Le virtuel dévore le monde réel
Au moment précis des 10 ans de la disparition du sociologue Jean BAUDRILLARD, le précieux travail d’éclaireur de ce dernier a suscité moins d’attention que les centaines de constats et projets proposés par les candidats à l’élection présidentielle. Et pourtant, l’acuité non conformiste de ses réflexions sur « la société de consommation », aurait pu apporter un peu de fraîcheur à l’eau du moulin politico-médiatique charriée à la fin du quinquennat qui s’est achevé. Entre ses observations sur l’illusion de la libéralisation et de la démocratisation mondiales ouvrant toutes grandes les portes de la félicité aux peuples qui en étaient privés, ses constats sur une consommation qui ne vise plus à satisfaire les besoins élémentaires des individus, mais qui est attisée par des désirs créés par les soldats du marketing, ou ses pronostics sur la déréalisation du monde par le développement tous azimut du virtuel, le sociologue français, fin connaisseur des États-Unis, identifie nombre des ressorts qui dérèglent nos sociétés sans offrir de repères alternatifs. Au moment de la Guerre du Golfe, il théorise sur un « simulacre » qui caractérise selon lui un conflit qui n’a pas eu lieu, et s’attire nombre de critiques lorsqu’il affirme, à propos des attentats contre les tours new-yorkaises, que « la montée en puissance de la puissance exacerbe la volonté de la détruire » (L’esprit du terrorisme, 3.11.01). Mais à ce désabusement nihiliste, il associe un réalisme optimiste : « Il faut vivre en intelligence avec le système, mais en révolte contre ses conséquences, il faut vivre avec l’idée que nous avons survécu au pire » (Cool Memories IV). Une façon de nous aider à penser ce qui se passe ?