« Croyez-vous vraiment que la lune n’est pas là quand vous ne la regardez pas ? »
C’est la fameuse remarque d’Einstein à un ami concernant l’interprétation de Bohr de la mécanique quantique : Tout est une onde de probabilité qui « s’effondre » lors de notre observation se transformant en quelque chose que nous disons « exister ». Jusqu’à ce que nous l’observions, rien n’est vraiment réel ou plutôt, « aucune chose » n’existe. Plus précisément, une existence est réelle lorsqu’elle est rendue réelle par nous. Sommes-nous le facteur déterminant de l’existence ?
Ajoutons à cela les récentes découvertes en physique concernant le phénomène de l’intrication quantique. Deux particules sont générées simultanément, comme des jumeaux. Lorsqu’il y a un changement dans la charge de l’une des particules, il y a, simultanément, le même changement dans l’autre particule, même si elle est séparée de la première par des millions de kilomètres. L’existence de la « localité », une poche de temps et d’espace mesurée et commode, est maintenant remise en question. Une « identité » localisée, une « chose » – comme un enfant vivant, respirant, humain – existe-t-elle réellement, ou n’est-elle réelle que lorsqu’elle est observée ?
Le post-modernisme et l’absence d’identité stable
Le fait qu’il n’y ait pas d’identité stable pour un objet tant qu’il n’est pas observé, et qu’il n’y ait pas d’objet, distinct, qui puisse être isolé, semble donner un coup de grâce scientifique au modernisme. Le post-modernisme semble régner en maître, radicalement. Nous pouvons parler de quelque chose comme d’une tendance à être, mais pas d’être l’Être en tant que tel ou d’avoir l’Être. La certitude de l’être est devenue incertaine.
Pour certains, ce n’est pas du tout inattendu. Alfred North Whitehead, des décennies auparavant, avait décrit deux erreurs intellectuelles qui contaminaient la pensée moderne. La première, qu’il appelait l’erreur de la simple localisation, consiste à penser que nous avons isolé quelque chose dans un espace et un temps certains, et que cela constitue entièrement l’ « objet ». La seconde, qui sous-tend en quelque sorte la première, est le sophisme du caractère concret mal placé, qui consiste à confondre notre idée abstraite avec la façon dont les choses se passent dans la « réalité », si l’on peut utiliser ce mot de manière crédible.
Je suis juif. Je ne suis pas ce que l’on appelle un juif « orthodoxe ». Mon héritage, dont je suis fier, est le judaïsme réformé. L’avènement de l’ère moderne – débarrassée de son extrémisme religieux au profit d’une « raisonnabilité » claire et acceptée par tous – a marqué mon entrée officielle dans la civilisation occidentale, cette civilisation fondée par l’Église catholique romaine. Avec l’ère moderne, propulsée en particulier par la vision de Napoléon Bonaparte, j’ai obtenu une citoyenneté égale à celle des nations dans lesquelles je résidais.
Sauvé par l’ère moderne
L’ère moderne m’a sauvé du Dieu de la chrétienté. Qu’elles soient dites « anciennes » ou nouvelles, les valeurs prophétiques de la Bible – paix, justice, dignité de chaque être humain créé par un Créateur – ont été affirmées dans l’ordre de la loi naturelle. Les moralismes et les légalismes forcés de la religion, dus à sa croyance excessive dans l’absolu de la « Révélation », ont cédé la place à des démocraties plus fluides, plus négociables et, je pense, à un universalisme plus authentique que la production mortelle de l’impérialisme et de l’évangélisme qui l’a précédé.
L’ère moderne avait des valeurs morales solides, définies, dont l’existence ne dépendait pas, relativement, de nous. Ça, c’est ce qu’on appelle le post-moderne ! La morale et la structure morale n’étaient pas relativistes ; elles formaient la colonne vertébrale de la société humaine. Elles pouvaient être inscrites dans la loi parce qu’elles étaient fondées sur la Raison même par laquelle notre monde était « conçu » et que nous pouvions observer et valider par l’expérience humaine. L’épistémologie n’était pas un simple produit sémiotique du langage. La hiérarchie de la pensée, dans une progression ascendante, a alimenté vague après vague le progrès technologique et le changement social tangible. L’histoire était une puissante évolution participative mondiale de la perspicacité humaine, se déroulant de manière téléologique ; nos connaissances se rapprochant de plus en plus d’idéaux apparemment transcendants, semblaient s’approcher d’une sorte de limite mathématique, du « Bien », peut-être de « Dieu ».
Et bien sûr, à l’époque moderne, nous ne nous demandions pas si des entités dotées d’identités stables dans l’espace et le temps, telles qu’une « vraie personne humaine », étaient localement isolables et existaient réellement ; les êtres humains n’existaient pas seulement après que nous nous soyons observés nous-mêmes en train d’exister. Ce n’est qu’avec la solidité moderniste que l’on peut déclarer les « droits » inaliénables d’une âme humaine ou, peut-être, la « souveraineté » d’une nation comme l’État moderne d’Israël ou la Palestine. Ce n’est qu’alors que l’ « identité » pourrait être respectée comme réelle, « ordonnée par Dieu », et non relativiste.
Les erreurs du modernisme
Cependant, avec tout le respect que je dois aux post-modernistes, ils ont soulevé un excellent point ! Alors que nous baignions tous dans la certitude ensoleillée de la certitude moderniste, nous étions, en vérité, coupables d’un certain réalisme naïf, comme les post-modernistes nous l’ont reproché.
Pourquoi cela serait-il surprenant ? Après tout, lorsque René Descartes a créé l’ère moderne, peut-être pour échapper à la même mort que Galilée, il a divisé la « réalité » en deux royaumes : la res cogitans, notre royaume intérieur de la pensée, et la res extensa, notre royaume extérieur de l’extension. L’Église a été chargée de dominer le premier, et la science, le second.
Étant donné la folie (en anglais la « lunacy », de la racine signifiant « lune ») qui consiste à diviser une réalité en camps distincts, ce n’était qu’une question de temps pour que la théologie de l’Église gagne en rationalité et pour que la science pénètre dans la psychologie, et maintenant dans la spiritualité, retournant la modernité et la condensant au-delà d’elle-même. La formulation originale de la modernité comportait sa propre impulsion à l’autolimitation. Nous étions toujours en train de nous précipiter vers un réajustement radical. Il a fallu un Holocauste et un Hiroshima, l’Ouest et l’Est, mais cela dépasse le cadre de cet article.
Le post-modernisme n’est pas né de rien, ce n’est pas un caprice philosophique. Il s’agit d’une correction extrême d’une perversion extrême et moderniste de l’unité de la réalité. Issu d’une force intellectuelle largement française – Foucault, Derrida, Baudrillard, Lyotard, etc. – l’artificialité et l’incertitude des certitudes modernistes ont été joliment démontrées. Comme toutes les « hérésies », elles sont apparues pour révéler ce que la doctrine dominante est trop aveugle pour voir sur elle-même, ou a peur de voir, en raison des conséquences pour ses structures de pouvoir.
Le post-modernisme contient son propre poison
Cependant, ce n’est pas par hasard que le post-modernisme, puisant ses racines dans Nietzsche, Heidegger et les critiques plus personnalisées et introspectives de Kierkegaard à l’égard de l’idéalisme et de l’autorité chrétienne, porte en lui un danger potentiel : un néopaganisme (pour utiliser le terme traditionnel de « païen », bien que je l’abhorre). La dissolution de la clarté de la morale dans une soupe de relativisme. De nouveaux « dieux » créés par l’homme, une multiplicité d’opinions humaines, rivalisant pour se détruire les unes les autres, asservissant l’esprit de leurs adeptes, créant une secte contemporaine idolâtre, alimentées par des médias qui confondent éditorialisme et faits documentés, popularisées par le biais de l’internet.
Nous voyons aujourd’hui le résultat des poisons post-modernes : Relativisme moral extrême. La perte de catégories intellectuelles stables. Le déni à bon marché de l’opposition binaire, y compris le déni de la biologie sexuelle. Des identités déterminées par soi-même établies comme des droits supérieurs. L’instabilité et la négation du sens universel. La résurgence et l’intensification de la théorie critique. La démocratie se dégrade en “opinionocratie”, sans orientation fondée sur la Vérité. Le post-modernisme est-il devenu lui aussi naïvement réaliste ?
Pour contrebalancer la menace néopaïenne, nous assistons à la montée d’un néo-biblicisme extrême : un rejet radical et provocateur de la science, une affirmation volontaire et autoritaire de catégories scripturales prétendument « bibliques » ou d’autres religions, souvent accompagnée d’élitisme religieux et d’intolérance à l’égard des divergences, d’une utilisation abusive du capitalisme pour créer une nouvelle classe monétisée et un nouvel ordre gouvernemental, avec la répression d’autres points de vue.
Vivre sur la face cachée de la lune
Permettez-moi de dire franchement que je vis sur la face cachée de la lune. Il y a peu de lumière. Des deux points de vue, le modernisme est corrigeable, extensible, et reste, et est, absolument essentiel. Le post-modernisme doit être apprécié, compris, qualifié et apporter sa texture, sa sagesse, pour renforcer le modernisme. Le post-modernisme doit mourir et, après la mort, être résorbé comme des nutriments, l’hérésie nourrissant son propre objet de protestation.
Quittons la vie sur la face cachée de la lune et tournons-nous vers sa face éclairée. Dans la post-mort de la post-modernité, nous, leaders spirituels, avons beaucoup de travail à accomplir.
La vérité est que l’autorité morale-légale gouvernementale et l’autorité des individus conscients par rapport à eux-mêmes ne se sont jamais correctement intégrées ; la religion a souvent aggravé la situation. Il y a toujours eu une tension inquiétante entre le contrôle du groupe et l’affirmation individuelle, entre l’excès d’autorité gouvernementale et la rébellion pure et simple, qu’elle soit religieuse ou séculière. Le modernisme à grande échelle, toujours aussi sûr de ses généralités morales et juridiques, est contraint de s’ouvrir et de s’adapter à d’innombrables « relativismes », divergences et différences, au niveau de l’individu. La démocratie n’est pas arrêtable. Elle est audacieuse. Intrépide. Elle est terrifiante. Où sont nos règles ? Nos lignes ? Ou les normes du bien et du mal ?
Par ailleurs, si le modernisme a connu un succès extraordinaire dans la création de libertés matérielles, il lui a manqué une composante que je qualifierais de bio-ontologique. L’ère moderne s’est en quelque sorte perdue dans sa tête, sans corps. Son développement à partir d’une philosophie religieuse abstraite a été dissocié d’une intégration convaincante, consciente, basée sur l’expérience, d’une vie saine dans le corps, y compris une compréhension mûre de la sexualité ; cette connaissance manque également pour notre corps étendu, terrestre, un sujet que nous appelons aujourd’hui l’écologie. Il faut mettre notre tête moderne sur un corps moderne pour reconstituer la pierre angulaire de toute l’histoire de l’humanité : les mariages, avec une reproduction délibérée et, espérons-le, éclairée, en harmonie avec l’ordre de la nature sur terre, les lois de Dieu, si vous me permettez l’expression.
La sauvage tendance romaine reprise dans la civilisation occidentale – la conquête brutale du soi-disant « païen », la domination, brute et sans restriction, de la nature terrestre, l’assujettissement des peuples indigènes, y compris des Juifs (inséparables et insistant sur notre terre sacrée) avec son culte vir[1], excessivement violent et masculiniste – a atteint un point culminant hideux : des pandémies massives et la menace d’une dévastation écologique mondiale. Mère Nature souillée par le bélier romain sous le couvert d’un « modernisme » éclairé.
L’avènement du trans-moderne
Dans l’après-mort du post-modernisme, un nouveau type de modernisme doit se développer pour éliminer les contaminants dualistes que nous avons hérités des Lumières européennes. Et nous n’avons pas besoin d’en ajouter de nouveaux : localité contre non-localité ; probabilité contre observation.
Je suis un juif réformé. J’ai été vassalisé par la première étape de la civilisation occidentale, la chrétienté. J’ai été libéré pour devenir citoyen au cours de la deuxième phase moderne de la civilisation occidentale. J’espère que tout le monde, y compris mon peuple et d’autres peuples, pourra être libéré au cours de la troisième phase de la civilisation occidentale.
J’annonce la naissance de l’Ère trans-moderne. Le trans-modernisme, si vous voulez.
L’Ère trans-moderne cherche à aligner l’esprit, le corps et l’âme, personnellement et historiquement, de manière autochtone et universelle, les deux, inséparablement, à un niveau personnel, planétaire, naturel et historique. La religion d’antan pourrait appeler cet alignement un pacte. Nous avons besoin d’une alliance pour une ère laïque, scientifique et spirituelle.
L’Ère Trans-moderne doit fournir une nouvelle voix de moralité et de légalité correctes, sur une base solide, fondée sur la Vérité, sans superstition religieuse, sans préjugé, sans technique de vente, sans parti pris scientifique et sans aveuglement, en rupture avec le tissu bio-ontologique de la santé sociale, psychologique et physique de l’homme, qui sont aussi des phénomènes quantiques.
Cependant, le trans-moderne doit également faire preuve d’un respect et d’un encouragement absolus pour le pouvoir et la noblesse des religions traditionnelles qui, imparfaites ou non, ont alimenté la plupart des bienfaits que nous avons obtenus jusqu’à présent. Après tout, la science et la rationalité séculière ont engendré leur lot de péchés rivalisant avec ceux des religions primitives du passé, que l’ère moderne était censée corriger. La religion trans-moderne doit entrer dans le courant dominant et réparer les religions dominantes, en rééquilibrant le paysage religieux pour le débarrasser des excès dangereux et sources de division, notamment la dilution aveugle et le sentimentalisme qui se substituent à la substance.
L’Ère trans-moderne doit catégoriquement refuser les guerres d’esprit cruelles et inutiles qui, trop souvent, se transforment en guerres vicieuses et potentiellement nucléaires. Cela inclut la guerre stupide entre le soi-disant “capitalisme” et le soi-disant “socialisme”, qui sont tous deux défectueux et elle doit rechercher une plus grande synthèse, qui encourage à la fois la justice sociale et la créativité individuelle, sans insouciance individuelle excessive ni surcharge gouvernementale excessive.
Le trans-moderne, l’observation et la santé mentale
Nous avons tous besoin de grandir au-delà d’un désordre obsessionnel-compulsif et idéationnel fixe. Nous devons devenir mentalement sains.
Et, bien sûr, l’Ère trans-moderne doit rechercher une interprétation plus raffinée des étonnantes découvertes de la mécanique quantique, qui, avec un léger virage interprétatif dans le mauvais sens, pourrait passer du néopaïen au proto-fasciste.
En voici une : Nous sommes, tous ensemble, et avec le potentiel vivant de la créativité divine, la nature la plus élevée – toujours actuelle – qui façonne la façon dont notre monde nous apparaît. Nous avons été façonnés (évolués) pour l’observer d’une certaine manière, afin de pouvoir agir sur lui d’une certaine manière : En bien. Pour le mal. Pour tout et pour tous, partout. C’est parce que nous sommes tous faits à l’image et à la ressemblance de Dieu. (Gen. 1:27) En effet, un monde trans-moderne est très, très enchevêtré. C’est peut-être le résultat d’un Fiat[2] singulier qui s’est produit au commencement … . (Gen. 1:1)
Alors oui, je pense que la lune existe, même si nous ne l’observons pas. Et j’ose affirmer que ma capacité d’observation existe, même avant que je ne m’observe en train d’observer, parce que le fondement de l’observation est quelque chose de conscient qui me dépasse (mais qui m’inclut).
Une théorie intéressante. Comment pouvons-nous la tester ?
[1] “Vir”, le culte romain païen de la masculinité
[2] Le mot “fiat” vient du latin, pour désigner un “fait” et un “ordre”, la racine de faire/avoir en français. Un Fiat divin, ou une parole/un acte, est à l’origine de la Création, comme dans la Genèse.