Le succès incroyable de Creedence Clearwater Revival à la fin des années 60 / début des années 70 compte parmi les avènements les plus improbables du rock ‘n’ roll : le mauvais groupe, jouant la mauvaise musique, au mauvais endroit et au mauvais moment. Mais c’est justement ce “non-alignement des planètes” qui fera toute leur force et leur originalité.
Le mauvais groupe : le look et l’attitude scénique du groupe sont totalement en rupture avec ce qui se faisait en cette époque où le rock hippie se répandait partout. Ils donnaient l’impression d’être un groupe qui aurait pu jouer dans des clubs du Sud profond des Etats-Unis.
La mauvaise musique : le rock joué par le groupe est puissant, carré et sans délire psychédélique aucun. Ses influences sont justement dans ce Sud profond.
Le mauvais endroit : les membres sont californiens mais n’ont aucune accointance avec les musiciens de la côte ouest de l’époque.
Le mauvais moment : en cette fin des années 60, en cet endroit, personne ne jouait comme ça.
Les différentes personnalités du groupe Creedence Clearwarter Revival
Quand on regarde les interviews des musiciens, on a l’impression d’avoir à faire à des gens simples, pleins de bon sens, drôles et biens dans leur tête. Parvenus au faîte de leur gloire, l’impression donnée reste la même. Rien de cette affectation pourtant si commune chez les rock stars.
Même John Fogerty, qui est pourtant l’auteur compositeur interprète et principal guitariste de la formation, ne semble pas faire toute une histoire de son statut de leader de fait. Il gardera cette humilité pendant toute sa carrière.
Tom Fogerty, grand frère du précédent et guitariste rythmique, Stu Cook, le bassiste et Doug Clifford, le batteur dégagent une légèreté d’esprit, un bon sens et un humour simple fort peu en accord avec ce qui se faisait chez les stars de l’époque.
Des débuts difficiles et longs
Dès le départ, CCR se révèle être un groupe de bosseurs dont l’une des qualités essentielles est l’obstination. Qu’on en juge plutôt : entre leur formation en 1958 et leur premier album en 1968, il s’écoulera dix ans de galères, de faux départs et d’insuccès où les membres du groupe devront continuer à avoir un travail à plein temps pour survivre, leurs petites prestations ou leurs contrats discographiques sans lendemains ne leur rapportant pratiquement rien. On appelle ça pudiquement être “semi professionnel”.
Ça ne les empêchera pas de répéter abondamment pendant leur temps libre et d’apprendre patiemment le métier de la scène. Ce qui s’appelle “en vouloir vraiment”.
L’album Creedence Clearwater Revival
Enfin, en 1968, ils enregistrent leur premier album. Toute cette bonne volonté accumulée va leur donner une niaque suffisante pour faire très fort. Le public découvrira ce style propre à CCR, le bayou rock, un mélange de country et de blues de la Nouvelle- Orléans. Gros succès, enfin !
Tout d’abord une version très originale de I Put A Spell On You de Screamin’ Jay Hawkins où la voix de John Fogerty donne toute sa mesure :
Susie Q mets en valeur la rythmique hypnotique propre à CCR :
Creedence Clearwater Revival prend dès le début une direction hors normes. Plutôt que de recouvrir leurs morceaux d’arrangements séduisants mais qui ne pourront être reproduits sur scène, le groupe enregistre ses morceaux sous une forme et avec un arrangement et un son qui seront rejoués tels quels en concert. Ça deviendra particulièrement bluffant à la fin de leur carrière (concert du Royal Albert Hall à Londres en 1970) où on aura l’ambiance et l’énergie du concert avec la qualité d’exécution du studio.
L’album Bayou Country
Pour enfoncer encore plus le clou de cet esprit “bayou”, l’album suivant comprendra l’immortel Born On The Bayou où l’effet de trémolo sur les guitares donne vraiment une ambiance moite :
Mais le grand morceau de bravoure viendra de Proud Mary qui, à lui seul, permets de saisir l’esprit CCR. Bien qu’étant des californiens, les membres du groupe ont leurs racines dans le Sud profond et rural, même s’ils n’y sont jamais allés.
John Fogerty : « J’ai rêvé toute ma vie de vivre dans le Sud, tous les grands artistes de cette musique sont venus de Memphis ou de Louisiane, des rives du Mississippi, en tout cas. Des chanteurs comme Muddy Waters ou Howlin’ Wolf m’ont fait sentir combien il était bon de vivre là-bas, au bord du fleuve. »
Un extrait significatif des paroles : si tu descends la rivière, je parie que tu y trouveras des gens qui vivent là. Tu n’as pas à t’inquiéter parce que tu n’as pas d’argent, les gens de la rivière sont heureux de donner.”
Et c’est tout cet esprit propre au Mississippi que la chanson véhicule :
L’album Green River
Creedence Clearwater Revival n’avait vraiment rien à voir avec le reste de la scène de San Francisco à l’époque. Sortis d’une soirée au célèbre club Fillmore où ils ont été écoeurés par tous ces groupes complètement stoned, jouant faux et délivrant des solos de 45 minutes, le groupe a pris une résolution sur le pas de la porte : ne jamais tomber dans cette auto complaisance avec les drogues et l’alcool. Faire une musique qui va droit au but. C’était vraiment un groupe à part : moins “cool” pour l’époque, tu meurs. Plus futé, tu meurs aussi.
Conscient du risque de sonner répétitif (la construction est très similaire d’un morceau à l’autre), John Fogerty rajoute habituellement un court phrasé en solo sur la fin des phrases chantées, à la 16ème mesure. Ça aussi c’est très futé, tout en permettant de garder leurs morceaux complètement exécutables sur scène.
John Fogerty persiste et signe dans l’esprit bucolique avec le titre éponyme. “Tu vas découvrir que le monde se couvre mais, si tu te sens perdu, rentres chez toi à la Green River”. Toujours ce concept de la rivière salvatrice :
Bad Moon Rising :
En août 1969, CCR participe au prestigieux festival de Woodstock. Ils sont même un des premiers groupes à être programmés, ce qui aidera grandement à en programmer d’autres. Un peu décalés devant ce public qui n’est pas le leur et leur passage retardé à trois heures du matin, devant des gens endormis, à cause de problèmes techniques, la prestation du groupe ne rencontre pas l’enthousiasme. Soudain, John Fogerty voit une personne qui danse, dans le lointain, alors il va se motiver pour jouer pour lui pendant tout le concert.
Malgré tout, le set n’est pas brillant et CCR refusera d’apparaitre dans l’album et le film du festival. Quand on pense au succès qu’a apporté à certains artistes peu connus de faire partie de l’album et du film, on reste pantois devant l’intégrité artistique de Creedence Clearwater Revival.
La prochaine fois : l’album parfait.