Beethoven est né en décembre 1770. L’actualité ne cesse et ne cessera de nous le rappeler jusqu’à cet anniversaire qui devrait rejoindre les grandes commémorations dont notre époque raffole. A cette occasion, la promotion des « produits » consacrés au père de la musique romantique va grand train. L’écoute des différents éléments de l’œuvre devrait constituer l’approche privilégiée pour en découvrir et en apprécier la richesse, la variété, l’originalité, la modernité, la force, la poésie… Mais, poussés par cette pression marketing, ou plus simplement par la modestie, la curiosité ou la passion, certains éprouvent l’envie de connaître un peu mieux le plus célèbre sourd de l’histoire de la musique. Et ils ont l’embarras du choix : qu’il s’agisse de contributions de professionnels de la musique, d’experts, de critiques, de passionnés ou d’amateurs éclairés, contemporains du compositeur allemand ou vivants, il existe mille moyens pour mieux comprendre ou enrichir la compréhension de son œuvre.
Au milieu de cette profusion, un ouvrage tient une place particulière : le portrait consacré par Romain Rolland à « La Vie de Beethoven », dont la version originale, publiée en 1903, vient d’être rééditée. Si l’écrivain doit surtout sa renommée à l’écriture, – il sera le Prix Nobel de littérature de 1915 – il est également reconnu pour ses connaissances musicologiques. Il a d’ailleurs obtenu son doctorat de lettres en soutenant une thèse sur « les origines du théâtre lyrique moderne » et organisera le 1er congrès d’histoire de la musique à Paris en 1900. De plus, pacifiste et humaniste convaincu, Romain Rolland est totalement dévoué au culte des héros. A l’évidence, ces deux repères devaient le placer dans les pas du Viennois d’adoption qui, en fait, avait déjà fait irruption dans la vie de l’auteur : à 16 ans et demi, alors qu’il vient d’entendre sa Symphonie en la majeur, il se précipite chez son professeur de mathématiques pour lui annoncer qu’il renonçait à ses études de sciences pour entrer à l’École Normale Supérieure.
Il confirme et explique cette proximité avec l’auteur de la Symphonie héroïque dans l’introduction qui ouvre cet ouvrage consacré à sa vie, première livraison d’une collection de portraits bien particulière : « L’air est lourd autour de nous. La vieille Europe s’engourdit dans une atmosphère pesante et viciée. Un matérialisme sans grandeur pèse sur la pensée, et entrave l’action des gouvernements et des individus. (…) Oppressés par la pauvreté, par les âpres soucis domestiques, par les tâches écrasantes et stupides, où les forces se perdent inutilement, sans espoir, sans un rayon de joie, la plupart sont séparés les uns des autres. (…) C’est pour leur venir en aide, que j’entreprends de grouper autour d’eux les Amis héroïques, les grandes âmes qui souffrirent pour le bien. Ces Vies des Hommes illustres ne s’adressent pas à l’orgueil des ambitieux ; elles sont dédiées aux malheureux. (…) Je n’appelle pas héros ceux qui ont triomphé par la pensée ou par la force. J’appelle héros, seuls ceux qui furent grands par le coeur. Comme l’a dit un des plus grands d’entre eux, celui dont nous racontons ici même la vie : « Je ne reconnais pas d’autre signe de supériorité que la bonté. »
Le propos de l’ouvrage est simple : faire un récit factuel de la vie d’un homme qui a beaucoup souffert, depuis son enfance triste et misérable, très tôt orphelin d’une mère adorée, confronté à un père ivrogne et impécunieux, jusqu’à la maladie qui le conduisit à la mort, et qui pourtant a fait de la « joie » un thème central de son œuvre. A ce récit émouvant sont ajoutés quelques lettres et documents adressés par le compositeur de la « sonate au clair de lune » à son entourage ainsi que quelques pensées du musicien. Cette « Vie de Beethoven », publiée pour la première fois en janvier 1903 aux « Cahiers de la quinzaine » de Charles Péguy, est en fait une compilation d’articles rédigés pour la « Revue de Paris » à l’occasion de l’exécution des 9 symphonies de Beethoven lors du Festival de Mayence en avril 1901. Mais, il en existe une version enrichie que Romain Rolland a retravaillée à partir de 1927, année du centenaire de la mort du musicien, qui explore « les grandes époques créatrices » et en propose des analyses techniques de haut niveau.
Cette « Vie de Beethoven », qui se révèle être une leçon de « résilience » avant l’heure, apporte un éclairage décisif à la connaissance de la pensée qui a inspiré une œuvre que l’on réduit trop souvent à quelques clichés relatifs à sa puissance.