Mon téléphone vibre, numéro inconnu…
– Oui allo ?
– Allo, bonjour, Monsieur Denis Bomfilho ?
– Oui, c’est moi. Vous êtes ?
– Je suis Damien, votre agent de la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône, agence Lyon 7ème. Je ne vous dérange pas ?
– Non non, je vous en prie… Que se passe-t-il ?
– Voilà, je vous appelle car vous avez déjeuné avec votre collègue Clémence Lepère, il y a deux jours, le mercredi 2 décembre. Vous me le confirmez ?
– Heu… Oui, c’est exact. Madame Lepère n’est pas vraiment ma collègue, c’est une consultante en formation avec qui j’ai effectivement passé la matinée, avant d’aller déjeuner avec elle et le reste des participants, et…
– Parfait. Je vous appelle pour vous informer que Madame Lepère a été testée positive à la Covid 19, et qu’ayant été en contact avec elle lors d’un déjeuner, donc moment à haut risque de transmission, vous êtes identifié par nos Systèmes comme étant cas contact. Vous connaissez la procédure ?
– Moi ? Cas contact ?
– Oui monsieur. Est-ce que vous connaissez la procédure ?
Je ne trouve pas les mots… Je laisse un blanc. Et la nature ayant horreur du vide, Damien enchaîne :
– Bon, je vais devoir prendre les noms et les coordonnées de toutes les personnes avec qui vous avez été en contact ces deux derniers jours. Vous devrez également vous faire tester mais pas avant 5 jours, et si possible installer au plus vite l’application tousAntiCovid, et vous signaler dessus en cas de résultat positif. Ne sortez pas de chez vous, même pour aller travailler, tant que vous n’aurez pas les résultats de vos tests.
Je reste sans voix.
– Monsieur, vous comprenez ce que je vous dis ?
– Oui oui, je comprends…
– Parfait. Avec qui vivez-vous à la maison ?
– Avez-vous des masques en nombre suffisant à la maison ?
– Avez-vous du savon et du gel hydroalcoolique à la maison ?
– Avez-vous suffisamment de nourriture pour rester en quarantaine à la maison ?
– Avez-vous un proche qui puisse le cas échéant vous ravitailler à la maison ?
– Je vous écoute, donner moi les noms, prénoms et coordonnées téléphoniques des personnes que vous avez croisé ces deux derniers jours, de manière prolongée ou pas, au travail ou à la maison…
***
Je m’appelle Denis Bomfilho, j’ai 40 ans, je suis célibataire, sans enfant, je vis seul dans un appartement à Lyon. Ma mère est décédée lorsque j’étais adolescent, d’un accident domestique, enfin, c’est ce qu’on dit. Mon père vit en EHPAD, à la Villette d’Or. J’ai un frère jumeau, Pascal. Un vrai jumeau, identique en presque tout point.
Grandir avec un jumeau peut paraître super sympa, cool, distrayant, pour tous ceux qui n’en ont pas. On s’imagine faire les quatre cents coups ensemble, jouer à semer le doute avec cet être qui est votre double parfait, profiter de situations incongrues, voir créer ces situations incongrues. Avoir toute sa vie une âme sœur, un compagnon de jeu, un confident. Et c’est vrai. Nous en avons bien profité avec Pascal. Nous avons été, et sommes toujours extrêmement proches et liés. Je n’imagine pas ma vie sans lui.
Je ne l’imagine pas, non. Mais parfois je la fantasme. Nous avons l’un comme l’autre grandi en entendant trop souvent : comme ils se ressemblent ! C’est fascinant, on parvient à peine à les distinguer ! Et nos parents forçaient le trait, en nous habillant, coiffant, parfumant, tout le temps de la même manière, pour accentuer, souligner cette ressemblance. Comme deux poupées. Un jeu.
Je connais mon frère comme personne. Je vis avec lui, comme lui, depuis notre première mitose. Nous avons partagé le même sac amniotique, le même ventre au même moment, toujours partagé notre chambre, nos jouets, nos vêtements, nos amis, nos parents.
Nos parents…
Notre mère parvenait à nous différencier au premier coup d’œil. Parfois, le soir, pour la taquiner, nous changions de lit. Et même la lumière éteinte, sans que nous ne disions le moindre mot, juste à respirer l’odeur de nos cheveux pour nous embrasser et nous souhaiter bonne nuit, elle parvenait à nous distinguer. C’était tellement bon, ce moment où, pour un instant, je retrouvais un peu d’unicité.
Mon père lui, ne parvenait pas tout le temps à nous différencier, même en plein jour. Il travaillait beaucoup sur les chantiers. Il était peu présent, rustre, et très dominateur. Dominateur sur nous, sur ma mère, sur ses beaux-parents, Papi et Mamie Sousa, qui vivaient entre la France et le Portugal. Je n’ai pas de souvenir de lui nous prenant dans ses bras, nous félicitant, nous encourageant. La seule chose qu’il ait tenté de nous transmettre, c’est le foot, et sa passion pour le Sporting Portugal. Et il n’y est pas parvenu.
Par contre, sa grande fierté, c’était que nous lui ressemblions énormément. Autre phrase avec laquelle nous avons dû grandir : qu’est-ce que vous ressemblez à votre père… A croire qu’il vous a fait tout seul, vous êtes ses portraits crachés ! Quand nous étions jeunes, cela ne nous dérangeait pas. Mais en grandissant, nous devions constater l’inéluctable, nous lui ressemblions effectivement beaucoup et de plus en plus : de grands yeux très noirs, des sourcils fournis tendant à se rejoindre au-dessus du nez, un menton fin et tiré vers l’avant, des pommettes taillées au couteau.
Pascal et moi avons été dans la même classe jusqu’en sixième. Hormis l’institutrice du CM2, tous nos professeurs ont eu l’intelligence de ne jamais nous mettre en compétition. Au collège, l’âge de l’espièglerie, nous avons été volontairement séparés par les enseignants, ce qui nous a plutôt rendu service scolairement parlant, mais cela a aussi facilité nos mauvais tours. Avec les professeurs d’abord, avec les camarades ensuite, et enfin, avec les filles.
Malheureusement, alors que nous étions en classe de troisième, un mercredi d’hiver, ma mère est morte. J’avais cours jusqu’à dix heure ce matin-là, puis deux heures de colles (pour m’être fait passer pour mon frère durant un cours de sport). Pascal, lui, était à la maison. Sur le chemin du retour, j’ai ressenti une douleur violente à la poitrine, et l’image de mon frère m’a transpercé la tête. J’ai accéléré le pas. Quand je suis arrivé, il y avait des voitures de police et une camionnette de pompier en bas de notre immeuble. Je me suis dit naïvement, dans ma tête d’enfant : chouette, il se passe un truc à la cité ! Et juste en bas de chez moi ! Je suis arrivé en courant dans le hall de mon bâtiment, mon cartable ballotant sur le dos. Il y avait beaucoup de monde, je n’arrivais pas à pénétrer dans l’entrée de mon immeuble. J’entendais la voix de mon père qui parlait fort dans un français très approximatif. Madame Diop et Madame Da Silva, nos voisines, m’ont pris par le bras et m’ont tiré en me demandant de les suivre. Elles pleuraient. Je suis entré chez les Diop en passant juste derrière mon père, qui avait l’air paniqué. Des policiers lui passaient les menottes, il ne m’a pas vu. Chez les Diop, dans la cuisine, Pascal était assis, silencieux, le visage rouge, des larmes sur les joues. Amadou, le grand frère Diop, se tenait debout derrière lui, les mains sur ses épaules, la tête basse.
– Pascal, que se passe-t-il ? Où est maman ?
A ces mots, Madame Da Silva s’effondra en larme et sortit de la pièce. Pascal ne semblait pas m’entendre. Puis il finit par me dire lentement : ils l’emmènent à l’hôpital.
Officiellement maman est décédée suite à une glissade, sa tête a heurté violemment le sol. Un simple accident. J’ai l’intime conviction que ce n’est pas vrai. Je pense que mon père l’a tué. Il l’avait déjà frappée, devant nous. Je pense aussi que Pascal a tout vu, mais qu’il a dû défendre et couvrir papa, pour nous protéger. Pour ne pas que nous soyons placés, ou pire, séparés. Je le sais, même s’il a toujours soutenu le contraire. Je sens son cœur lourd à travers le mien, je partage le poids de sa peine, malgré moi.
Nous avons donc dû continuer notre vie sans maman. Rien n’était plus comme avant. Pascal et moi nous sommes beaucoup rapprochés. Et en même temps, nous nous émancipions l’un de l’autre, chacun ayant choisi un style vestimentaire différent, une coiffure différente, des amis différents. Mais pas trop. Malgré ces évolutions, chaque fois que je croisais mon reflet dans un miroir, je constatais que mon visage devenait de plus en plus celui de mon père. Je me regardais dans la glace, je ne me voyais pas. Au mieux, j’étais un dérivé de Pascal, au pire une copie de l’assassin de ma mère. Moi, Denis, je n’existais pas vraiment.
Pascal enchainait les conquêtes féminines, j’avais du mal à suivre. Moi, les filles ne m’intéressaient pas. Je me suis découvert une attirance pour les garçons. Je crois qu’elle était toujours là, au fond de moi, elle ronronnait dans mon ventre.
Un jour Pascal est rentré à la maison le crâne rasé. J’ai eu peur. Je perdais l’équilibre, il s’éloignait trop. Je n’ai pas dormi. Au réveil, j’ai pris une tondeuse, un rasoir, et j’ai fait la même chose. Et pendant que je perdais ma tignasse, je ne saurais expliquer pourquoi, mon homosexualité a rejailli à la surface, inarrêtable, incontrôlable, non négociable. Cela me brûlait l’intérieur du corps depuis trop longtemps. Je pense que maman l’avait vu, et elle l’avait compris.
J’ai eu très peu de relations. J’ai toujours été timide et discret. Dans mon milieu, rencontrer des garçons était mission impossible, ou très compliqué. Tout se savait très vite. Et malgré mes précautions, je me suis fait prendre.
J’étais avec mon copain de l’époque, nous nous étions rencontré lors d’une soirée étudiante. Je venais de le raccompagner chez lui au centre-ville, quand il a eu le réflexe bête de m’embrasser furtivement. Je ne sais pas qui nous a vu, mais l’information est parvenue instantanément à mon père. Quand je suis arrivé chez moi, Pascal m’attendait en bas de l’immeuble. Son cou portait des traces rouges de strangulation. Il fumait nerveusement, et semblait très tendu.
– Pascal ? Que fais-tu dehors ? Lui dis-je naïvement. Tu devrais rentrer, il fait super froid…
– Ne monte pas ! Me dit-il sans bouger, ni me regarder. Je te conseille de ne pas y aller. Il t’attend. Tu vois ça ? Il me montre son cou. Il m’a demandé si j’étais son pédé de fils qui embrasse des garçons en pleine rue. Il a failli me tuer.
Je passais mes doigts sur son cou. Il ne me regardait toujours pas.
– Je vais monter. Je n’ai pas peur de lui. Ce criminel…
Je me sentis empli d’une force nouvelle, un élan libérateur, comme si mon destin m’attendait là-haut, à l’appartement, et que l’heure de l’affronter était venue. Je montai les escaliers quatre à quatre, j’avais hâte d’en découdre.
Arrivé à l’étage, je pris une grande bouffée d’air, et j’ouvris la porte avec assurance. Il se tenait là, cigarette à la bouche, furieux comme un taureau, et il ne me laissa pas le temps de faire quoi que ce soit. Son poing parti directement s’écraser sur mon visage, éclatant mon nez comme une fraise trop mure. Je perdis l’équilibre et je tombai en arrière. Ma tête heurta la porte. Là, il se précipita sur moi, m’étrangla pour m’immobiliser, et commença à m’insulter dans un charabia incompréhensible. Puis il prit sa cigarette, et l’écrasa sur mon visage, juste à côté de ma bouche. Je suffoquais, je n’arrivais même pas à crier ma douleur.
– Espèce de pédé, tu n’es pas mon fils, pédé ! Pédé ! Pédé …
Il répétait ce mot en s’éloignant de moi, comme pour s’en exorciser. Je me relevais, titubant. Je sorti de l’appartement, le visage ensanglanté et brûlé.
– Ne remets plus jamais ton cul de pédé ici ! Hurla-t-il à travers le couloir.
Je descendis les marches en me tenant le nez, tachant murs et marches de mon sang. Je sortis du bâtiment. Pascal me vit arriver, chancelant. Il se précipita vers moi.
– Je t’avais dit de ne pas monter… Je savais que ça finirait mal. Viens, on remonte, je vais te soigner.
– Non, il ne veut plus que je rentre à la maison.
– On s’en fout de ce qu’il veut, vient, aller.
– Non Pascal, non ! Je ne veux plus rester avec lui, je ne veux plus. Je pars, je vais chez mon copain.
– Alors c’est vrai, tu aimes vraiment les garçons ?
– Ha tu veux que l’on se pose des questions mon frère ? Alors dis-moi enfin la vérité… Il l’a tué n’est-ce pas ?
Pascal me fixa, les larmes aux yeux, incapable de répondre. Je me mis à crier.
– Réponds moi putain ! Il l’a tué ? Aller, dis-moi la vérité, pour maman, fais-le pour maman…
– Oui, il l’a tué.
– Je le savais… Je le savais putain ! Aller, je me tire d’ici moi.
Je commençais à partir, avant de faire demi-tour.
– Pascal, oui j’aime les garçons. J’ai toujours aimé les garçons et regarde-moi ! Je suis coincé dans ce corps de mec, le même que le tien. Le même. J’aurai dû être une fille, la fille à maman. Et regarde-moi ! J’ai la même gueule que son assassin !
***
– Allo Pascal ? C’est Denis.
– Hey salut frangin, comment tu vas ?
– ça va merci, et toi ? Les enfants ?
– Ils vont bien merci. Alors, quoi de neuf ?
– Et bien, je viens d’apprendre que je suis cas contact figure toi. J’ai été appelé par la sécu.
– La sécu ? Ha ok. Alors, tu dois faire un test ?
– Oui, mais pas avant cinq jours, le temps d’incubation, ou un truc du genre.
– Ha ok, mais comment tu te sens ? Ça va ?
– Pour te dire la vérité, depuis que j’ai eu le type de la sécu, je me sens fatigué, j’ai des courbatures qui apparaissent. Mais bon, ce doit être psychologique, et je ne suis pas non plus à risque, je ne m’inquiète pas plus que ça.
– OK, mais fait attention quand même, c’est une saloperie ce truc. Du coup, ça se passe comment ? Tu es coincé chez toi ?
– Oui, en quarantaine. Mais bon, je peux télé-travailler. Je n’aurai pas à poser des jours. Au fait, tu as des nouvelles de papa ?
– Houla, non, pas depuis au moins deux semaines. Je suis passé le voir avec les enfants, les entrées sont très réglementées. Mais bon, j’ai dit que j’étais son fils, avec ma tête, ils n’ont pas posé plus de question que ça. Il avait l’air fatigué. Tu me demandes ça pourquoi ? Tu ne demandes jamais de ses nouvelles d’habitude.
– Comme ça. C’est vrai que je ne l’ai pas revu depuis mon départ douloureux de la maison… Bon aller, je file. Bises à tout le monde.
– Merci. Tu me tiens au courant pour ton test OK ? Et si tu as besoin, tu me dis.
Je raccroche. Je vais dans la salle de bain. Je me positionne devant ma glace. Je me regarde dans les yeux. J’ai presque le même visage que lui quand il a tué ma mère. Le dernier visage qu’elle a dû voir devait ressembler à ça, la cicatrice de la brûlure de cigarette en moins. Cette cicatrice qui a permis au reste du monde d’enfin nous distinguer Pascal et moi ces quinze dernières années. Je passe mon index dessus.
J’ouvre un tiroir, je prends un masque, je l’enfile. Il couvre mon nez, ma bouche, ma cicatrice. Je mets mes baskets, je bidouille une attestation, je prends mes clés de voiture, et je sors de chez moi.
Après vingt minutes de route, j’arrive à l’ehpad de la Villette d’or. Je me gare. Je baisse mon masque, et je crache copieusement dans mes mains. Je les frotte. Je mets mes gants en cuir, je repositionne mon masque et je sors de la voiture. J’arrive à la porte. J’entre. Je me dirige vers l’accueil. Je m’adresse à la réceptionniste.
– Bonjour, je suis Pascal Bomfilho, je viens voir mon père, Jésus Bomfilho.
– Ha oui, bonjour, je me souviens de vous ! Vous savez, on ne voit pas grand monde ici en ce moment … Les enfants ne sont pas avec vous aujourd’hui ?
– Non… Ils sont à l’école.
– Ha oui c’est vrai, eux ne sont pas confinés. Il n’a pas changé de chambre, 302, troisième étage au fond à droite. Il va être content de vous revoir si vite. Tenez, suivez ma collègue, elle lui monte son plateau repas. Géraldine ! Monsieur Bomfilho vient voir son papa, c’est pour la 302.
Je me dirige vers ladite Géraldine.
– Donnez-moi son plateau, je vais le lui porter. Ça lui fera la surprise.
– Ouf, super, ça m’arrange. Merci beaucoup. Je vous appelle l’ascenseur.
Elle me tend son plateau, j’entre dans la cabine, Géraldine appuie sur le bouton 3. Ses yeux se plissent. Je devine son sourire sous son masque. Les portes de se referment.
Je suis seul dans la cabine, face à un grand miroir. Je me regarde.
Je soulève la cloche de son assiette, je baisse mon masque et je tousse à gros postillons dessus. Je lèche scrupuleusement chacun de ses couverts, et j’étale de la bave au fond de son verre avec mes doigts sales. Je remonte mon masque. La porte s’ouvre. Je marche calmement jusqu’à la porte 302, puis j’entre sans frapper.
La pièce est assez grande et lumineuse. Je le vois assis dans un fauteuil roulant, vieux. Il regarde la télé, du foot. Il ne porte pas de masque. Il ne s’est même pas retourné. Il lâche un « posez-ça là », sans politesse. Je ne bouge pas. Je le regarde.
– Papa, c’est moi.
Au son de ma voix, il tourne la tête.
– Fodes ! * Pascal, tu m’as fait peur. Viens me voir mon garçon.
Je m’approche de lui, je dépose son plateau sur la table. Calmement, je lui sers un verre d’eau, et je le lui tends. Il le boit, bruyamment. Puis il soulève la cloche de son assiette, regarde les coquillettes au jambon, puis commence à manger avec appétit. Ses bruits de mastication me ramènent à une époque oubliée.
– Ba alors, tu restes debout carahlo*, tu as des hémorroïdes ou quoi ? Viens t’assoir !
Je contourne la table, je m’approche de lui, et je me penche en avant pour le prendre dans mes bras. Ce geste d’affection le surprend. J’enlève mes gants, et j’étale mes mains sur son visage, plusieurs fois. Il ferme les yeux. Il semble apprécier. J’en profite. Je colle mon visage dans son cou, je baisse mon masque, puis je tousse. Une fois, puis deux. Il ne réagit pas. Je remonte mon masque. Je me décroche de lui et je le regarde. Nous nous fixons. Puis, je tourne des talons, et quitte la pièce, sans le regarder, sans me retourner. Je l’entends appeler « Pascal ? » à travers la porte. Une seule fois.
Dans le couloir, je trouve une pompe de gel hydroalcoolique. Je m’en asperge les mains et me les frotte frénétiquement. Géraldine apparaît dans le couloir. Elle s’approche.
– Vous partez déjà ? Tout s’est bien passé ?
– Oui, hélas, je dois déjà rentrer. Je l’ai trouvé un peu chaud, et fatigué aussi. Soyez prudente avec lui, vous devriez peut-être éviter qu’il contacte d’autres résidents, avec tout ce qu’il se passe en ce moment, on n’est sûr de rien.
– Pas d’inquiétude. Votre père ne veut voir personne… Il ne sort jamais de sa chambre. Au revoir Monsieur Bomfilho.
Je la salue de la tête. J’entre dans l’ascenseur. Les portes se referment. Je me regarde dans le miroir.
Enfin ce corps m’aura peut-être servi à quelque chose…
***
– Allo Denis? C’est moi, tu vas bien ?
– Salut Pascal, ça va moyen… Fièvre, fatigue, et j’ai perdu le goût aussi.
– Ha, merde. Je t’appelais justement pour savoir si tu avais eu les résultats de ton test. Je crois que j’ai ma réponse. Il me semblait me souvenir que c’était aujourd’hui.
– Oui, je les ai reçus ce matin. Et je suis positif, sans surprise.
– Mon pauvre, t’as plus qu’à rester chez toi, et à être patient.
– C’est exactement ça Pascal, je n’ai plus qu’à être patient…
* Jurons portugais