Antonio Gramsci, philosophe et membre fondateur du Parti Communiste Italien, de 1929 à 1935, a subi pendant plus de 20 ans l’emprisonnement politique par le régime fasciste. («Pour vingt ans, nous devons empêcher ce cerveau de fonctionner », déclarera le 4 juin 1928 le procureur fasciste). C’est donc en prison, pour résister par l’écriture et la pensée que Gramsci écrira les célèbres Cahiers de prison (Quaderni del carcere) qui constituent un recueil des textes et de notes fragmentaires et discontinues : «…Je voudrais, suivant un plan préétabli, m’occuper intensément et systématiquement de quelque sujet qui m’absorberait et polariserait ma vie intérieure », écrivait Gramsci dès 1927.
Il se lance dans l’écriture de son 1er cahier en 1929. Son œuvre traduite en français permet d’appréhender la pensée gramscienne dans « toutes ses hésitations, ses détours et ses va-et-vient ». Pour faciliter la lecture de cette somme, les Cahiers ont été organisés par thèmes à travers 6 volumes publiés entre 1948 et 1951, qui illustrent les axes qui structurent la pensée de l’auteur : Le matérialisme historique et la philosophie de Benedetto Croce ; Les intellectuels et l’organisation de la culture ; Le Risorgimento ; Notes sur Machiavel, sur la politique et sur l’État moderne ; Littérature et vie nationale ; Passé et présent. Parmi les pages les plus célèbres, on retient celles du Matérialisme historique et la philosophie de Croce, des Intellectuels et l’organisation de la culture et les Notes sur Machiavel. En Italie, Les Cahiers de prison ont reçu un écho national, aussi bien sur le plan culturel que politique. Pour l’opinion publique opposée au fascisme, Gramsci emprisonné était devenu un héros ; la rue se mobilisa pour sa libération ainsi que la presse de gauche et jusqu’à Moscou !
Après la guerre beaucoup d’intellectuels du Parti Communiste Italien (PCI) se rapprochèrent du prolétariat et ont permis aux idées de participation civile de Gramsci de pénétrer jusque dans la société. À ce moment, le PCI a été l’un des partis communistes les plus forts. Le souhait de Gramsci semblait se réaliser alors jusque dans l’Italie républicaine. Et pourtant avec la crise du PCI des années 70 jusqu’à sa dissolution dans les années 90 et le compromis historique, Les Cahiers de prison tombent dans une sorte d’oubli en Italie ; dans le même temps cette œuvre commence à faire le tour du monde (Amérique latine, Chine, Inde, Grande Bretagne, États-Unis). Aux États-Unis on redécouvre même Gramsci l’intellectuel et philosophe, plutôt que le « militant ». Dans les années 90, l’International Gramsci Society voit le jour et représente avec l’Institut Gramsci la plus importante institution culturelle pour la promotion des études gramsciennes. À lire pour les courageux.
Martine Konorski