Les sectes des protestants
Comme l’écrit l’historien des religions Jean-Pierre Chantin, « Le mot “secte” a définitivement pris dans le monde catholique son sens péjoratif, au moment même où apparaît la contestation protestante : il équivaut désormais à celui d’“hérésie”. » Les protestants ont donc fait très tôt les frais de l’appellation « sectaire ».
Dès le 16e siècle une ordonnance lue devant Charles Quint évoquait le « reboutement de la secte luthérienne et autres sectes réprouvées […] pour remédier et pourvoir aux abus et erreurs [de] Martin Luther et autres auteurs hérétiques et leurs disciples sectateurs… ». A l’époque, cette accusation de « sectaires » ou « sectateurs » a valu aux protestants nombre de morts violentes parmi leur rangs.
Plus tard, en 1858, le prélat catholique antiprotestant Louis-Gaston de Ségur écrivait :
Dans le passé, le protestantisme regarde comme ses pères les gnostiques, les ariens, les manichéens, les nestoriens, les iconoclastes, les albigeois, les hussites et tous les hérétiques les plus scandaleux. De même qu’un cadavre produit des vers, ainsi ce cadavre de religion, continuant des traditions si peu glorieuses, n’a cessé de produire jusqu’à nos jours des centaines et des milliers de sectes qui pullulent dans son sein. (Louis-Gaston de Ségur, Causeries familières sur le protestantisme d’aujourd’hui)
Description sympathique s’il en fut, elle n’est qu’une sur des centaines du même acabit. Si cela semble ancien, les 20e et 21e siècles n’ont pas pour autant vu les accusations sectaires à l’attention du protestantisme disparaitre.
Nous l’avons vu dans la partie 1, selon les services secrets grecs, en 1993 les protestants faisaient partie du top 2, avec les catholiques, des sectes dangereuses présentes en terre hellénique. Nous avons vu aussi comment l’Armée du Salut, mouvement protestant fondé par un méthodiste à la fin du 19e siècle, avait commencé son existence en Suisse et en France comme une « secte » abominable.
Cependant, le protestantisme est composé d’une myriade de courants. Pentecôtistes, méthodistes, baptistes, presbytériens, anglicans, adventistes, anabaptistes, unitariens, luthériens, calvinistes, etc. Et nombre de ces courants sont encore aujourd’hui catégorisés dans certaines parties du monde comme des sectes, au sens péjoratif du terme. En France, La Miviludes dans son rapport annuel cible toujours les groupes évangéliques. Dans la fameuse liste des sectes de 1995 publiée dans le rapport Gest / Guyard, deux parlementaires français, de nombreux groupes protestants figuraient, la plupart d’entre eux n’ayant jamais eu aucun démêlé avec la justice, mais souvent en butte à l’hostilité d’une religion ou d’un courant de pensée dominant.
Dans la Russie poutinienne d’aujourd’hui, on ne compte plus les groupes protestants, souvent pentecôtistes, interdits parce que « sectes », et dont les membres sont jetés en prison parce que membres d’une « secte ». On leur reproche « d’hypnotiser » leur fidèles à l’aide de « techniques psychologiques illégales ». En vérité, c’est souvent leur origine américaine qui pousse le FSB (services secrets russes, descendants directs du KGB soviétique) à rapidement les catégoriser comme « sectes dangereuses » et à les faire déclarer « extrémistes », comme ils le font avec toute la dissidence et les organisations de droits de l’homme dans le pays. Mais c’est aussi sous la pression de l’Église Orthodoxe Russe, qui n’aime pas la compétition, que les groupes religieux deviennent des « sectes » en Russie.
Dans la Chine de Xi Jinping, les choses sont simples. Soit vous faites partie d’une église membre du Parti Communiste Chinois, c’est-à-dire du Mouvement Patriotique des Trois Autonomies (regroupement des églises protestantes autorisées par le Parti), et vous êtes relativement protégé (relativement, parce qu’au moindre dérapage, vous risquez gros), soit vous faites partie d’une secte, une « église de maison », ou pire, d’un Xie Jiao (littéralement « enseignement hétérodoxe », mais toujours traduit par « secte » ou « secte diabolique »), et vous verrez vos lieux de culte démolis, vos leaders religieux emprisonnés (et parfois tués), et vous-mêmes être obligé de vous cacher si vous voulez éviter le même sort. Pourtant, il y a plus de 60 millions de protestants en Chine.
En Iran, en 2021, trois chrétiens membres de l’Église d’Iran, une dénomination pentecôtiste protestante, ont été condamnés à cinq années de prison pour « activités sectaires » : on leur reprochait de s’être « engagés dans de la propagande contre le régime islamique ».
Bref, il en coûte aux protestants d’être des « sectes ».
Les musulmans Ahmadiyya
Ce mouvement musulman compte des millions de fidèles à travers le monde. Il est né au Penjab à la fin du 19e siècle, fondé par Mirza Ghulam Ahmad, un religieux qui se présenta comme un prophète de l’islam et fut accepté comme tel par ses disciples. La devise des Ahmadis est « Amour pour tous, haine pour personne ». Mais malheureusement pour eux, les enseignements du fondateur diffèrent en plusieurs points de ceux des musulmans orthodoxes, qu’ils soient issus du sunnisme ou du chiisme.
Du coup, rapidement on les appela la « secte qadiyani », une appellation bien entendu péjorative crée à partir du nom du village où Mirza Ghulam Ahmad naquit : Qadiyan. Plus de la moitié des Ahmadis vivent au Pakistan. Si la constitution d’origine du Pakistan reconnaissait une parfaite égalité de traitement pour toutes les religions, y compris l’ahmadisme, en 1974 tout changea.
Sous la pression des plus extrémistes des mollahs pakistanais, la constitution du pays fut changée, les Ahmadiyya déclarés secte hérétique et surtout « non musulmans ». Depuis, il n’est pas de semaines sans que des membres de la communauté ahmadi ne soient molestés ou tués au Pakistan. Oui, il ne fait pas bon être une secte. La persécution s’est étendue à d’autres pays, comme l’Arabie Saoudite, ou d’ailleurs les musulmans ahmadis n’ont pas le droit de se rendre pour le pèlerinage à la Mecque, ou encore en Algérie, où les ahmadis ont été qualifiés de « secte » par les autorités et rien qu’en 2017, 283 membres de la communauté Ahmadiyya ont été condamnés à des peines de prison allant de trois mois avec sursis à 4 ans fermes, pour mettre en péril la sécurité du pays par leurs enseignements hérétiques. Le ministre algérien des Affaires religieuses s’était réjoui en ses termes :
La question de la secte Ahmadiyya fait désormais partie du passé, grâce à l’action qualitative des services de sécurité, ayant permis d’être informés des extensions de cette secte, de ses sources de financement et des parties qui l’actionnent. Toutes les parties en cause ont été contactées par les services de sécurité algériens, qui ont réussi à faire échouer un complot visant à diviser les Algériens sur le plan confessionnel.[1]
CQFD. Il faut dire que l’ahmadisme a été déclaré « secte non liée à l’islam » en 1973 par l’Organisation de la coopération islamique (OCI)…
Certains sites français musulmans en ligne regorgent de l’accusation sectaire à l’encontre du mouvement. Sur le site Islamqa.info, à une question concernant l’amour d’un musulman envers une fille membre de la communauté Ahmadiyya, la réponse est la suivante :
Il a déjà été indiqué dans la réponse donnée à la question n° 4060 la mécréance de la secte dite Ahmadiyya ou quadiyaniyya formée par les adeptes de Mirza Ghoulam Ahmad. Vous trouverez dans la réponse l’explication de leurs croyances et les avis des ulémas à leur égard. Cela étant, il n’est pas permis à un musulman ni d’épouser une membre de la secte ni de donner épouse à un membre de la secte car ils se sont apostasiés.
Sur abiladi.com, on trouve une « mise en garde contre LA SECTE AHMADIYYA » :
Cette secte est un groupe égaré et mécréant, Cheikh Al-Albani parle de leur Kufr (« mécréance », ndt) dans son commentaire de ‘Aquida Tahawiya. Cette secte est également présente ici en France dans le 95 vers Sarcelles.
Parce que oui, l’étiquetage « sectaire » s’exporte. En Bulgarie, c’est-à-dire au sein de l’Union Européenne, une association Ahmadiyya s’était créée en 2007. Fut alors introduite auprès du tribunal de la ville de Sofia une demande d’enregistrement de la nouvelle association religieuse selon la loi sur les cultes. Le grand mufti de Bulgarie exposait alors auprès de la Direction des cultes que les ahmadis n’étaient pas des adeptes du Coran et que leur mouvement constituait une « secte ». La Direction des cultes approuvait le grand mufti et le tribunal de la ville de Sofia rejeta la demande d’enregistrement, en notant que les ahmadis étaient « considérés comme une secte ». Appel et cassation menèrent au même résultat, un refus d’enregistrement, et il fallut que les requérants saisissent la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui dix ans plus tard, en 2017, condamna la Bulgarie pour violation de l’article 9 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, sur la liberté de religion et de conviction[2].
Encore une fois, il ne fait pas bon être une secte.
Suite et fin dans la partie 3…
[1] Déclaration de Mohamed Aïssa, ministre des Affaires étrangères du gouvernement algérien, le 29 avril 2017. Cité par Algérie Patriotique
[2] Arrêt Metodiev et autres c. Bulgarie (no 58088/08), 15 juin 2017, Cour Européenne des Droits de l’Homme