Le logement intègre une dimension sociale forte ; c’est pour l’être humain un besoin vital. Chacun a besoin d’un toit, d’un logement pour se protéger, se construire et participer à la vie collective. Aujourd’hui, 57,5 % de Français sont propriétaires de leur résidence principale, mais plus de 4 millions d’entre eux sont mal logés. Les multiples dimensions qui sont attachées au logement – consommation, patrimoine, vie familiale et affective, relations de voisinage et de quartier – en font un enjeu de premier ordre. Mais le logement ne saurait être réduit aux seules exigences de la fonctionnalité. Il n’est pas seulement une « machine à habiter » susceptible de procurer une « vie harmonieuse » par la satisfaction de besoins sanitaires, éducatifs, récréatifs ou nutritifs… Ainsi « l’adresse » d’une personne concourt à la représentation que l’on s’en fait. Au cours de l’histoire, le logement humain et l’habitat en général ont tout à la fois été la cause et le résultat d’évolutions irrégulières, certaines époques ayant été marquées par de violentes crises. Les transformations qui se sont opérées ont été influencées par une grande variété de facteurs, économiques, sociaux, culturels, technologiques et climatiques, mais également en fonction de contraintes environnementales et géographiques propres à chaque période.
Au début de la Préhistoire…
… Les hommes étaient nomades et se déplaçaient en suivant les migrations animales ou en cherchant des terres fertiles pour se nourrir ou pour alimenter leur bétail. Ils construisaient des abris naturels temporaires avec très peu de moyens, utilisant des arbres, des rochers ou des ossements qui étaient à leur portée. Leurs constructions, souvent très ingénieuses, offraient une protection efficace contre les intempéries et les prédateurs et pouvaient être démontées et reconstruites facilement. Le développement de l’agriculture et de l’élevage favorise l’apparition des premiers villages sédentaire. Ils sont constitués de maisons durables, bâties à l’aide de matériaux rudimentaires, terre, argile ou pierre, disposées en cercle pour favoriser la cohésion des habitants. De tailles modestes, elles avaient pour vocation de protéger les occupants contre les éléments ; afin de chauffer et d’éclairer les habitants, les premiers « foyers » sont installés.
Dans l’Antiquité…
… Les Égyptiens vont mobiliser de nouvelles techniques en vue d’améliorer le confort. Les maisons deviennent carrées, disposées les unes à côté des autres pour former des rues et constituer les premières villes. Les groupes d’habitations sont répartis autour d’une cour centrale ou de jardins intérieurs, structurées par des égouts, des bains publics… La maison romaine, réputée être la maison des riches, est grande et confortable, organisée autour de plusieurs pièces : toilettes, thermes, chauffage par le sol, avec des espaces ouverts décorés de fresques et de statues de marbre. La maison gauloise est quant à elle beaucoup plus fruste, fabriquée à l’aide de paille pour le toit, de bois pour la charpente et de torchis pour les murs. Afin d’avoir chaud, hommes et bêtes vivent ensemble et le grenier, destiné à protéger les récoltes de l’humidité et des prédateurs, est souvent utilisé comme dortoir.
Au Moyen Âge…
… Les maisons deviennent plus grandes et plus élaborées, avec des étages, des cheminées et des fenêtres, construites autour de cours intérieures, créant ainsi des espaces privés pour les familles. Les habitations paysannes sont construites à l’aide de bois et de torchis, recouvertes de toits de chaume, le sol étant constitué de terre battue ; elles ne possèdent pas de fenêtres, mais elles disposent de volets ; peu à peu, le foyer disparaît au profit d’une cheminée. La maison est difficilement éclairée par de modestes lampes à huile ou des chandelles. Les animaux sont séparés des hommes. Les riches « bourgeois » peuvent s’offrir une maison individuelle en pierre, construite en hauteur, utilisant la technique de l’encorbellement grâce à laquelle chaque étage déborde de l’étage inférieur afin de gagner quelques mètres carrés habitables. Chaque maison comporte un rez-de-chaussée construit en pierre de taille et une charpente constituée de poteaux en bois formant un « colombage » dont les interstices sont comblés avec des moellons recouverts de plâtre, des briquettes jointées ou encore du torchis. Les fenêtres font leur apparition. L’usage de la pierre et de la brique se vulgarise, alors qu’elles étaient jusqu’ici réservées aux édifices religieux. Le rez-de-chaussée est souvent occupé par un artisan ou un commerçant. La recherche de protection encourage la construction de structures susceptibles de protéger les habitants des voleurs et autres vagabonds. C’est à cette époque que les premiers châteaux forts sont érigés, munis de donjons ou surmontés d’une tour carrée en bois, en contrebas desquels se trouve une « basse-cour ». Les journées se déroulent au rythme des cloches de l’église qui signalent l’angélus, la messe, le glas, mais aussi les incendies, les guerres ou les fêtes.
Pendant la Renaissance…
… Les châteaux perdent leur fonction militaire pour devenir des résidences d’agrément et de prestige. Les bâtiments sont plus vastes et font étalage des richesses de leurs propriétaires, à travers de nouvelles formes architecturales plus élaborées, incluant des arcs, des voûtes, des colonnes et des dômes. Les façades sont symétriques et pourvues de fenêtres en verre. Les éléments défensifs – fossés, murailles, pont-levis…- disparaissent ou deviennent des éléments décoratifs. Il n’y a pas de salle à manger : les repas sont pris dans les chambres, sur des tables à rallonges venues d’Italie. En revanche, il existe une cuisine, très vaste, mais les instruments culinaires, eux, n’ont guère changé depuis le Moyen Âge. Les équipements sanitaires sont quasi-inexistants, même chez les riches qui installent des cabinets d’aisance à l’extérieur. Certains implantent à proximité une ferme regroupant plusieurs corps de bâtiments – grange, cave, étable, four à pain… – isolés les uns des autres pour se protéger des risques d’incendie. Les couches les plus aisées de la population se font construire des palais, des villas et des jardins, inspirés de l’architecture Italienne.
Au 17ème Siècle…
… L’évolution de l’habitat se fait lentement. La priorité consiste à entretenir les logements construits auparavant, très modestes et sans confort, sans vitre, sans eau… En parallèle, de nouvelles constructions en pierre, aux toits couverts de tuiles ou d’ardoises sont lancées. Suite à l’immense incendie de septembre 1666 lors duquel Londres a vu près de 13.000 maisons brûler, les normes de construction impose que les nouvelles maisons en bois comportent une partie de maçonnerie et que les anciennes masures soient recouvertes de plâtre afin de mieux résister au feu. Les nobles et les grands bourgeois s’inspirent de l’architecture Renaissance et veulent montrer leur richesse. Leurs grandes maisons font penser aux constructions antiques et disposent de larges fenêtres. A l’intérieur, le mobilier est plus diversifié, mais il n’y a pas encore vraiment de confort, ni de salle à manger pour les maisons des centres-villes, où l’on continue de prendre ses repas dans les chambres. Au rez-de-chaussée, un couloir latéral longe la boutique qui donne sur la rue ; s’il n’y a pas de boutique, cette petite allée longe ce que l’on appelle la « salle », une grande pièce qui peut servir de chambre, de lieu de vie, de bureau ou de salle de réception, à laquelle s’adosse une cuisine. Dans les étages supérieurs et dans le grenier se trouvent les chambres, tandis qu’une cave est dévolue au garde-manger.
Au siècle des Lumières…
… La question de la promiscuité dans les logements prend une grande importance. Il s’agit de bénéficier d’un espace à soi, ce qui est loin d’être possible pour tout le monde. Les maisons individuelles, très fréquentes dans les campagnes, ne comportent pour la plupart qu’une grande salle au rez-de chaussée, appelée « embas », surmontée d’un grenier. La population des villes, en forte croissance, s’entasse dans des immeubles de plus en plus hauts et souvent insalubres. Une hiérarchie sociale s’établit, la bourgeoisie occupant le premier étage, alors que les domestiques sont logés dans les combles, sous les toits. Les commerçants et les artisans s’implantent au rez de chaussée. Compte tenu de la surface des habitations, la vie de famille ne se déploie bien souvent à l’échelle d’une seule pièce. Dans les milieux urbains, la situation est très inégale selon la localisation géographique et la situation socioprofessionnelle des occupants. Globalement, les villes de province permettent de bénéficier d’un peu plus d’espace qu’à Paris, en raison des loyers plus faibles. La pièce de vie est souvent désignée par le terme de « chambre », à l’acception plus large que celle d’aujourd’hui. Il s’agit d’un lieu multifonctionnel, polyvalent. On y dort, on y entrepose des objets, on y mange, on y cuisine. L’existence d’une pièce dédiée à la préparation des repas est encore peu fréquente. La chambre est également un lieu de passage, puisqu’il existe peu de corridors ou de vestibules pour cloisonner les espaces. Enfin, elle peut aussi être un lieu de travail, dans la mesure où nombre d’hommes et de femmes exercent leur activité professionnelle au sein même leur domicile. Plus l’aisance économique s’accroît, plus les travailleurs parviennent à séparer spatialement les sphères professionnelles et domestiques. Beaucoup d’hommes et de femmes plus modestes doivent exercer leur activité au sein même de la pièce principale de leur logement. Cette configuration préfigure les comportements adoptés par les personnes qui ont télétravaillé lors du confinement des années 2020, cherchant à réduire l’impact de la promiscuité sur les plans émotionnels, scolaires et familiaux, pour les adultes comme pour les enfants.
Mais même lorsqu’ils vivent dans des espaces réduits, les individus rusent pour combiner le plus harmonieusement possible les différentes fonctions au sein de leur logement. Le positionnement stratégique des meubles et leurs déplacements fréquents permettent de gagner en polyvalence, mais aussi en intimité. La vie s’organise autour de la cheminée, les lits ne sont pas regroupés à proximité du foyer, mais dispersés dans toute la pièce, et lorsque des espaces annexes existent, ils sont mis à profit par les habitants pour éloigner encore les couchages les uns des autres. Ainsi, il n’est pas rare de noter la présence d’un lit dans l’entrée, voire dans un grenier ou dans un cellier. Enfin, au sein d’une même pièce, différents aménagements mobiliers permettent de renforcer l’intimité. Certaines familles possèdent un lit à rideaux qui, bien que plus coûteux que les couchages traditionnels, permettent de lutter contre le froid et surtout de se dérober ponctuellement aux regards. Les armoires sont préférées aux coffres, souvent placées près d’un lit servant à la fois de rangement et de paravent. De nouveaux types d’espaces apparaissent progressivement, comme les antichambres ou les garde-robes qui désencombrent l’espace principal ou de se soustraire un moment à la vie familiale. Enfin, une pièce symbolise particulièrement bien la distinction croissante entre vie sociale, vie familiale et vie intime : le boudoir, qui apparaît dans les intérieurs aristocratiques et essaime dans les habitations les plus aisées ; il peut aussi bien servir à recevoir quelques amis proches, qu’à étudier ou se reposer. Souvent agrémentée d’une cheminée et avec vue sur le jardin, la pièce se veut la plus confortable possible. Sa spécificité est précisément de ne pas avoir de fonction dédiée, si ce n’est le bien-être de celui qui s’y rend. Cette volonté de moduler l’environnement selon les besoins s’exprime dans toutes les catégories de la population, même si cette alternance entre les espaces de vie est définitivement le signe d’une certaine aisance économique.
À partir du 19ème siècle…
… Les grandes villes se transforment, à l’image des chantiers initiés par le Baron Haussmann, à Paris et à Marseille. Une nouvelle approche de l’urbanisme et de l’architecture se dessine, encouragée par Napoléon III qui fixe comme objectif de « donner de l’air, de la lumière et de l’eau » à la ville, alors que le choléra poursuit ses ravages. Les immeubles sont à touche à touche, plus hauts et plus denses qu’habituellement, séparés par de larges rues et avenues, plantées d’arbres ombrageant les trottoirs, créant un décor presque théâtral, jouant beaucoup sur l’illusion. Les défis climatiques et la préservation de l’environnement commencent à être pris en compte. La conception des immeubles intègre le réchauffement et leur construction en îlots permet d’aménager des appartements traversants, avec de grandes fenêtres laissant passer l’air pour les rafraîchir. Pour protéger du froid hivernal, le chauffage est installé à chaque étage, raccordant les poêles aux conduits des cheminées. Les espaces de vie commune – salon, salle à manger…- se multiplient et donnent de préférence sur la rue, tandis que les chambres et la cuisine sont installées à l’écart. Les boutiques sont installées au rez-de-chaussée, alors que les bourgeois habitent au premier étage et les domestiques sous les toits. L’arrivée des ascenseurs inversera cette hiérarchie sociale : les domestiques sont invités à redescendre au pied des immeubles et les bourgeois vont alors préférer habiter les étages, plus lumineux et disposant d’une meilleure vue. Les vergers et les potagers viennent agrémenter les dépendances des logements situés en zone rurale. Grâce à la révolution industrielle, de nouveaux matériaux – l’acier, le ciment…- vont entrer dans la construction des bâtiments. Les grands patrons d’usine implantent rapidement des cités ouvrières où les familles sont nombreuses ; tous les logements sont identiques, mais ces constructions en série manquent souvent d’espace et d’hygiène.
L’Après-guerre
… Les destructions massives de la Seconde Guerre mondiale génère une grave crise du logement. Le quart du parc immobilier du pays a été endommagé et certaines localités comme Royan ou Le Havre ont été particulièrement touchées par les bombardements. Des familles doivent vivre dans des logements exigus ou provisoires. Le niveau d’hygiène et de salubrité rend un grand nombre de logement quasi-inhabitables : à peine un peu plus d’un quart d’entre eux disposent de WC intérieurs, 10 % d’une baignoire ou d’une douche. Un blocage des loyers stricts décidé en 1914, jamais remis en cause après la première guerre mondiale, va entraîner une paralysie quasi totale de l’investissement locatif privé : le blocage des loyers obérant toute rentabilité de ce type d’investissement, les propriétaires de logements existants cessent de les entretenir, faute de revenus suffisants. En conséquence, la perspective de rendements faibles réduit la construction de nouveaux logements. Ainsi, entre les deux guerres, la France a construit 2,5 fois moins de logements que la Grande-Bretagne, et deux fois moins de logements que l’Allemagne, pourtant affligée par une crise monétaire grave. Les salariés urbains ne peuvent pas accéder à un logement décent et moderne.
Dans ce contexte l’État doit faire face à plusieurs objectifs : protéger les locataires d’une hausse trop brutale des loyers et laisser ceux-ci augmenter pour stimuler les investissements privés dans la construction de logements. Le contrôle des loyers se concrétise par la fameuse « loi de 1948 » destinée à protéger le locataire, en le faisant bénéficier d’un loyer réglementé et d’un droit au maintien dans les lieux. Peu à peu, l’effort de construction entrepris dans toute l’Europe depuis 1945 permet une atténuation de la crise quantitative du logement. Mais le déclin de la prospérité et l’appauvrissement des finances publiques conduit l’État à se désengager de la protection sociale. Succède alors la mise en place de dispositifs d’’encouragement à l’accession à la propriété et un changement dans les modes de soutien au secteur du logement. Il ne s’agissait plus de contenir la hausse des prix de l’immobilier locatif, mais de ne soutenir que les populations les plus pauvres par des aides ciblées. L’État relâche son contrôle sur les constructions neuves ou rénovées, dans l’espoir de stimuler l’investissement. Les populations de la campagne et de pays proches de la France qui rejoignent les villes pour participer aux reconstructions ont besoin d’être logées très rapidement. Les urbanistes, les architectes et les professionnels du bâtiment, mettent au point de nouvelles techniques de construction d’immeubles, de logements sociaux et de lotissements suburbains. L’État lance la construction de grands ensembles, tant pour répondre rapidement à la demande, que pour stimuler l’apparition d’une véritable industrie du bâtiment capable de mettre en œuvre les nouvelles techniques maintenant disponibles. De grands ensembles – les « cités » – sont mis en chantier autour des villes, en utilisant massivement du béton, de l’aluminium, de l’acier et du verre. Les bâtiments se ressemblent et se répètent de manière monotone, mais ils sont équipés et le confort progresse grâce à l’accès à l’eau courante, à l’électricité ou au gaz, facilitant la vie des familles. Cependant, les zones où sont construits ces ensembles sont mal reliées aux villes et les habitants sont isolés. L’apparition de « bidonvilles », qui accueillent des immigrés de fraîche date contraint l’État à créer plusieurs structures, dont le Fonds d’Action sociale pour les travailleurs musulmans d’Algérie en métropole et pour leur famille qui finance les foyers de travailleurs migrants de la SONACOTRA. Les Habitations à Loyer Modéré (HLM) font leur apparition.
À l’image de Le Corbusier, de Ricardo Bofill ou de Ludwig Mies Van der Rohe, certains urbanistes et architectes imaginent de nouvelles structures adaptées aux attentes de l’époque. Ils y associent des services de proximité : livraisons de produits alimentaires, écoles…Les maisons individuelles attirent de plus en plus, car elles permettent d’améliorer l’intimité et de profiter de l’espace et de la verdure. Le développement de l’automobile génère la construction de parkings et de garages à proximité des logements. De nouveaux équipements font leur apparition, les uns facilitant l’entretien des membres de la famille – aspirateur, lave-linge… – les autres améliorant l’hygiène et le confort – wc, baignoire, douche, radiateur, climatiseur… – d’autres encore aidant à l’exécution des tâches alimentaires – réfrigérateur, congélateur, four, cuisinière… – ou à renforcer la sécurité – alarme, circuit de surveillance…-. En parallèle, l’accès à de nouveaux moyens de communication – téléphone, radio, télévision, chaîne hifi, photocopieur, fax, ordinateur, accès à internet… – se développe considérablement. Enfin, des équipements et des objets nouveaux sont proposés aux familles pour décorer et embellir leur environnement, produits par des industriels innovants – Thonet, Ikea…- qui s’associent de plus en plus souvent à des designers – Philippe Starck, Andrée Putman, Florence Knoll, Gae Aulenti…- pour créer des collections de meubles, de tissus ou d’accessoires dont la mode s’empare.
La fin du 20ème siècle…
… Le logement se trouve au cœur des nombreuses contradictions de la société de consommation. Comme de nombreux secteurs, le logement devient un « marché », ses fonctions socio-culturelles s’effaçant. La crise économique et le chômage rompent les modèles de financement du logement, spécialement celui du logement social, qui ne peuvent plus être pensés indépendamment de l’accès à l’emploi. Pour les classes moyennes et à partir de l’âge de 50 ans, le logement constituait un actif patrimonial destiné à la transmission de génération en génération. Mais, comme une part croissante de la population active sort du salariat et de la linéarité des revenus, la solvabilité des acquéreurs et des locataires est de moins en moins assurée.
Les mutations économiques et sociales qui affectent la société conduisent à revisiter de fond en comble les fonctions du logement, notamment sur les territoires des grandes métropoles où se concentrent la création de richesse et le besoin de mobilité. Les actifs résidentiels, à côté de leur rôle historique en termes de transmission entre générations, se voient conférer une fonction majeure de réserve de valeur dans un cycle de vie dont le déroulement risque de s’avérer beaucoup moins linéaire que dans le passé. Certains quartiers et certaines zones rurales se trouvent isolés et démunis de services publics – transport, école, santé, administration…- tandis que d’autres bénéficient d’une grande variété de prestations publiques et privées.
Le début du 21ème siècle…
… Juste avant la crise de 2008, la part des ménages français se déclarant mal logés est passé de 13,4 % en 1978 à 6,0 % en 1996, puis est remontée à 7,2 % en 2002, avant de redescendre à 6,5 % en 2006. La crise de 2008 ou d’autres facteurs ont été source dans certaines villes d’une diminution de la demande de logement (des agences font faillite) et dans d’autres (grandes villes en général), d’une aggravation des tensions sur l’immobilier. Ces signaux négatifs ne cessent de se multiplier et portent à croire qu’une nouvelle crise du logement se profile à l’horizon.
Entre 2000 et 2010, le marché immobilier urbain s’est « tendu » avec une forte inflation des prix et une insuffisance de l’offre de logements, provoquant une augmentation de 110 % en 10 ans du logement ancien. Dans le même temps, le prix du logement neuf a également augmenté de 86 % pour les maisons et de 94 % pour les appartements. Entre 1984 et 2010 le loyer moyen d’habitation a grimpé à un rythme annuel moyen de 3,4 %, plus rapidement que le revenu moyen des locataires et deux fois plus vite que les prix à la consommation. Durant cette période, le taux d’effort des ménages en faveur du logement s’est accru d’au moins deux points. Cette crise n’est pas comparable avec celle des périodes d’après-guerre, notamment car une partie des logements existants sont vacants. Selon le ministère chargé du logement, les besoins de construction étaient en 2013 de 400.000 à 500.000 logements par an, notamment à la suite de la diminution continue de la taille moyenne des ménages, et en raison d’une forte croissance démographique. En France, il se crée chaque année 350.000 ménages qui doivent se loger dans un contexte de mobilité accrue, de décohabitation accrue. Depuis 2010, une dynamique en faveur de la réhabilitation du logement ancien s’est développée, mais l’offre persiste à être inférieure à la demande ou mal répartie. La part de revenus consacré par les ménages à leur logement, inférieur à 10 % dans les années 1960, dépasse 18 % en 2013. Beaucoup de personnes issues de foyers modestes souffrent aussi de précarité énergétique. En 2019, près de 3,6 millions de personnes ont froid dans leur logement, pour des raisons liées à la précarité. Les Français sont 44 % de plus qu’en 2006 à se priver de chauffage à cause de son coût. En 2018, plus de 36.000 personnes ont été expulsées de leur logement par des forces policières, soit une hausse de près de 3 % par rapport à l’année précédente. Pourtant, trois millions de logements sont inoccupés en 2019. La même année, 612 personnes sans-abris sont mortes, selon une liste non exhaustive du collectif Les Morts de la rue, ce qui représente une hausse de 15 % sur un an. Selon d’autres estimations publiées par le Bulletin épidémiologique hebdomadaire de l’Institut de veille sanitaire, les chiffres seraient six fois supérieurs. Sur la période 2012-2016, le nombre de décès serait de 13 371, soit plus de 3 000 par an. Au début des années 2020 les mises en chantier baissent, les autorisations chutent, les ventes plongent chez les constructeurs de maisons individuelles, les réservations de logements par les particuliers et les ventes en bloc, aux opérateurs, d’habitations à loyer modéré (HLM) et aux investisseurs institutionnels sont à l’arrêt, la construction de logements sociaux est au ralenti.
Dans ce contexte, l’urbanisation et la périurbanisation qui se développent conjointement ont une forte empreinte écologique et sont source d’une consommation énergétique croissante. En France, l’habitat contribue à 44 % de la consommation d’énergie ainsi qu’à 25 % du réchauffement climatique. Ces enjeux environnementaux ont conduit à intégrer des contraintes écologiques dans les règles de construction et d’usage des logements, telles que le recours à des matériaux et des technologies économes en énergie ou l’installation d’équipements et de dispositifs non-polluants et durables. Ainsi, depuis 2022, la vente ou la location d’un bien immobilier doit obligatoirement donner lieu à la remise par le vendeur d’un diagnostic énergétique. De même, depuis le 1er janvier 2023, les logements les plus énergivores sont interdits à la location[1].
À ces divers éléments qui ont marqué l’évolution du logement, il convient d’ajouter des facteurs qui ont un impact plus ou moins direct sur la santé, physique et psychique, des familles. Il y a 50 ans, les logements étaient en nombre insuffisant et leur confort était loin des normes actuelles – 1 logement sur 10 était dépourvu d’eau courante et plus de la moitié n’avaient ni WC, ni salle de bain. Ces situations ont quasiment disparu[2]. Mais plus de 4 millions de Français sont aujourd’hui mal logés, dont 300.000 sont sans domicile et les atteintes au droit au logement et à l’hébergement d’urgence se multiplient. La pénurie de logements accessibles, la hausse des coûts de construction et la panne de production de logements sociaux, combinées à l’augmentation des divorces, des syndromes dépressifs, des violences familiales et des addictions, génèrent une dégradation des conditions de logement que la France n’avait pas connu depuis des décennies. De nouvelles populations sont particulièrement touchées : « Jusqu’à présent le sexe a rarement été considéré comme un facteur déclenchant ou aggravant du mal-logement. Pourtant, face au logement, être un homme ou une femme, ou appartenir à une minorité sexuelle, affecte considérablement les risques de subir diverses dimensions du mal-logement et bouleverse la manière même de vivre ce mal-logement[3] ». L’importance que le logement occupe dans le développement de l’exclusion et des inégalités doit inciter les pouvoirs publics à investir à nouveau dans la construction et la rénovation de logements à prix modérés et à cesser les coupes budgétaires affectant les aides au logement. Au-delà les initiatives qui contribuent à développer des formes d’habitat partagé telles que l’habitat participatif, les colocations, les pensions de famille… doivent être soutenues. Au risque que le logement soit la bombe sociale de demain[4] ».
Patrick BOCCARD
[1] https://www.fnaim.fr/4170-loi-energie-climat-immobilier-impact-pour-les-proprietaires.htm#
[2] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/05/21/1968-2018-logement-consommation-etudes-comment-la-france-a-change-en-cinquante-ans
[3] https://www.fondation-abbe-pierre.fr/actualites/28e-rapport-sur-letat-du-mal-logement-en-france-2023
[4] https://www.vie-publique.fr/discours/288215-olivier-klein-25012023-politique-du-logement