D’entrée de jeu enchâssée dans un canular d’étudiants, la légende de Bourbaki, nom collectif adopté par un groupe secret essentiellement composé de matheux de l’École Normale Supérieure, est née dans un café du Quartier Latin. Comme toutes les grandes aventures.
Au milieu des années 30 du siècle dernier, il s’agissait pour de jeunes loups qui s’étaient cooptés de tout simplement réécrire les mathématiques, en quelques sortes de les refonder. Sous la houlette du génial André Weil, cette « Communauté de l’Anneau » ambitionnait de rendre cohérentes entre elles les différentes branches des mathématiques qui se développaient chacune dans leur coin : l’analyse, l’algèbre, la topologie…
On fait des maths depuis bien avant l’apparition de l’écriture ; il y a 20 000 ans, l’Homme connaissait déjà les nombres premiers. C’est dire l’ambition qui animait ces têtes bien faites mais insatisfaites. Le travail de Bourbaki, avec d’autres générations, se poursuit aujourd’hui. Une telle œuvre est forcément collective, la Théorie des ensembles est une pratique du tous ensemble.
De par les méthodes employées, Oulipo n’est pas loin. Les oulipiens s’inspireront des découvertes de Bourbaki dans leurs écrits. Il s’agit bien de prendre conscience d’autres existences potentielles, de débusquer les étonnements dans la structure, de révéler des beautés au monde. L’unification des mathématiques n’est pas encore aboutie mais progresse peut-être, certainement, par à-coups décisifs. Et comme le rapporte Zermelo-Fraenkel à propos de Zorn dans son axiome du bon choix de conjoint, « si tout bel ensemble inductif admet au moins un élément maximal », la femme de Zorn en sera pleinement satisfaite.
Éric Desordre