Il y a quelques semaines, je fis une petite marche en forêt de Rambouillet, seul, tout en réfléchissant à diverses constitutions de la spiritualité et aux significations de la trinité dans le christianisme. La forêt est un bon milieu pour réfléchir à ce qui touche à la création, n’est-ce-pas ? Assis au bord d’un étang croupissant, une douce brise égayait mes réflexions. Au bout d’un certain temps, une réponse m’apparut très claire : « la signification de la trinité se cache dans la vie de tous les jours. » Satisfait de cette réponse, je revins me baigner dans la civilisation, par le RER. Je m’assis seul sur l’un des sièges du wagon, demeurant dans mes pensées. Quelques stations plus tard, trois jeunes hommes s’installèrent à côté de moi, tout en discutant d’un jeu vidéo : « Mais je te dis, mec, joue à Torchlight 3, c’est trop ton genre de jeu. Je te jure, tu vas kiffer, c’est un “hack and slash” ! » dit l’un à son ami. « Je sais pas, gros, la dernière fois que tu m’as conseillé un jeu, c’était de la daube. » lui répondit-il. Étonnamment, ce genre de jeu était l’un de mes préférés et le fait qu’un parfait inconnu vienne devant moi pour en parler m’apparut curieux… mais pas si étrange après les réflexions que j’avais eu tantôt, dans la forêt.
Aussitôt rentré, j’allai acheter ce jeu vidéo dont ces jeunes parlaient… « Torchilght 3 ». L’installation tout juste terminée, je ne m’attendais pas encore à ce que j’allais trouver, et Dieu seul sait ce qui se passât. Ce jeu est bel et bien un “hack and slash”, il faut progresser dans un monde, en éliminant des ennemis nombreux à l’aide d’attaques dévastatrices. Plusieurs personnages peuvent être choisis par le joueur, en fonction de ses préférences… Et c’est là qu’une lueur divine m’apparut. Ce jeu n’est en fait rien d’autre qu’une représentation du divin : les personnages sont tous aussi différents les uns des autres, mais tout aussi puissants, rétablissant l’ordre dans le monde, accomplissant des hauts faits de plus en plus grands, et on ne peut en jouer qu’un à la fois. Ils représentent en fait chaque facette de Dieu. Comme le disait Jung : « Même dans les religions que l’on dit monothéistes rigoureusement, comme le christianisme, il a été impossible de supprimer la tendance polythéiste […] tantôt il s’agit d’un dieu unique avec de nombreux attributs, tantôt ce sont plusieurs dieux dont le seul nom diffère ». A cela près que, dans les différentes facettes évoquées précédemment, leur puissance est égale, mais leurs pouvoirs se différencient. Or, selon Maître Eckhart, « De la puissance divine jaillit la sagesse, et d’elles deux jaillit l’amour ». En d’autres termes, l’amour que ces personnages, ces aspects du divin, ont pour leur monde, est déployé sous forme de puissance pour y rétablir l’ordre.
Déjà captivé par le double discours théologique de ce jeu vidéo, je progressais sans me presser. C’est alors qu’un deuxième signe m’apparut, raffermissant mes convictions sur ce jeu. En effet, après quelques quêtes de départ, il est possible d’atteindre, avec tous ses personnages, un lieu spécifique à chaque joueur. Ce lieu est aménageable au bon vouloir du joueur et permet d’accéder à d’autres fonctionnalités du jeu. Evidemment, c’est un symbole direct qui nous ramène à la création : la création d’un espace – un monde – à son image, avec lequel tous les personnages du joueur – facettes du divin – peuvent interagir. Il est de surcroit possible de modifier la position et l’apparition des plantes et des arbres au sein de cet espace, ce qui prouve que chaque personnage a le contrôle sur la nature (“que tous, réunis, ont engendré”, comme écrit dans la Bible).
Ce jeu est donc, de manière plus ou moins subtile, le conte des différents aspects du divin perçues d’une manière fantasmagorique, humaine ou abstraite par des croyants. Le conte de leur combat contre les némésis de l’humanité – le chaos, la discorde – par l’intermédiaire de monstres tirés directement de mythes et légendes populaires remaniés. Ces légendes représentent des facettes du mal, autrement dit: Satan. Le doute n’est plus permis quant à la dimension théologique du jeu vidéo.
Matthieu Darmagnac