Le magazine Le Point vient de publier une tribune écrite par « une soixantaine de scientifiques et d’agriculteurs » qui s’attaquent à l’agriculture biodynamique, une agriculture qui vise à intégrer les principes du développement durable en prenant en compte les aspects techniques, économiques, environnementaux et sociaux de chaque exploitation, et qui considère la terre cultivable comme un être vivant en évolution.
Nos « agriculteurs et scientifiques » sont très remontés contre cette méthode de culture, surtout à cause de son succès dans la production vinicole, et l’engouement qui existe aujourd’hui pour les vins produits en biodynamie. Faut dire que la biodynamie produit de très bons vins, que les cahiers des charges de ces vins sont plus exigeants que ceux de la culture biologique, et que beaucoup d’amateurs de vin se sont rendu compte que les sulfites, ça n’aide pas la digestion, et pour le coup, la biodynamie n’en utilise quasiment pas.
Bref, nos tribunards n’aiment pas le vin biodynamique.
Que lui reprochent-il ?
Tout d’abord, ils lui reprochent son origine. Ils disent que l’agriculture biodynamique a été inventée par Rudolf Steiner, le fondateur de l’anthroposophie, et que tout le monde sait que l’anthroposophie est une secte dangereuse, c’est la MIVILUDES qui l’a dit. Bon c’est pas nouveau, avant la MIVILUDES les nazis nous avaient avertis dès 1939 (lire cet article sur Rebelles). Et à part ça oui, c’est vrai, la biodynamie a été théorisée par Rudolph Steiner.
Bon, jusque-là, rien de bien méchant. Mais nos contestataires du Point vont plus loin. Rendez-vous compte, « l’anthroposophie postule par exemple que la Terre et les humains se réincarnent, que notre monde est traversé par des énergies cosmiques qui agissent sur des “corps subtils” – éthériques ou astraux. Tout cela régirait la vie sur Terre, la santé humaine, la hiérarchisation de supposées races humaines et la pousse des plantes. »
C’est grave docteur ? Bah pour nos énervés du bulbe, ça pose problème. Parce que tout ce qui est ésotérique, c’est mal. Et de plus, disent-ils, « la biodynamie postule également d’une influence de la Lune et des planètes lointaines sur les cultures ». Ça c’est très grave ! Pourtant, élevé à la campagne, chez moi tout le monde prenait en compte le cycle lunaire pour tailler des haies, planter des légumes ou couper des branches. On était peut-être des « très cons » me direz-vous, mais il n’empêche que quand on ne respectait pas les règles, ça marchait moins bien… Alors, oui, on n’avait jamais lu une « étude scientifique » sur le sujet. Mais l’humanité a quand même su se nourrir avant que The Lancet ne commence à publier ses trucs.
Pas de science pour les ennemis de la science !
Bon, allez continuons, ne nous attardons pas sur la Lune. Parce que ce que la tribune dénonce le plus, c’est que des scientifiques s’intéressent à la biodynamie. Cela peut paraitre paradoxal, du fait qu’en reprochant à la biodynamie son caractère non scientifique, on pourrait s’attendre à ce que nos pourfendeurs de pseudo-sciences se réjouissent que quelqu’un étudie la biodynamie de manière scientifique. Mais non. Le fait que des chercheurs de l’université de Strasbourg, du CNRS et de l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) s’intéressent à la biodynamie et y voient des avantages les met en rage !
Ils dénoncent « les liens contradictoires entre le monde de la recherche publique et un mouvement philosophico-religieux » en ajoutant que « l’intervention de chercheurs, dont certains ont déjà collaboré ou signé des articles à prétention scientifique avec des anthroposophes, exerçant, qui plus est, au sein de grands instituts de la recherche publique française, permet de douter de la place de l’esprit critique au sein de ces institutions. »
Mais bon, sentant la critique venir, ils disent quand même qu’ils ne contestent pas « l’étude et la recherche portant sur l’agriculture biodynamique dès lors que ces études s’éloignent et se détachent de l’influence de l’anthroposophie et portent un regard objectif mais critique sur celle-ci », même si toute leur tribune dit le contraire. A tout le moins, on sent l’animosité personnelle.
On peut se dire que c’est assez étrange, pour des « agriculteurs et scientifiques », d’avoir tant à cœur de s’attaquer à une méthode d’agriculture qui somme toute produit des denrées plutôt plus saines que d’autres méthodes, et permettant une meilleure utilisation de la terre en termes de développent durable. Sont-ce des agriculteurs jaloux qui voient une partie de leur clientèle se tourner vers des produits qu’ils ne produisent pas ? Jetons un coup d’œil aux signataires.
Les tribunards
Ils sont nombreux, et on ne va pas tous les passer en revue. Mais soyons honnêtes, certains ont des titres ronflants : professeurs des universités honoraires, directeurs de recherches au CNRS, ingénieurs agronomes, un « anthropologue et diplomate », etc. Comme je ne les connais pas, je n’en dirai rien. Après, ils sont loin d’être tous des scientifiques ou des agriculteurs, nos soixante tribunards : il y a un boulanger, une journaliste retraitée (en fait beaucoup de retraités…), une architecte, un comptable, un développeur web, un auteur de BD, un vidéaste, une infirmière en psychiatrie, etc.
D’autres, et ils sont nombreux, ont un profil plus militant : Grégoire Perra, un professeur de philosophie qui après avoir été évincé d’une école Steiner (les écoles Steiner appliquent la pédagogie Steiner, inventée par Rudolph Steiner), a choisi de dédier son existence à s’attaquer aux anthroposophes et à tout ce qui se rapproche de près ou de loin d’eux ; Thomas Durand, un youtubeur « fact-checker » auto-proclamé qui entend lutter contre tout ce qui est médecine alternative au nom de la « science » ; Didier Pachoud, le président d’une association antisecte marseillaise, le GEMPPI (groupe d’étude des mouvements de pensée en vue de la protection de l’individu) ; Benoît Judde, détective privé spécialisé dans les dérives sectaires ; Mathieu Porzio Spécialiste dérives sectaires numériques ; « Cadrer Decadrer » qui se présente comme « citoyen prévention sur les dérives sectaires » ; et d’autres membres d’associations « antisectes » à profusion.
On est donc là devant un club militant, qui visiblement ne supporte pas qu’un vin « plus bio que bio » (c’est eux qui le disent) fasse des adeptes, parce que c’est du vin sectaire. Les mêmes qui manquent de s’étrangler fatalement lorsque le dernier film de Tom Cruise fait un carton au box-office de l’hexagone, pas parce que le film serait mauvais, mais parce qu’il est le fruit d’un scientologue.
Je me suis demandé pourquoi Le Point publiait complaisamment une telle tribune, qui bien que tout à fait légitime pour un site militant, n’a pas vraiment sa place dans les colonnes d’un quotidien national comme Le Point. Bon, des clients agriculteurs ? Des actionnaires dans l’industrie du vin ? de la pétrochimie ? Je n’en sais rien et je m’en fous. J’ai même remarqué que l’une des rédactrice en chef du Point, Géraldine Woesner, est vent debout contre les biodynamistes ! Elle parle des « dingueries de la biodynamie », et s’indigne quand un ministre ose parler de l’agriculture biodynamique à la télé. Maintenant Woesner, c’est pas non plus la big boss du Point, donc on n’est pas plus avancé.
Et en fait, c’est pas très grave. J’avais juste envie de réagir à cette tribune, et maintenant que c’est fait, je crois que je vais aller me déboucher une petite bouteille de Château La Baronne, vin biodynamique bien sûr, issu de cépages plantant leurs racines dans une terre nourrie à la bouse de vache macérée dans une corne de vache, je n’aime que ça !