Faire partie des «cons» en 2022, c’est par exemple se croire supérieur intellectuellement parce qu’on a obtenu un diplôme universitaire et que son voisin autodidacte n’en a pas et se retrouve par là même traité d’«incompétent». C’est aussi excommunier Richard Millet1 sans l’avoir lu. C’est aussi mesurer la valeur d’un poète au nombre de prix littéraires et de décorations sonnantes et trébuchantes qu’il a obtenus durant sa vie (Jean Orizet2 et Jean-Michel Renaitour seraient à l’Académie Française et Rimbaud à la déchetterie de l’Histoire). C’est enfin en rester à l’intensité du désir de participation à une Académie style Goncourt ou Mallarmé (Christophe Dauphin3 deviendrait alors Jean Rousselot4 et Didier Decoin5 Alexandre Dumas). On peut aussi évaluer le degré de connerie d’un acteur de l’édition à son nombre de refus de publier d’authentiques inconnus durant sa carrière d’éditeur à la mode. Ainsi, Raphaël Sorin6, «accoucheur» opportuniste de Michel Houellebecq7 et de Charles Bukowski8 rejoint soudain feu Alain Bosquet9 au Livre des records des fins limiers sans trop de scrupule.
Au sens habituellement flou et attrape-tout de l’expression, la «foire aux cons» n’a rien à envier à la foire aux illuminés dont l’historien des idées Pierre-André Taguieff10 fit un épais volume tentant de dresser une anthropologie historique de notre époque. Bien sûr, dénoncer les «cons», c’est sans cesse prendre le risque d’être accusé d’être le plus con d’entre eux par rapport aux autres! La libre circulation des «cons» justifie trop souvent les extrémismes politiques et les mafias du plagiat habile. Quant à l’immense connerie du monde politique, hélas, il n’a jamais été «has been». Sa lourde présence se voit à l’œil nu et s’exprime par le chômage de masse. Entre Sarkozy, Mitterrand, Hollande et Macron, on peut se demander parfois, tristement, qui aura été le Roi, pardon, le Président des cons, le plus con des cons qui nous gouvernent avec ou sans E.N.A Le «Casse-toi, pauvre con» de Nicolas Sarkozy est resté dans les mémoires. C’était peut-être une pulsion de génie, l’expression spontanée d’un certain retour du refoulé ?
Les cons d’aujourd’hui ont trop peur pour voir que nous sommes en pleine Troisième Guerre Mondiale, non plus en pleine «guerre froide» mais plongés dans une «guerre chaude» qui a déjà fait des dizaines de milliers de morts en Ukraine, sans compter les victimes de Daesh et « consors », et l’irrésistible vague des «nouveaux fascistes » qui nous préparent le pire, de Bachar-al-Assad au jeune con Kim Jong-Un de la Corée du Nord, sans compter les dégâts annoncés par les désastres économiques en série de l’Europe folle déguisée en Bernard Tapie, avec la jupe stricte du F.M.I et le sourire figé de Christine Lagarde.
La connerie majeure : l’aveuglement
L’envahissement de la connerie meurtrière, ce sont les nouvelles guerres de religion qui pointent leurs dieux belliqueux et intolérants et s’excommunient à mort à coups d’explosifs et de têtes d’anges fanatisés sur la toile d’Internet. La connerie majeure c’est l’aveuglement généralisé qui nous empêche de discerner ici et maintenant une avant-guerre apocalyptique déjà en marche vers l’après qui cherche désespérément de nouveaux Romain Rolland11 pour sauver a minima l’honneur des intellectuels rebelles d’aujourd’hui! Entendons nous bien, nous ne jouons ni les Cassandre faciles ni les aigles noirs annonciateurs d’inédites apocalypses, encore moins les pacifiques béats.
Simplement, et de toutes nos forces, nous refusons d’être parmi ceux qui dansent pendant que Rome brûle. Non seulement nous n’oublions jamais la réalité historique de la Shoah et les leçons qui devraient en découler, mais encore nous combattons à visages découverts le négationniste imbécile et nous luttons contre cet antisémitisme à multiples masques qui tue l’espérance ontologique des peuples.
Rêvons d’identifier les causes du mal
R.B.L est bien seul, en France tout au moins, dans son entêtement à maintenir son désir d’identifier les maladies de notre planète. R.B.L rêve aussi, en Don Quichotte maladroitement déguisé en
Jedi, d’en discerner certaines causes. Et c’est là la moindre de ses obsessions fièrement affichées qui constituent d’ores et déjà la légende de ses enseignements éthiques et spirituels.
1. Richard Millet, Lettre aux norvégiens sur la littérature et les victimes (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
2. Jean Orizet, Le Regard et l’Énigme, œuvres poétiques 1958-2008 (Le Cherche Midi, 2008)
3. Christophe Dauphin, Appel aux riverains, anthologie 1963-2013 (Les Hommes sans épaules, 2013)
4. Jean Rousselot, Panorama critique des nouveaux poètes français
(Seghers, 1952)
5. Didier Decoin, La pendue de Londres (Grasset, 2013)
6. Raphaël Sorin, Correspondance, volume 1 (Champ Libre, 1978)
7. Michel Houellebecq, Soumission (Flammarion, 2015)
8. Charles Bukowski, Biographie (Grasset, 1991)
9. Alain Bosquet, La poésie française depuis 1950 (La Différence, 1979)
10. Pierre-André Taguieff, La foire des Illuminés (Mille et une nuits, Fayard, 2005)
11. Romain Rolland, Liluli, suivi de La Révolte des Machines, (réed.), illustrés avec les bois originaux de F. Masereel (Le Temps des Cerises, 2015)