De Philippe Soupault, rencontré jadis, au «Club des poètes» de Jean-Pierre Rosnay, d’Yves Martin, croisé à la Librairie «Guy Chambelland», tout proche du théâtre de l’Odéon, de Pierre Seghers, chez lui, boulevard Raspail, de Frank Venaille, quand je l’interrogeais rue Vaneau avec le camarade Gilles Pudloswki, pour ma revue ronéotée Présence et Regards en 1976, que dirais-je des «grands» auteurs que j’ai connus, que j’ai eu la chance insigne de connaître au gré de mon aventureuse vie d’éditeur spécialisé ?
A vrai dire, ils n’avaient jamais l’impression d’être importants pour la littérature en général. Ils étaient tous des auteurs qui avaient, chacun, le sentiment d’être des grands blessés de la vie, des interrogateurs incessants de la mort et de son sens caché, des photographes singuliers des époques et des évènements qui pouvaient dire comme Gérard Pfister dans sa note 641 de son plus récent recueil «Jamais je n’ai su / Qui j’étais» (1) et Marie-José Christien dans le sien : «L’émerveillement et la révolte sont proches. On les trouve présents chez les mêmes personnes» (2).
L’humilité primordiale
Un poète qui se prend pour un « exemple » face aux autres est un imbécile ! Comme un grand Maître Franc-Maçon persuadé que ses collègues d’obédience le jalousent comme affairiste, sous prétexte qu’il habite avec son épouse, bourgeoisement, boulevard Saint-Germain-des-Prés ! Il y a en effet mille façons de trahir son tablier et ses croyances.
Certes, la jalousie mondaine anime les principaux poètes du siècle. « Alors que les philosophes ne veulent connaître que l’universel, chaque œuvre littéraire reflète un individu » écrivait lucidement François Mauriac dans Dieu et Mammon, en 1929, en ajoutant : « Comment, depuis qu’il y a des hommes qui écrivent ne trouverai-je dans cette foule le demi-frère, le presque semblable ? »
En poésie, les rivalités vont bon train. En maçonnerie, les sectes pullulent. Les Grands Prix littéraires sans substance hantent les Centres spécialisés de l’Etat. Les réseaux de relations snobes tiennent lieues de talents originaux. Le factice dissimule le profond. Les vers de mirlitons pullulent. La prétention ne perd jamais ses oripeaux. Tout est dévalué. À mes yeux, le « grand » poète n’en a jamais conscience ou il est louche comme un masque dans la poubelle !
Pfister et Christien
En domaine de poésie, comme en domaine maçonnique, la prétention n’a pas de bornes ! Chacun est onaniste jusqu’à l’automatisme ennuyeux. La réflexion profonde est rare et la fraternité une pépite exceptionnelle !
Quand Marie-Josée Christien écrit dans Sentinelle (2021) un cercle silencieux / de lumières fébriles/ gravite/ autour des inquiétudes crépusculaires, elle pratique une « entaille dans la nuit » qui lui fait prendre une place royale parmi les poètes de ce début de siècle. Dans le même esprit, quand le mystique Gérard Pfister : « Que peut l’homme / toujours absent / que cherche-t-il / de son grand pas bancal », il rejoint aussi les plus grands. Débordants de fruits métaphysiques.
Gérard Pfister, Hautes Huttes (ARFUYEN, 2021, 19,50€ )
Marie-José Christien, Eclats d’obscur et de lumière (ÉDITIONS SAUVAGES, 12 €)
Marie-José Christien, Sentinelle (ÉDITIONS SAUVAGES, nouvelle édition augmentée, 12 €)