Comme l’ont indiqué les nombreuses critiques qui ont accompagné sa sortie, 4321, le dernier roman de Paul Auster, est un long – 1 020 pages – voyage au cœur des quatre vies d’Archie Ferguson, petit-fils d’un jeune immigré russe, débarqué au célèbre Centre d’Ellis Island à New York le 1 er janvier 1900, et qui naîtra, lui, 47 ans plus tard à Newark dans le New Jersey. Cette saga se construit en filigrane d’une description fouillée des États-Unis des « fifties » et des « sixties », mettant en lumière un pays divisé, sur les questions raciales et la guerre du Vietnam, ce qui résonne étonnamment avec cette Amérique contemporaine « coupée en deux » par l’irruption de Donald Trump.
Mais cette immense fresque n’est pas linéaire. Paul Auster propose en effet quatre trajectoires différentes de la vie d’Archie et les développe successivement comme si elles étaient de vraies vies, conduites sans lien les unes avec les autres. Le seul point commun à toutes ces aventures c’est Archie, sa mère Rose et, dans certains cas, son père. Mais ces quatre destins parallèles sont fracassés par les imprévus, par-fois dramatiques et douloureux, qui perturbent considérablement la configuration du cercle familial, faisant surgir et disparaître des oncles, des tantes, des cousins, des cousines… Les relations et les amitiés de la famille vont également varier au fil des ruptures plus ou moins subies.
Bref, un tourbillon de vie conduit avec le talent dont Auster fait montre depuis longtemps et qui maintient l’attention tout au long de ce fleuve qui serpente avec fluidité à coups de méandres entre psychologie de l’adolescence et sociologie de la famille, tendresse et érotisme, observation chirurgicale des choses de la vraie vie et description imaginative du monde.
Cette audace dans le mélange des genres et des postures, se retrouve dans la forme du récit. Auster réussit à mixer une langue très proustienne où ponctuation et grammaire semblent sacrifiées au profit d’une liberté sans fin et un verbe ciselé où les mots sont comptés et distingués. Cette maîtrise permet d’alterner les longues digressions sur le sentiment – et le désir – amoureux et les descriptions méticuleuses de l’élection de J.F. Kennedy, celles des talents de Laurel et Hardy ou celles des exigences du jeu de basket ou de baseball. Au fil de ce tricotage subtil, Paul Auster nous off re en prime une déclaration d’amour à la culture européenne qu’il vénère, où rayonnent, entre autres, écrivains français et musiciens allemands. Ce livre a toutes les qualités d’un best-seller, mais il est surtout une vraie œuvre.
Patrick Boccard