Leonid Sevastianov est le Président de l’Union Mondiale des Vieux-croyants. Les vieux-croyants sont des chrétiens orthodoxes qui se sont opposés, en 1666, aux réformes mises en place par le Patriarche russe de l’époque, Nikon (qui n’a pas inventé l’appareil photo pour autant). Persécutés depuis lors par tous les tsars qui se sont succédé en Russie, puis par les soviétiques, ils connaissent aujourd’hui un regain de popularité au pays de Poutine. Cependant les vieux-croyants ont développé un sens de l’irrévérence du pouvoir temporel, en tous cas pour un grand nombre d’entre eux, à l’opposé du Patriarcat de Moscou qui lui travaille main dans la main avec le Kremlin, le FSB et tutti quanti.
Leonid et le pape François se connaissent bien. Le 7 mai, le souverain Pontife a écrit de sa plus belle plume au leader des vieux-croyants, pour lui dire, en italien, combien il était fier de lui en ce qui concerne ses actions pour la paix. « Nous, chrétiens, devons être des ambassadeurs de la paix, apporter la paix, prêcher la paix, vivre en paix », écrit le Pape.
Il faut dire que Sevastianov n’est pas un peureux. Resté à Moscou, il n’a pas hésité à donner son point de vue aux médias russes et internationaux : « Nous ne savons pas pourquoi cette guerre. Pour quelle raison, pour quel objectif ? » Et de fustiger l’attitude du patriarche Kirill : « la logique voudrait que Pâques soit un moment d’humanité, pas de politique. Mais les déclarations de Kirill indiquent autre chose. Et elles sont une marque d’hérésie. » Déclarer Kirill hérétique, ou même le sous-entendre est une prise de risque courageuse, si ce n’est téméraire, quand on sait que Kirill est le bras armé métaphysique du Kremlin et qu’il n’a eu de cesse de justifier la guerre et même d’en faire une guerre métaphysique contre l’occident décadent.
On comprend bien pourquoi le Pape préfère Sevastianov à Kirill, quand on sait que dans le Corriere Della Serra, François a déclaré après avoir échangé avec le Patriarche russe : « Le Patriarche ne doit pas se transformer en enfant de Chœur de Poutine ». Leonid enfonce le clou : « Il [Kirill] n’est pas populaire du tout. Même parmi les évêques, beaucoup souffrent en silence mais intérieurement ne sont pas d’accord. Il est difficile de soutenir le militarisme. »
Sevstianov est aussi un optimiste : « A mon avis, le pape apprécie les gens normaux. Vous ne pouvez pas comprendre le peuple en donnant la priorité à “l’élite”. Dès le début, il nous a dit que les choses ne peuvent changer que si des gens normaux travaillent pour la paix. Parce qu’un politicien peut promouvoir la paix aujourd’hui et l’oublier demain, mais si la majorité des gens promeuvent la paix, alors les politiciens seront influencés. Nous avons décidé de rester en Russie quand cette guerre a commencé, mais ce n’est pas facile. Nous essayons de parler et de promouvoir la paix, nous essayons de publier dans la presse russe et d’en parler publiquement, malgré les risques. Nous organisons également des événements culturels et des concerts dédiés à la paix. »
Sauf qu’en Russie, parler de « guerre » et de « paix » au lieu de se contenter de soutenir « l’opération militaire spéciale », est passible de 15 ans de prison. Gageons qu’il reste encore quelque espace de liberté chez les soviets, et que tout n’est pas perdu.