La parution du livre de Patrick Buisson a été ressentie et commentée d’un point de vue cancanier comme l’ont été les fameux « enregistrements » d’une réunion à la Lanterne, comme l’a été le rapport de la Cour des Comptes mettant en cause l’absence de recours à un marché public pour les commandes de sondages par l’Élysée à l’époque Sarkozy. C’est d’ailleurs moins le contenu du livre lui-même que sa parution et son titre qui ont été commentés, il faut dire que le livre est épais et dense (460 pages dont 10 de notes, des références bibliographiques, des citations etc.) et ne permet pas une lecture cursive. Il y a d’ailleurs un gap entre la présentation du livre, le rouge et noir de la couverture, le titre « emprunté » à la mouvance maoïste du post 68 honni, le bandeau imprimé, « L’histoire interdite de la présidence Sarkozy » et le contenu du livre. Patrick Buisson a induit, il faut le reconnaître, la réception quelque peu sensationnaliste de son livre ! Pourtant, le livre ne recèle aucun « secret », sinon des évidences : Carla Bruni est une bobo de luxe et a soutenu avec sa sœur des militants terroristes italiens réfugiés en France, Fillon présentait un double visage, critique derrière le prince, servile en sa présence etc. Le seul secret véritable ou du moins que Patrick Buisson voudrait ériger en secret (sans doute pour assumer pleinement le rôle de Geheimnisrat), c’est qu’il a effectivement joué un rôle important de conseiller du président Sarkozy, pendant la campagne électorale de 2007, jusqu’en 2008, puis de nouveau pendant la campagne de 2012. Dans l’intervalle, il n’a pu que se lamenter de n’être pas écouté !
Du moins, Buisson a aidé
Ceci est important, puisque toute la thèse de Patrick Buisson et elle est intéressante, est que le peuple (il en a une définition un peu floue : pas une classe sociale, pas non plus un mythe, peut être tout simplement ceux qui n’appartiennent pas à l’élite, aux classes éduquées) ne souffre pas d’un manque de pouvoir d’achat, pas forcément même du chômage ou de la crise économique, mais avant tout d’une perte de sens. « L’ostracisme professé envers le vote populiste eut donc l’heure de donner bonne conscience à tous ceux qui, pour des raisons plus ou moins nobles ou désintéressées, prirent le parti d’ignorer la souffrance sociale et le souci holistique, l’angoisse profonde de dilution du collectif qu’il manifestait face aux désordres de l’individualisme libéral. » (p. 66). Cette phrase résume bien le combat de Patrick Buisson. Qui, au contraire de ce qu’affirment trop rapidement ceux qui font un amalgame facile entre le journal Minute, le Front National et la droite traditionaliste le taxe de maurassien voire de fasciste. Maurassien, il ne l’est pas vraiment, en tout cas politiquement. Étatiste et jacobin, il se différencie du régionaliste que fut Maurras, même si son catholicisme d’ordre plutôt que de foi l’en rapprocherait. Fasciste pas plus. Plutôt que de répéter les erreurs passées et d’être encore en retard d’une guerre, abandonnons ces invectives anachroniques. Il faut dépasser les jugements simplistes et s’intéresser à ce que dit Buisson. Parce qu’il est un des rares politiques à abandonner le refrain trop entendu sur la crise économique, les explications socio-économiques de la misère du monde et que dès lors, il accorde une vraie considération au peuple, en prenant au sérieux sa capacité à chercher du sens et à considérer que les hommes politiques doivent incarner une puissance populaire plutôt que d’apporter des solutions technocratiques à des problèmes matériels. Et parce qu’il est un des seuls politiques, avec parfois le Front National à estimer la parole populaire, à ne pas la taxer du méprisant adjectif de populiste, il faut discuter son diagnostic et les solutions qu’il avance, en ne déniant pas les problèmes qu’il pose. En ce sens d’ailleurs, comme dans son attitude par rapport à l’Europe il est plus proche de Mélenchon que d’aucun autre candidat ! Il faut donc prendre au sérieux le diagnostic sur la malécoute du peuple que fait Buisson, tout en étant critique face à ses solutions. Non par moralisme, mais par réalisme ! En effet, le postulat de Buisson est que le peuple serait nostalgique d’une identité française perdue et que celle-ci serait le reflet de siècles d’histoire tendant à la France une et indivisible, enracinée et même préservée de toute invasion barbare. Clovis, roi des Francs faisant de la France la« fille aînée de l’Église », Louis XIV le Roi-Soleil etc. Patrick Buisson trace l’image d’une France toute entière unie derrière la figure du Roi. Curieux historien que celui qui se prétend formé par de grands historiens des mentalités comme Raoul Girardet et Philippe Ariès et qui nous déroule une histoire proche du Malet-Isaac de notre jeunesse. Et surtout anachronisme total quand l’auteur voit dans la confiance que le peuple faisait au Roi, une sorte de « pré-nationalisme ». Oublieux du caractère mythologique du sacre du Roi (comme du baptême de Clovis) et surtout de la double appartenance des peuples de France : au Roi lointain, sacré, thaumaturge, juge etc. et à la province, celle de la vie quotidienne, de la cuisine et de la langue régionale. Si l’on se réfère à l’histoire de France pour penser les attachements des Français, force est de faire le constat que selon les potentiels d’ouverture sur le monde extérieur des époques, le couple local/national peut devenir régional/européen voire régional/universel. Le Roi de France représentait sans aucun doute le lointain avant la découverte de l’Amérique, il l’a représenté encore tout au long des siècles de constitution du pays de France (il ne faut pas oublier que les frontières actuelles avec la Savoie, le Comté de Nice, l’Alsace sont relativement récentes). Pour le dire autrement, l’identification à un territoire, l’ancrage local, peuvent être vécues à une échelle différente selon les époques. Et il n’est pas sûr que ce que Patrick Buisson analyse comme révolte du peuple contre les élites parisiennes vienne de leur volonté d’ouverture internationale et pas plutôt de leur absence de conscience du besoin d’ancrage local communautaire. De même peut-on remettre en question l’assertion de Patrick Buisson sur la recherche d’identité une et pure des Français. La tradition française, en tout cas celle qui préexistait à la Révolution était bien la double fi délité : à sa province et à son Roi. Elle a été après la Révolution double pour beaucoup : à une religion (juive, protestante, catholique) et à une Nation, voire triple pour certains irréductibles défenseurs d’une autonomie corse, alsacienne, bretonne, occitane, catalane etc. Patrick Buisson fait une lecture quelque peu orientée et anachronique de l’histoire de France : comme celle d’une longue marche vers une unité de langue, de religion, d’origine. Alors que depuis la Révolution française et la tentative d’unité nationale, les mouvements souterrains, localistes, corporatistes n’ont cessé de ressurgir : mutualisme versus socialisme d’État, socialisme municipal réformiste versus idéologie révolutionnaire du Grand Soir, syndicalisme corporatiste versus internationaliste, régionalisme versus centralisme etc. L’idéal national que décrit Patrick Buisson comme racines et futur espéré des Français a certes représenté l’idéal dominant des trois derniers siècles, mais il n’a sûrement pas été celui du Moyen-Âge, et il n’est pas celui de la postmodernité. Il faut donc lire attentivement Patrick Buisson et lui donner acte d’un singulier pouvoir d’intuition quand il pointe le besoin populaire d’un mythe fédérateur, d’un rêve commun plutôt que d’une revendication réduite à l’augmentation du pouvoir d’achat et d’un consumérisme toujours plus absurde. Mais face à cette quête populaire, il ne faut sans doute pas répondre comme lui par une cuirasse de certitudes nostalgiques d’un ordre dépassé. La religiosité ambiante n’est sûrement pas un retour au monothéisme et au catholicisme d’État ; l’attachement au territoire s’ancre plus profondément dans la terre locale qu’un nationalisme politique désuet à l’époque de l’Europe. Et les combats inter-communautaires sont plutôt attisés par le refus des pouvoirs de reconnaître le besoin communautaire que par une trop grande tolérance à l’expression des signes communautaires ou religieux. Sensible et attentif aux expressions populaires, Patrick Buisson l’est certainement, comme l’a toujours été d’ailleurs une certaine droite française ; en revanche, il peine à comprendre le changement d’époque, nostalgique d’un monde passé qu’il pare de vertus souvent plus idéalisées que réelles. C’est là que l’attention à la fonction imaginative d’une société, au décryptage de l’imaginaire (la part de rêve, de poésie qui lie les peuples) devient pure idéologie : Patrick Buisson n’écoute plus la France qui rêve, il essaye de rendre vie à une idée de la Nation Française, Une et Indivisible, aussi factice pour ce qui est du passé que fausse pour ce qui est du présent.
Hélène Strohl