(Pour lire la première partie, c’est ici)
Les morceaux
Tout ceci nous donne 13 morceaux et environ 1 heure 30 de concert. TOUS les morceaux présentent un intérêt majeur, pour une raison ou pour une autre, et il n’est pas facile de déterminer les points culminants de ce concert. Toutefois, il n’est pas interdit d’essayer, mais c’est très subjectif.
Heroin est une longue pièce musicale, quasi orchestrale par moments, où Lou Reed décrit sa fascination pour la drogue du même nom. Quelques vers sont passés à la postérité : “j’aimerais être né il y a un million d’années et avoir navigué sur les mers les plus obscures”, “fuir très loin de la grande ville où un homme ne peut être libre” et bien d’autres. La chanson baigne dans une morbidité lucide mais auto destructrice. Tout ceci est très “beaudelairien”. Les Fleurs Du Mal faites Rock ‘n’ Roll. Tous les musiciens, même le claviériste, ajoutent à tour de rôle une pièce maitresse et on revient ensuite à chaque fois à cette merveilleuse guitare subtile de Steve Hunter qui tresse ses notes avec un son de phasing, effet nouveau à l’époque, rejoint par Dick Wagner à partir du deuxième couplet qui exécute avec le même genre de son un contrepoint sur la première guitare. Le final est emporté très haut par un solo hallucinant de Steve Hunter
Pour ce morceau, les deux guitaristes vont créer ce qui deviendra une des plus belles contributions à la guitare solo dans les années 70 : le système de deux guitares solos en harmonie. Sur une idée de Dick Wagner, ils jouent en même temps un thème, à l’unisson, puis Dick Wagner fait une mélodie complémentaire sur le thème d’origine, Steve Hunter complémente le thème qui vient d’être fait puis les deux partent chacun sur des mélodies différentes pour finir. Tout ceci demande une grande créativité, un goût très sûr et repose sur la technique classique du contrepoint chère à Jean Sébastien Bach : une superposition organisée de lignes mélodiques distinctes. L’effet est bluffant et est utilisé à plusieurs reprises dans le morceau. Du grand art !
Pour en rajouter dans ce registre “classique”, Ray Colcord nous gratifie sur un pont d’un passage très “grandes orgues” digne de Bach. Pour toutes ces raisons et innovations, cette version d’Heroin est un vrai régal pour les oreilles et le coeur, de bout en bout.
Rock ‘n’ Roll, comme son nom l’indique, est un hommage à la musique du même nom. C’est une suite d’anecdotes de l’existence d’une certaine Jenny dont “la vie a été sauvée par le Rock ‘n’ Roll”. Lou Reed dira en 1995 : “Rock ‘n’ Roll parle de moi. Si je n’avais jamais entendu cette musique à la radio, j’aurais eu du mal à croire que la vie existait vraiment sur cette planète. J’aurais pensé que tout était semblable à l’endroit d’où je venais”. Le morceau, comme tous les autres, est porté à un très haut niveau par les musiciens, mais son final est particulièrement délicieux. Une fausse fin laisse seul le guitariste Dick Wagner qui tricote et enrichit progressivement un thème avec un son de phasing, bientôt rejoint par le bassiste qui s’approche graduellement et talentueusement d’une apothéose finalement apportée par le batteur. Et, bien sûr, un solo monumental de Steve Hunter pour finir.
I’m Waiting For The Man : une autre chanson sur la drogue, sujet fétiche de Lou Reed, mais ici abordé sous l’angle de “l’approvisionnement”. Elle raconte l’histoire sordide et quotidienne d’un junkie qui parcours la ville pour trouver à acheter sa dose, The Man étant le dealer. Elle décrit sans concessions les mille et une petites choses affligeantes dont est peuplée la vie médiocre du drogué… Plutôt dissuasif ! Le groupe porte très haut le morceau par de multiples breaks, changements de rythme et interventions individuelles inspirées.
Satellite Of Love : une curieuse métaphore entre l’amertume d’un homme face à l’infidélité chronique de sa petite amie et un satellite envoyé dans l’espace.
Walk On The Wild Side : un véritable festival sur le New York interlope que Lou Reed connait bien. Les personnages cités existent tous. On ne peut être que confondu par le fait que ce morceau ait eu un tel succès, compte tenu de ses paroles salaces et crues, déclamées sous une forme à peine codée. La vérité est que les programmateurs de la BBC n’avaient aucune idée de ce que voulait vraiment dire “she was given head”.
A un journaliste qui lui faisait remarquer que ses chansons regorgeaient de situations horribles et d’individus profondément malheureux et décadents, Lou Reed répliqua d’une manière cinglante : ” So what ? (Et alors ?) Vous croyez peut-être que vous vivez dans un monde de douceur et d’esthétique ? Wake up ! Wake up ! (Réveillez-vous !)
Sad Song : encore une chanson sur l’amour déçu. Le narrateur, tout en étant forcé de constater que l’objet de ses désirs se moque de lui, ne peut s’empêcher de l’admirer et de lui attribuer une prestance royale. Sur chaque pont, les deux guitaristes emploient à nouveau le système des deux guitares solos en harmonie qui leur a si bien réussi dans Heroin. Les choeurs sont angéliques. Bluffant à nouveau !
Postérité
Jamais la poésie de Lou Reed n’a été mieux servie par la musique qui l’accompagne. Ses interventions vocales sont d’un goût et d’une intuition très sûrs. On serait en droit de considérer ce concert comme le sommet de son oeuvre. En tout cas, c’est bien le meilleur live du Glam Rock.
Ces deux albums live feront partie de la discothèque de tout fan de Rock dans les années 70. Ceux-ci passeront leurs soirées à détailler la dextérité et la qualité des interventions de chaque musicien.
Epilogue
Curieusement, et malgré l’apport gigantesque que ce groupe a donné à sa musique, le courant ne passera jamais sur un plan humain entre Lou Reed et les musiciens. Ils provenaient de milieux culturels très différents, étaient très différents et ne se sont jamais vraiment entendu sur un plan affectif. L’expérience s’arrêtera là. Dommage !
Le groupe ira ensuite collaborer pendant plusieurs années avec Alice Cooper qui, lui, les appréciera vraiment. A tel point qu’il produira ensuite un documentaire apologétique sur Steve Hunter et Dick Wagner, nommé fort justement Rock ‘n’ Roll Animals :