Je me souviens que je ne faisais rien d’important mais je voulais comme toujours faire vite.
Je me dépêchais d’accrocher le linge sorti de la machine à laver pour profiter au maximum du beau temps, en lézardant à la plage.
Voilà bien des préoccupations futiles.
Que c’est doux d’en avoir !
Je me souviens d’avoir été contrariée par la sonnerie du téléphone.
Qui pouvait me retarder dans mon vaste projet et pourquoi ? J’étais en vacances, je voulais me sentir libre et gérer à ma guise mon oisiveté. Qui osait s’immiscer dans mon cocon douillet ?
C’est donc à contre cœur que j’ai décroché.
Je n’ai pas reconnu la voix.
Normal, elle m’était totalement étrangère.
Cette voix s’est donc présentée. C’était la femme que je n’avais jamais vue et que je n’avais jamais entendue, même si nous aurions dû être proches, si bien sûr, les choses avaient été différentes, plus simples, plus vraies. Pourquoi ne pas l’avoir rencontrée ? Peut-être parce que personne ne m’a proposé cette rencontre ? Toujours rejeté la faute sur l’autre, comme c’est facile et puéril. Je n’ai plus l’âge. Il me faut regarder la vérité en face. Peut-être tout simplement que mon indifférence est immense ? Peut-être que je voulais être seule à siéger sur je ne sais quel trône dans mon imaginaire et que je ne voulais pas de concurrence ? Je voulais être la reine, de la sottise sans doute, de la fierté assurément. Peut-être que j’étais trop préoccupée par ma carrière que je voulais brillante et qui s’avère aujourd’hui éteinte. Peut-être que je suis méchante ? Egocentrique ? quels mots horribles ! Mais, sans doute un peu tout cela, tout de même.
Avant que je ne réalise et me pose toutes ces questions, elle m’a dit qu’elle avait une terrible nouvelle et qu’il était mort.
Nous n’étions pas très proches, nous n’habitions même pas le même pays. Mais, nous étions du même sang et j’ai toujours su qu’il était là, dans mon monde. Loin parfois, souvent même, mais là quand même.
Nous avions renoué des liens profonds et sincères récemment.
Maintenant qu’il n’est plus dans mon monde, moi aussi je ne peux plus y vivre, je change de prisme, de manière de penser et donc de monde aussi.
Sur le coup, je n’ai pu que hurler et poser la question à l’univers entier : Qu’est-ce que je peux faire, qu’est-ce que je peux faire ?
La vraie question aurait d’ailleurs dû être « qu’est-ce que j’aurais pu faire ? » car maintenant justement, il n’y a plus rien à dire et plus rien à faire …
Sauf rentrer à Paris et s’occuper de la cérémonie et puis faire son deuil, comme on dit.
On dit beaucoup de choses d’ailleurs sur le deuil.
On dit que le temps estompe les douleurs et que la vie reprend.
Oui, c’est vrai, elle reprend. Mais tout est différent. On doit vivre dans un monde changé pour toujours.
Comme dit Victor Hugo, « les habits de deuil ont beau s’user et blanchir, le cœur reste noir.
Ce n’est pas juste l’absence qui creuse à jamais un sillon dans le cœur. Ce n’est pas juste un stress immense qui rend pour toujours malade et qui oblige chaque jour à prendre des médicaments qui vous tordent l’estomac pour vous faire peut-être oublier un départ.
Merci à cette douloureuse thérapie qui ne soigne pas tout mais fait utilement diversion.
C’est aussi toutes ces questions qui resteront pour toujours sans réponse. Tous ces regrets, presque des remords, tous ces pourquoi. Je me pose des questions qui me torturent en pure perte.
Il ne s’agit pas seulement de savoir où il est… s’il a retrouvé ceux qu’ils aimaient, s’il me voit, si…
Pas seulement de savoir pourquoi il est parti si vite, si jeune… Pourquoi maintenant alors qu’il avait de si nombreux projets et que nous avions tissé des liens nouveaux plein de promesses ?
Mais également de savoir pourquoi, moi, j’ai agi ou pas vis à vis de lui de cette façon. Pourquoi justement avoir coupé les ponts ? Pourquoi nous ne nous nous sommes pas parlés ? Que pensait-il au fond ?
Je me repasse sans fin le film de nos vies. J’essaie mais je n’ai pas toutes les scènes. Il me manque même des actes entiers. Trous noirs, alors je brode, j’invente, j’enjolive sûrement. Si j’avais fait ceci, ou cela … et si et si …. Toutes ces hypothèses tiennent la route mais elles sont vaines et ne génèrent qu’amertume. Alors, à quoi bon ?
En effet, les réponses que je me donne ne font que me culpabiliser d’avantage, comme si mon comportement, mon attitude avaient accéléré son départ. Là encore je me rends compte que je ne vois que moi, je ne pense qu’à moi. C’est me faire trop d’honneur que de penser que j’aurais pu influer à ce point le cours de sa vie. Encore mon égocentricité qui ressurgit !
De toutes façons, comme je ne peux pas revenir en arrière et modifier les choses, je dois maintenant agir différemment, opérer ma transmutation.
Peut-être que son départ me fera devenir quelqu’un de meilleur au moins en ne reproduisant pas les postures, pour ne pas parler d’impostures, que j’utilisais avec lui ? Comme une alchimiste, sans me changer en or pourtant, peut être pourrais-je me changer en personne plus recommandable ? Et donc peut-être malgré sa disparition, je peux encore rêver d’être moi (car on ne peut pas changer tout à fait) mais en mieux. Je peux encore rêver, espérer… Et donc vivre à nouveau, mais autrement.
Ce monde nouveau dans lequel je me dois désormais d’évoluer est un monde où les liens avec les autres doivent être plus étroits, plus authentiques et plus attentionnés.
Vaste programme que de tenter de devenir quelqu’un de bien !
C’est un univers nouveau, pas totalement étranger quand même (il ne faut jamais être trop sévère avec soi-même) mais très différent tout de même et si vaste qu’il me faudra bien toute ma vie pour l’explorer.
Je ferai mienne la pensée de Romain Gary « je vois la vie comme une grande course de relais où chacun de nous avant de tomber doit porter plus loin le défi d’être un Homme ».