrice dans son propre milieu cinématographique après des mois de casting insatisfaisants, l’acteur Tergel Bold-Erdene était caméraman « dans le civil ». Pour ce rôle, il a reçu le prix d’interprétation à la Mostra de Venise. Bluffant de maturité et de présence, il n’était en rien, avant le tournage, utilisateur du chamanisme. La ville d’Oulan-Bator ensuite ; elle est filmée en longs plans séquence, soit de loin répandant ses immeubles de béton blanc post-soviétique, soit cadrée serrée sur des yourtes de feutre et des murs tagués par les amoureux. Une jeune fille enfin (Nomin-Erdene Ariunbyamba) qui rejette puis, séduite, séduit ; rejette à nouveau, perdue qu’elle est elle-même dans une identité incertaine entretenue par un père émigré en Corée et une mère à l’amant trop présent.
Les autres figures n’apparaissent que de temps en temps : la professeure pète-sec du lycée, le père sage et attentionné, la mère scrupuleusement pieuse, le grand-père-voisin au fils alcoolique et faible. Ils ont d’autant plus de présence que leurs apparitions sont rares. Chacun porte une force dont on voit pour beaucoup à l’écran le poids d’attention et de douceur. La Mongolie et ses familles filmées là sont extrêmement attentives au devenir de leurs enfants.
La ville qui se modernise à grande vitesse vaut bien notre capitale hérissée de grues de chantiers, elle garde toutefois à sa périphérie une banlieue de tentes grises au milieu de champs de graminées rares, aux rues de terre battue bordées de murs en parpaings, sur fond d’immenses collines poudrées de neige. C’est là, au sein de sa famille – sœur officiante des cérémonies, mère éleveuse de moutons, père mécanicien -, que vit le jeune chaman.
Nous l’avons vu, deviné plutôt aux premières images, sous sa coiffe entourée de cheveux lui cachant le visage, autorité sans appel dans la voix rauque de l’ancêtre qui parle à travers lui. Il ne convient pas de parler de vocation à son propos. On ne choisit pas soi-même de devenir chaman, on est assigné par les esprits à le devenir. Ainsi désigné, le jeune chaman est formé par un ancien et ne peut officier que muni des armes et des ruses pour se prémunir des fantômes mauvais. À son tour, il peut alors convoquer les esprits-ancêtres qui vont apporter des réponses bienveillantes et sagaces à leurs descendants venant les solliciter. Sorti de sa transe chamanique, le jeune homme revient à lui-même et au monde, reprend sa place dans la société des vivants. Il est alors accro à son téléphone portable, est un jeune qui aime et désire, se révolte et se retrouve.
Il ne se trouve pas car contrairement à ses camarades un peu bêtas il s’est déjà trouvé : il est chaman depuis longtemps. Calme, sage, il est le mieux noté de sa classe, le plus moqué aussi. Quelle idée d’être chaman !? Pour la plupart des jeunes, c’est une pratique arriérée ou un passe-temps saugrenu. Comme tout un chacun à son âge, il vit une expérience amoureuse exaltante et frustrante. Ce moment initiatique tout aussi nécessaire lui fait perdre ses pouvoirs. Il les retrouvera. Dans ce monde d’ambitions et de croissance économique, de jeux d’arcade et de galeries marchandes dans lesquelles ils déambulent, il répond à son amoureuse qui lui pose la question mi-curieuse, mi-ironique « Tu achètes des choses ici ? » par un : « Oui, toutes sortes de choses… En pensée ».
Une anthropologue française présente à l’avant-première du film se réjouit de voir une œuvre équilibrée et sensible, alors qu’elle craignait une hollywooderie bien démonstrative ou un chromo pour touristes occidentaux friands de chamanisme. Pas de danger. Entre tradition et modernité – comme l’écriront les critiques-, Un jeune chaman n’hésite pas, il prend les deux.